
3 9« T U L ’
donner afyle, joifqu’à la diftance de cinq cents milles
de Rome , & s’il cft trouvé dans cet efpace, permet
de le tuer j lui & ceux qui l ’auront reçu chez eux;
défend à tout magiflrat & à tout fénateur, de
•propofer jamais & de fayorifer fon rappel de
délibé ter , de conclure , d'opiner, en quelque façon
que ce puifle être , qui tende à ce but $ enfin a de
prendre aucune part à aucun décret qui eût pour
objet de lui permettre de revenir dans la ville. La
méchanceté, en accumulant ainfî fes perfides précautions
, croit afliirer le mal qu’elle a fait, & elle
ne (ent pas que par cet acharnement même elle en
accélère la réparation. Clodius jouiflànt de fon indigne
triomphe , fait vendre à l ’encan les biens de
Cicéron. Aucun honnête homme ne fe préfènta
pour en acheter la moindre partie, la troupe des
brigans dont difpofoit Clodius , partagea cet indigne
butin ; les eonfuls prirent pour eux les maifons de
Campagne, Clodius, la maifon de la v ille , il y
dédia un portique à la dédie de la liberté , dont
Cicéron étoit topprejfeur , & Clodius le vengeur ;
& la ftatue de ceitc dédie qu’il y fit mettre, étoit
celle d’une courtilanne connue.
Cicéron, malgré le plébifcite que Clodius avoit
Fait rendre , trouva fur fa route de dignes amis
qui remplirent envers lu i, avec courage, tous les
droits de l’hofpitalité, il en trouva auffi d’ingrats qui
détournèrent les yeux , & de foibles qui craignirent
le danger, i l auroit voulu s’établir en Siçiie , le
prêteur C . Virgilius n'o'a l ’y recevoir; ii pafla en
Grèce , & Cn. Pjancus plus hardi le reçut à Thefla-
lonique,où il éteit quefteur; il alla même le chercher
jufqu’à Dyrrachium.
L ’exil de Cicéron , forti de Rome au commencement
d’avril 694, dura en tout feize mois.
Après être reflé environ huit mois à TheiTalo-
nique, il revint à Dyrrachium pour être plus à
poitée des nouvelles, il y arriva le 2j novembre
& il y refta encore huit mois.
On lui a reproché trop d’abattement pendant
fon exil , on l’a trouvé en défaut du coté de
)a philofophie , il s’eft défendu par la. fenfï-
bilité.
Cependant tout' fermentoit à Rome contre Clodius
& en faveur de Cicéron ; l ’imprudence qu’eut
Clodius d’infulcer Pompée & de s’en faire un ennemi
, rappella enfin à ce triumvir la tendrefle
que Cicéron avoit toujours eue pour lui & qu’il
avoit fi mal reconnue. Céfar ne defiroit point le
Tetour d’un auffi bon citoyen , d'un auffi rigide
partifan de la vertu & de la liberté que Cicéron ;
c ’ étoit après Caton l ’homme qui répugnoit le
plus à fis moeurs & qui pouvoit s’oppofer le plus
a fon ambition , mai* Pompée ayant réfolu le
rappel de Cicéron, Céfar qui alors ne favoit rien
refufèr à Pompée , devint favorable à Çicéro'm
L e jeune Crafliis , zélé partifan de Cicéron
étoit parvenu à fléchir fon père en faveur de
T U L 1
cet illuflre proferit. Le fénat étoit pour lui ;
les eonfuls de l’année 69^ , lui furent plus favorables
que ceux de l’année 694. Lerftülus Spitt-
ther, I un dé ces deux nouveaux confiils, demanda
hautement^ le rappel de Cicéron , & Métellus
Nepos , l’autre conful , jufqu’alors ennemi de
Cicéron & ami de Clodius, attendra par un discours
pathétique de P. Servilius Ilauricus, vieil-
lard vénérable, ancien conful , ancien cenfeur
décoré du triomphe, qui lui rappella l’exil & le
retour de Métellus Numidicus , perfécuté autrefois
par les méchans comme Cicéron, Métellus
ne put retenir fes larmes & s’unit de bonne foi
avec Lentulus fon collègue , pour faire rappeller
Cicéron ; tous les préteurs, excepté un frère de
Clodius , huit tribuns du peuple appuygient la
meme caufè-., le fénat envoya des lettres circu-
^ai.res. ^ans toute l’Italie , pour inviter tous ceux
qui aimoient l’état à venir concourir par leurs
fuffrages ou leurs voeux au rétabliffement de Cicéron
; démarche fans exemple , non feulement
pour les intérêts d’un- particulier , mais même
dans les périls communs de toute la république.
