
N’eft-ec pas d’ailleurs juftifier en quelque forte
leurs attaques 8c les autorifer à des hoftilités nouvelles
? C’eft air.li que dans lés lettres comme dans
la politique , la guerre naît toujours de la guerre,
& que le mal qn’on dit ou qu’on fait, ne p-oduit
que du mal. Si la- critique joint quelque utilité à
Ion .amertume, profit ez-en ; fi elle n’eft que l'aveugle
ouvrage de l’envie, répondez a l’ènvie
par de nouveaux faccès, & ne lui'donnez pas
le piaiiïr de vous avoir affligé 3 quelle ne puilfe
pas dire 1
Comme je le voulois, tu reflenston malheur. .
Un des plus beaux morceaux de ce bel,éloge,
eft le parallèle de Racine & de V o lta ire -, -dont
le réfultat eft, « qu<s Racine lu par les connoif
leurs , fera regardé comme le poète le plus par-
» Rit qui ait é c r i t 8c que V o lta ire , aux yeux des
» hommes raffemblés au théâtre, fera le génie le
** pl°s tragique qui air régné fur la fcène.
On a dit de Racine q u 'i l a l a monotonie de la
p e rfe c tio n , ce n’eft qu’un mot plaifant. Un reproche
plus férieux, eft celui que lui fait fon plus
digne admirateur-, M. de V o lta ire , dans ces vers
du Temple du G o û t,
Racine oblerve les portraits
De Bajazet, de Xipharès,
De Britannicus , d’Hippolite^
A peine il diftingue leurs traits ;
Ils ont tous le même mérite,
Tendres, galans, doux & diferets ;
Et l’amour qui marcheà leur fuite
Les croit des courrifans françois.
On a reproché à Racine d'employer quelquefois
des moyens trop petits, comme quand Néron fe
cache pour entendre Junie ; quand Mithridate promet
Xipharès à Mo.nime pour furprendre le fecret
de fon amour. Cette objection, jufte ou non, eft au
moins très-affoibiie par les effets que ces moyens
produifent ; mais enfin on n’a rien de femblable à
«bje&er à M. de V o lta ire ; jamais fes caractères
même odieux ne s’aviliffent par de trop petits
moyens..
Nous nous défions beaucoup de l’obfervation que
nous allons hazarder, parce que nom ne nous
rappelions de l’avoir lue nulle part, & que tout
doit avoir été dit fur Racine. Ainfi ce fera bien
moins une critique qu’une queftion propofée aux
gens de goût. Racine ne manque-t-il pas un peu
de variété dans la forme de fes dénouemens ? Ne
ramène-t-il pas trop fouvent une même forme,
dpnt même il n’eft pas l’inventeur ? Car elle paroît
imitée de Corneille dans les H o ra c e s , oji elle n’eft
pas placée dans le dénouement.
Julie, qui n'a vu qu'une partis lu combat des
Horaces & des Curiaces, trompe le*vieil Horace
par un récit incomplet, qui amène ce fublimc
q u i l mourût. La colère du vieil Horace dure du
troifième au quatrième aéte.j iPdifputç long temps
Contre Valète fins l’entendre & fans en être en«
tendu, julqu’à c^ qu'en fin Val ère, parlant de
l’avantage de Rome , donne li/ u à cet autre, mot fi
beau & fi romain :
Quoi 1 Rome donc triomphe ?
Va'ère reconnoît alors que le vieil Horace eft dans
l’erreur, & il le défabufe.
Apprenez, apprenez
La valeur de ce fils qu’à tort vous condamnez.
Racine qui, comme /le remarque M. de la Harpe,
& comme d’antres l’avaient déjà obfervé, imita
Corneille dans f s deux premières tragédies , fait
de cet incide.it des H o ra c e s , le dénouement de
fes Freres ennemis. Olympe trompe de même Antigone
par un récit imparfait du combat d'EtéocIe
& de Polinice , dont elle ne fe donne pas le temps
d’arprendre toutes les circonftances. Elle fait feulement
que Polinice eft vainqueur & qu’il a tué
foa frere. Encore ne conçoit-on pas comment elle
ignore qu Etéocle, avant de fuccomber , a tué lui—
• même Hémon, incident du combat qui.eft le plus
intéreflant pour Antigone, amante d’Hémon. Créon
mieux inftruit, arrive. Antigone lui dit :
| . . . . . Vous avez peut-être à pleurer comme noiis.
C R i o n .
Madame, je l’avoue, & les deftins contraires
Me font pleurer deux fils , fi vous pleurez deux frères,'
A n t i g o n e .
Mes frères & vos fils 1 Dieux 1 que veut ce difeours 1
Quelqu’autre qu’Etéocle'a-t-il fini fes jours ?
C R É o n.
Mais ne favez-vous pas cette fangla«tc hiftoire il
A n t i g o n e .
