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& la liberté que demandent les grandes penfées
qui lès occupent » .
Le jeune Arouet fut mis au collège des jéfuites :
il fie fa rhétorique fous le P. Forée, & feus le
P. le Jay ; le prenfer voyoit en lui ie germe d’un
grand homme; le fécond lui prédifoit q u i l f e ra it
en F ran ce , le Coriphée du d é i f me.. L’une & l’autre
■ prédiâion a été accomplie.
L’abbé de Châteauneùf, fôn , parrain, ancien
ami de fa mère , fe fit un plaifir de pre feinter à
la célèbre Ninon de l’Endos, Voltaire encore
enfant ; « mais déjà poè'te , défolant déjà par de.
« petites épigrammes , fo n jan fén ifie de, f re r e , &
« récitant avec cosnplaifance la M o ïfa d e de
» Rouffeau ». - -
Ce ne fera pas violer la ipromefle de ne pas
juger M. de V o lta ire ^ que de ne pas applaudir à
ees efpiégleries de fa malignité naiffante qui ne fe
borna point à défoler fon janfénifie de frere, qu’il
eût aufli-bien fait d’épargner. On put lui dire dès
lors*
Je prévois que tés coups iront jufqu’à ta mère.
Tl pouffa en effet là légèreté de principes jufqu’à
faire aufii contre elle des épigrammes qui
répandent des nuages fur la conduire de ce;te
femme rcipedable , au moins pour lui. M. d’Uffé
avoit fa:t à la louange du jeune V o l t a i r e , des
vers dans lefqiïeïs il dîfôit que cet enfant étoit le
meffie que La littérature attendoic. M. de V o lta
ir e lui répond :
Dans tes vers, d’Uffé, je te prie,
Ne compare point au meffie
Un pauvre diable comme moi,
Je n’ai 'de lui que là mifêre,
Et fuis bien éloigné ma foi,
D’avoir une vierge pour mère.
Il y auroit fans doute de la pédanterie à juger
à la rigueur ces traits de gaité, ces débauches
de plaisanterie 3 où l’efprit eft entraîné par le
feul plaifir de faifir des rapports fînguliers &
-plaifàns , mais qui ne fuppofent ni l’irrévérence
ni l'immoralité, dont elles offrent l’apparence. Cependant
cette épigramme n’auroit pas été faite
à Sparte , & elle ne fe feroit pointerez ces nations
fages ou le rerpeQ de la religion & le refpetft des
parens forment les moeurs publiques. C’eft proprement
de la légéreté & de l’étourderie françoife.
Aufii plufîeurs perfoenes ont-elles jugé queM.de
V o lta ire avoit plutôt fortifié Lefprit franço's qu’il
ne l’avoit formé; c'eft par cet cfpritfrançois, difoient
ces perfonnes, qu’il a é té formé lui même, il y
a feulement ajottéun nouveau degré de légéreté de
vivacité , de grâce ; il a été plus loin que ie-s autres
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dans la route qu’il a trouvée frayée ; mais il n’a
point ouvert de routes nouvelles ; en un mot il n’a
point fait de révolution ; c’eft ce que 1VÎ. de Mon-
tefquieu exprimoit, dit-on, en difant : M . de
V o lta ire ejl l'homme qui a le p lu s de l ’e fp r it que
to u t le monde a . Au contraire Rouffeau en pénétrant
les âmes de fes chagrins éloquens & vertueux ,
de fa haine républicaine contre les grands & les
riches, & contre tous les vices du luxe , a , dit-
on , apporté de notables changcmens dans les moeurs
de la monarchie & dans l’efprit franqois ; onpoùi roit
prédire au moins que pat-tout oii la monarchie
confervera ou reprendra fon afeendant, M. de Volta
i r e gagnera de plus en plus, de jour èn jour ; que
par-tout où prédominera l’efprît républicain, ce
fera Rouffeau qui l’emportera ; ce n’cft pas que M.
de V o lta ire n’ait aufii défendu les droits des peuples,
que fa philofophie humaine n’ait fournLdes armes
8c des argumens à la liberté, à 1 efprit d’égalité,
dans toutes les c ho fes où Légalité , fans ceffe contrariée
par la nature elle-même, peut avoir lieu;
car l’imagination mobile & fenfible de M. de Volta
i r e s’eft tour à-tour enflammée ou attendrie fur
tous les objets, & a été agitée dans tous les fens
par tout ce qui peut émouvoir les hommes.