La nouvelle de ce fénatusconfulte portée- fur
Je champ à un fpedacle de gladiateurs , y fut
reçue avec tranfport, chaque fénateur, qui vénoit
à ce fpedacle au fortir du fénat, y fut applaudi.
Quand le conful Lentulus, qui donnoit
ces jeu x , y fut arrivé , & eut pris fa place,
tous les fénateurs fe levèrent , & tendant les
bras vers lui , témoignèrent leur joie & leur re-
connoilfance par des larmes de tendrefle , qui
montroient combien Cicéron étoit cher à tous les
gens de bien.
Sur l’invitation du conful & du fénat, tous les
peuples de l’Italie fe déclarèrent pour Cicéron
& unirent leürs efforts en fà faveur.
Enfin la loi du rappel fut portée à Rome, dans
l ’aflemblée du peuple, & n’ y trouva qu’un feul
contradicteur, Clodius.
Cicéron partit de Dyrrachium, le 4 août 69 f ,
il aborda le lendemain à Brindes, où il trouva
fa chère fille Tullie. Son retour à Rome , fut
une marche triomphale. » Toute m^ route , dit-i|,
Y) depuis Brindes jufqu’à Rome , était bordée d’uiie
» file continuelle des peuples de toute l’I ta lie .. . .
» Mas le jour fur-tout où je rentrai dans Rome,
» ce feul jour me vaut une immortalité. » Unus
»’ àies mihi quidem immort alitatis injlar fuit. J’y
» vis le fénat & le peuple entier fôrtir hors des
» portes pour me recevoir : & Rome elle-même s’é-
» branlant prefque de deflus fes fondemens, fembloic
» s’avancer pour embrafler fon confervateur. On
» eut dit que non feulement les hommes & les
y) femmes de tout âge , de tout ordre, de toute
» condition , mais les murailles elles-mêmes , les
» maifons & les temples , entroient, à ma vue,
»a dans des tranfports de joie ». Cùm Jtnatum
T U L
'tgrtffûm vidi populumque Romanum univetfum ;
ciim mihi ipfa Roma propé convulfa fedibus fuis
a d compleiïendum confervatorem fuum procedere vifa
efi\quAmeitaaccepit, ut non modo generum,Atatuma
ordinum , omnes viri.ac mulieres , Omni s fortunA ac
loci,fedetiammAniaipfavïderenturt ac tclia ur'ois &
templa. lAtari.
Lorfque Cicéron arriva à la porte Capène, les
degrés des temples voifins étoient remplis dun
peuple immenfe , qui , avec des applaudiflemens
& des cris de joie l’accompagna au capitole, &
de là dans la maifon qui lui avoit été préparée.
Enfin l’éclat de ce retour fut tel , que Cicéron
en fe le rappellatit, dit qu’à 11e confîdérer que
les intérêts de fa gloire, il auroit dû au lieu de
réfifter aux violences de Clodius, les rechercher
& les acheter , ut tua mihi confcelerata ilia vis
non modo non propulfanda , fed etiam emenda fuijfe
videatur.
Au milieu des charmes & de la pompe de
ce triomphe , on ne peut fe défendre d’une reflexion
bien naturelle fur l’inconfiance du peùple
& fur la facilité que trouve un fcéiérat ou habile
ou impétueux , tel que Clodius , à en difpofer,
à le tourner & l’entraîner à fon gré , à en faire
l ’inftrument de fes vengeances contie les gens
de bien. Ce peuple qui ramené dans les fentiers
de la juflice & de la vertu , rappelle aujourd’hui
Cicéron avec tant de refpeft & d’amour ,
éfl le même qui , feize mois auparavant l’avoit
chafle de Rome & de l’Italie & l’avoit déclaré
ennemi public , à la voix d’un Clodius. Et ce
même peuple qui bannifloit Cicéron pour avoir
fait punir des conjurés , favoit bien que p3r leur
fupplice il avoit fauvé l ’é tat, il le favoit, il
avoit applaudi au témoignage public, que Cicéron,
en fortant de charge , s’étoit rendu à ce fujet.