J’ai fu que Polinice a gagné la vidoire,
Et- qu’Hémon a voulu les féparer envain.
C R E O N.
Madame, ce combat eft bien plus inhumain.
Vous ignorez encor mes pertes & les vôtres 5
Mais t hélas 1 aprenez les unes 6c les autres» u
On voit que Créon,. comme Valère, croit parler
à une perlonne inftruite, qu’un mot qui lui
échappe dans cette perfuafion , comme à valère ,
donne lieu à Antigone , comme au vieil Horace ,
de faire une queftion qui amène un éclairciffement.
Toute la différence eft dans l’effet de cet éciaircif-';
fement, qui comb c le vieil Horace de joie , &
Antigone de douleur.
Le dénouement à'Alexandre eft à-peu-près femblable.
Porus comparoît devant fon vainqueur,
qui lui dit :
Vivez 3 mais confentez au bonheur de Taxile.
P o r u s .
Taxile 1
A l e x a n d r e .
Oui.
P o r u s ,
Tu fais bien , & j’approuve tes foins ,
Ce qu’il a fait pour toi ne mérite pas moins 5 ;
C’eft lui qui m’a des mains arraché la vidoire.
Il c’a donné fa feeur j il t’a vendu fa gloire;
Il t’a livré Porus. Que feras-tu jamais
Qui te puiffe acquitter d’un feul de fes bienfaits?
Mais j’ai fu prévenir le foin qui te travaille 3
Va le voir expirer-fur le champ de bataille,.
A l e x a n d r e *
Quoi Taxile?
C l b o f i l e .
Qu’entens-je ?
E P H E S T I O N.
Oui , feigneur, il eft mort.
Et il fait le récit de cet évènement.
Cette cataftrophe eft diftinguée par un coup de
théâtre étranger au point que nous examinons ;
ce coup de théâtre confifte en ce qu’Alexandre 8c
Cléofile apprenait la mort de Taxile, par l’auteur
même de cette mort , rqui les. brave , en fe
vantant du coup qu’il a porté; mais enfin il y a
dans Alexandre cbmme dans les Freres ennemis
6c dans les Horaces , une erreur qui s’annonce
par un mot , & qui eft difflpée par un récit.
Même forme dans le dénouement à 'Andromaque.
Piladc vient pour emmener Orefte..
Il faut partir, feigneur, fortons de ce palais.......
O R E S T I.
Non, non, c’eft Hermione, amis, que je veuxfuivre.,’..
P I L A D E.
Hermione , feigneur ? il la faut oublier....
Cherchez-vous chez les morts quelque nouvel outragé?
Et parce quelle meurt, faut-il que vous mouriez ï
O R E S T E.
Elle meurt? Dieu 1 qu’entens-je ?
P 1 L A D I.
Hé quoi 1 vous l’ignoriez ?
Même forme encore' dans la cataftrophe de B a ja -
^et. Atalidë apprend par Zaïre , fa- confidente, que
Roxane vient d’être tuée 3 elle croit • que Bajazet
vit encore ; Ofmin , qui a tout vu , confirme la
nouvelle de Zaïre en ce qui concerne Roxane, 8c
commence un récit qu’il termine par dire qu’il a
contribué à venger la mort de Bajazet.
A T A L I D E.
Bajazet ?
A c o m a r.
Que dis-tu 2
O S M I H.
Bajazet éft fans vie,
L’ignoriez-vous l
Il y a d’autres dénouemens de Racine, qui ne
confiftenc pas comme ceux-ci à tirer d’erreur les
perfonnages intéreffés dans l’adion, mais qui fc
font toujours en deux parties, foit que l’une de
eps deux parties foie contraire à l’autre & la dé—
: truife , comme dans M ith r id a te , où Arbate par
un contre-ordre de ce prince, irenverfè le poiforr
qu’Arcas étoit venu apporter à Monime de la part
du même, prince 3 & dans Ip h ig é n ie , ou un rayon
d’efpérance qu’Arcas étoit venu donner à ClytemT
neftre , eft diffipé par l’arrivée foudaine d’Ulyffc
qui difflpe lui-même à l’inftant pat un récit heureux
la crainte mortelle que fa préfence avoic fait
naître 3 ioit qu’une des deux parties ne foit que le
complément de l’autre , comme dans Phèdre , ou.
l’aveu & la mort de cette princeffe; conformaient la
! juftifîcation d’Hyppolyte , déjà commencée par
: Aride , par Théramène & par la mort d’GEnone ;
j & dans B r ita n n ic u s , où le récit d’Albine ajoute
I au récit de Burrhus fans le combattre. Obfcrvons
1 feulement que l’incident de là mort de Phèdre & de
[ fon >aveu , a moins d’intérêt que le récit de la j mort d’Hippolyte, 6c que de même dans Brita.%-