" Hcmo f u m , kumani, nïhïl à me alienum pu to .
Mais on voit que fon goût dominant eft pour
l’éclat de la monarchie, les plaiftrs du luxe, les
progrès des arts, & la douceur des moeurs , &
quand il.dit :
J’aime le luxe & même la moleffe, J
Tous les plaifirs, les arts de-toute efpèce,
La propreté, le goût, les ornemens:
Tout-honnête homme a de tels fentimens.........
Ce tems profane eft tout fait pour mes moeurs ;
Il eft bien doux pour mon coeur très-immonde,
De voir ici l’abondance à la ronde,
Mère des arts & des heureux travaux,
Nous apporter de fa fource féconde,
Et des hefoins, & des plaifirs nouveaux. .
Ce font fes véritables fentimens qu’il exprime
en feignant de plaifanter. Revenons à fa brillante
enfance ; elle plut à Ninon fi bon juge de l’efprit
des grâces & même do génie dont elle avoit vû
de fi beaux modèles en tout genre pendant ce
beau règne de Louis X lV . Elle légua deux mille
francs à M. de V o lta ire pour acheter des livres.
L abbé de C bateau neuf infroduifir V o lta ire dans
les (ocîétés les plus brillantes de Paris, particulièrement
dans celle du duc de Sully, du 'marquis
de la Fare, dePabbé Servien, de l’abbé de Çhaulieu,
de l’abbé Courtin. Le prince de Conti, le Gratid-
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Prieur de Vendôme, s’y joignoient fouvenf. Là ,
par averfion pour la févérité de Verfailles, & pour .
l’hypocrifie qui en étoit l’effet naturel, on affec-
toit de porter jufqu’à la licence le goût du plaifir
& la liberté.
M. Arouet crut fon fils perdu en apprenant qu’il
faifoit des vers & qu’il voyoit bonne compagnie.
Dans fes vues étroites, il avoit difpofé de fon fils
comme tous les pères vulgaires d’après des convenances
de fortune, il le deftinoit à la magif-
trarure , & M. de Voltaire faifoit des vers &
médiiok des tragédies.
Au fortir du berceau, j’ai bégayé des vers.
Ml de V o lta ire s’amufioic , dit-on, quelquefois
à raconter que fon père , pour lui en impofer,
ayant imaginé de le faire réprimander par un grave
& vénérable perfonnage , pria M. de ' NicoJai,
premier préfident de la chambre des comptes, de
vouloir bien fe charger de lui donner une leçon
capable de lui faire impreffion. M. de V o lta ire ,
comme autrefois Boileau , demeuroit chez fon père
dans la cour du palais. Q u e f t-c e donc ? jeune
homme ! lui dit M. de Nicolaï , en redoublant de
gravité pour l’intimider , j apprends que v o u s f e a n -
■ dalife£ to u te la cour du p a la i s : on d i t que vous
rentre£ a des n e u f heures du fo z r . On peut juger''
combien le léga aire de Ninon', le jeune ami des
Sully , des la Fare , des Chaulieu, attacha d’importance
à de pareils reproches.