Ses maifons de ville & de campagne furent
rétablies aux dépens de la république, Clodius
arma fes aflaffins & voulut, à force ouverte, empêcher
ces reconflructions; il y eut à ce fujet plu-
fieurs combats, où Milon , ce zélé défenfeur de
Ci.éron, défendu par lui dans la fuite avec beaucoup
d’éloquence, mais fans fuccès, s’oppofa conf-
tament à Clodius, ce qui amena enfin ce faral
combat où Clodius périt viéilme de tant d’atrocités
nous difons fatal cn ce qu’il caufa l ’exil
de Milon , & que Cicéron eut la douleur de ne pouvoir,
fauver fon vengeur.
La liaifon plus intime encore qu’au par avant, entre
Cicéron & Pompée , attira encore au premier , des
défagrémens qui lui furent fcn'ïbles ; Pompée abusant
de fa rcconnoiflance & de> fon amitié , le força
deproftituerfon éloquence à la défenfed’un Gabinius,
d’un Vatinius , fes ennemis perfonnels & les objets
de fon mépris, mais qui étoient devenus d ’s protégés
de Pompée. O Caton ! s’ écrioit Cicéron , que vous
êtes heureux, vous à qui perfonne n’ofe rien demander
de contraire à l’honneur! O te felicem
T U L 3pp
M. Por e t, a quo rem improbam nemo petere audètl
C ’étoit s’accufer bien naïvement d’une foib’efle-
inconnue à Caton.
Mais il fuivir fon coeur, lorfque l’an 698 de
Rome, il défendit contre un de fes amis , dans
une accufation de brigue , ce même Plancius qui,
pendant fa difgrace, l'avcit été cherchera Dyr.a-
ebium, peur le mettre en fûri.té à Theflalbnique
fous fa proti & on 5 c’efl le coeur de Cicéron qui
lui a diélé, ce tendre & fublimé éloge de la re-'
connoiflance, le plus bel ornement de ce difeours.
Il fut, l ’an de Rome 701, proconful de Cilicie ,
& fon proconfulat efi un modèle de jcflice, de
douceur 3 de défintéreflement, de bienfaifance, de
fermeté même dans les occafions qui en demandèrent
; jamais magiflrat romain n’a montré plus
de vertu , & une vertu plus aimable dans l ’exercice
de fa hiagiftrature ; mais jamais magiflrat n’a
defiré avec tant d’impatience, la fin de fon emploi.
«Je regrette , difoit-il, le grand jour de la
» capitale, la place publique, la ville, ma maifon,
» la fociété de mes amis. Denique hac non dejidcro ê
» lueem, forum , urbem , domum , vos defderor
A peine étoit-il de retour à Rome, que la guerre
civile éclata entre Céfar & Pdmpée.
Les beaux jours de la gloire de Cicéron font
paffés , la conjuration de Catilina fi habilement
découverte*, fi éloquemment prouvée, fi vigoureu-
fément diflïpée , l ’exil de Cicéron, honte paflagère
de Rome, fon retour triomphant; voilà les vrais
momens de fa grandeur ; nous l ’ allons voir de
plus en plus femblable au portrait qu’on en fait
dans la mort de Céfar.
Cicéron qui d’un traître a puni Pinfolence ,
Ne fert la liberté que par fon éloquence ,
Hardi dans le fénat, foible dans le danger,
Fait pour haranguer Rome, & non pour la venger»
Nous l’allons voir dans les dîfcordcs civiles ,
flottant entre les divers partis, fervant mal celui
qu’il embrafle, tout prêt à fe livrer au parti contraire
, prévoyant tout, cra^gnan^tout , parlant
toujours bien, agiflant toujours foiblemcnt.
Il prit le parti du fénat & de Pompée, comme
le moins mauvais , mais fans ardeur, fans véritable
affeétion , avec ce chagrin profond , cette
terreur , cet efprit„de ciitiquê & d’improbation
qui annonce & qui communique le découragement;
il étoit déplacé dans un camp : d’ailleurs , malade
& mélancolique, blâmant tout & ne remédiant à
rien.
Quand il arriva au camp, quelqu’un lui dit
qu’il vcncit bien tard; comment tard, répondit i l ,
je ne vois rien de prêt.