« Cette querelle de famille, dit M. le marquis
de Condorcet , finit par faire envoyer le jeune
Vo ltaire chez le marqu:s de Ghateauneuf am-
baffadeur de France en Hollande. » Il y t ouvacette
madame du Noyer ( v o y e r fon article ) connue par
fes lettres galantes, répertoire d’hiftoriettes & d’anecdotes
, dont la vérité ne fait pas le principal
mérite. Elle avoit avec elle fes deux filles, de l ’une
defquelles M. de Vo ltaire devint amoureux ; c’eft
celle qui époüfa dai s la fuite le baron de Vin-
terfeld. « La mère trouvant que le feul parti qu’elle
pût tirer de cette paflion étoit d’en faire du bruit,
fe plaign t à l’aipbaffadeur qui défendit au jeune
Vo ltaire de conferver des liailbns avec mademoi-
fellc du Noyer. L’a-mbaffàdeur en cela paffoit- un
peu fes pouvoirs. M. de V o lta ire lui répondit en
fubftance :
J'y cours de ce pas même, & vous m’enhardiflèz,
C’eft l’effet que fur moi fit toujours la menace.
L’ambaffadeur le renvoya dans fa famille pour
fa défobéiffaiice & fon indocilité.
«« Madame du Noyer fit imprimer cette avanture.
avec lés lettres du jeune Arouet à fa fille , efpc-
iant que ce nom, déjà très-connu , feroit mieux
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vendre le livre ; & elle eut foin de vanter fa févérité
maternelle & fa délicateiïe, dans le libellé
même où elle déshonoroit fa fille. » Arrivé a Paris,
dit le même auteur, « M. de V o lta ire n’oublia
rien de ce qui étoit en fon pouvoir pour enlever
une jeune perfenne eftimable & née pour la vertu ,
à une mère intriguante & corrompue. « Des évêques
& des jéfuites s’unirent à lui dans ce projet , qui
échoua; mais M. de Vo ltaire eut dans la fuite le
bonheur d’être utile à mademoifelle du Noyer ;
& nous avons vu madame la baronne de Vmterfeld
dans fa virilleffe , toute glorieufe encore d’avoir
eu les prémices de coeur de M. de V o lta ire , &
ne le laiffant ignorer à perfonne.
Cependant fon père le voyant toujours obftinp
à faire des vers & à vivre dans le monde , l'avoit
chaffé de fa maifen p o u r qu’i l ne f c a n d a l if â t p lu s
la cour du p a la i s . Les lettres les plus, foumifes ne
le touchoient point; fon fils lui deroandoit même
la permiffion de paffer en Amérique & celle d’em-
brafier fes genoux avant fon départ. 11 fallut fe
réfoudre , non à partir pour l’Amérique , mais à
entrer chez un procureur.
M. de Csumartin , touché des erreurs du père
dont il étoit ami , & du fort du fils dont les taiens
naifîàns l’avoier.t frappé & qu’il voyoit fi peu à fa
placedemanda la permiffion de mener celui-ci
à SamV Ange , où il réfléchiro/t à Joifir fur Je choix
d’un état, loin de ces fociétés brillantes & réputées
dangereufes qui avoient allarmé la tendreffe paternelle.
Tout n’eft pas €aumartin.
M. de Vo ltaire trouva dans cette heureufe retraite
celui que Boileau avoit immonalifé par cet
ht miftiebe , le vieux Caumartin, vieillard refpec-
tabîe, paffionné pour la mémoire de Henri IV &
de Sully. Il avoit été lié avec les hommes les plus
in fl nuits & les plus aimables du règne de Louis
XIV , favoit les anecdotes, les plus fecrectes ,& fe
plaifoit à les raconter. V o lta ire revint de Saint-
Ange , occupé d’un poème épique dont Henri IV
devoir être le héros., 8c plein d’ardeur pour 11 tu de
de 1 hiftoire de France. C’eft à ce voyage que nous
devons la S e n r ia d e Si lè Jiecle de Louis XlV.
Après la mort de Louis XIV, la mode fut pendant
un tems de prodiguer les fatires a fa mémoire comme
on lui avoit prodigué les panégyriques pendant la
vie. On en fit une à l'imitation des j ' a i v u de
l’abbé Ikgïïïer Definarais, & qui étoit aufii intitulé :
les j ' a i v u , elle contenoit. l’énumération des
maux arrivés dans les dernières années du règne
d.e- Louis XIV , & fiiiiffoit par ce vers :
J’ai vu ces maux, & je n’ai pas vingt ans.