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firent «ne application ifcs heureufe de deux vers
de çette tragédie ; i’uu s’adrefTaut au harangueur ,
lui dit :
Prince, n’avez-vous rien à nous dire autre chofe ?
L’autre répondit pour lui î
Non, d’en avoir tant dit il eft’même confus.
On a encore du fie-ur de V ifé des mémoires fur J
le régné de Louis XIV depu s 1638 jufqu’en 1688.
Ce font des extraits de Ion Mercure,
De V t f é , né à Paris en 1640 » mourut en
I710 après avo’r été quatie ans aveugle, j
Dans fa jeunefle il avoit beaucoup & bien mal 1
écrit pour & contre Molière. 11 dit que le Cocu j
im a g in a ire « eft à fon fentiment & à celui de
beaucoup d’au:res , la meilleure de toutes fes
pièces & la mieux écrite ; que les vers de t école
d e s m ar is font moins bons que ceux iu Cocu
im a g in a ire ; C école des femmes ne lui plaît nullement,
tout le monde, dit-il } l’a trouvée méchante,
& tout le monde y a couru , elle a réulïi fans avoir
plu , 8c elle a plu à plusieurs qui 1 ont pus trouvée
bonne. Pour vous en dire mon fentiment ,
c’eft le fujet le plus mal conduit qui fut jamais ,
& je fuis prüf de foutenir qu’il n y a point de fcène
où l’on 11e puifie faire voir une infinité des fautes
Mais ce qui eft vraiment curieux, c’eft ce que
dit de V ijé au fujet des marquis joués par Molière*
« Ces marquis, dit-il, fe vengent aflez par leur
prudent filence, & font voir qu'ils ont beaucoup
d'efpriren ne l’eftimant pas allez pour fe louc’er
de ce qu’il dit contre eux. Ce n’eft pas que la
gloire de l’état ne les dût obliger à fe plaindre ,
puisque c’eft tourner le royaume en ridicule, raiiler
toute la nobîcfie , & îendre méprifablesnon feulement
à tous les françois mais encore à tous les
érangers des noms éclatais , pour qui l’on devroit
avoir du refpëct......... Lorfqu’il joue toute la
cour. . .. il ne s’apperçoh pas que notre incomparable
monarque eli toujours accompagné des
gens qu’il veut rendre ridicules ; que ce font eux
qui forment fa cour ; que c’ell avec eux qu’il fe
divertit ; que c’eft avec eux qu’il s’entretient ; &
que c’eft avec eux qu’il donne de la terreur à fes
nerrfs ; c’eft pourquoi Moiière devroit phiiôt
travailler à nous fai'e voir qu’ils font tous des
héros, puifque le prince eft toujours au milieu
d’eux , & qu’il en eft comme le chef, que de nous
en faire voir des portraits ridicules. »
des perfbnnes qui ont tant de fois 8c ft généreufè-
menc expofé leur vie poui la glo:re de leur prince !
& tout cela pour ce que leur qualité demande qu’ils
foient plus ajuftés que les autres, & qu’ils y font
obligés pour maintenir l’éclat de Ja plus brillante
cour du monde , & pour faire honneur a leur fou-
verain. Je vous avoue que, quand je confidère le
mérite de toutes ces illuftres perfbnnes, & que je
fange à la témérité de Molière , j’ai peine à croire
tout ce que mes yeux ont vu dans plufieurs de fes
pièces , & ce que mes oreilles y ont ouï. » La
réponlc a toutes ces fortifes, fi elles pouvoient en
mériter une, feroit que Louis XlV lui meme p e-
noit foin d’indiquer à Molière les ridicules qu il
dévo t jouer pour corriger fa cour. Quant au-x
perfonnalités, Molière lui-même a pris la peine
de s’en jultifier bi.11 ou mal dans l ' inpromptu de
Ve rsa ille s & ailleurs.
« Ii y a au parnaffe , dit encore de V i f é } mille
places de guides entre le divin Corneille & le
comique Mo’iè re .... Le premier eft plus quun
dieu, le fécond eft auprès de lui moins quun
homme. »
Ceci n’exprirae que la différence , & , fi l’on
veut, l’oppofition des geur s >car d’ailleurs Molière
eft plu5 parfait dans le fien que Corneille dans la
tragédie. De V ifé le jette enfuite dans la qu^ftion
oileufe de la préférence des genres & de la plus
grande ou de la mo.ndre difficulté de l’un ou de
l’autre. « 11 eft plus glorieux , dit i l , de fe faire
admirer par des ouvrages iolides, que de faire rire
par des grimace;, des tudupinades, de grandes perruques
& de grands canons. Ainfî Molière dans
Tartuffe , dans le M ifa n th ro p e , dans les femmes fa?
v a n te s , dans C école des femmes , &c. ne faifoit me
que par des grimaces & des turlupinades. Quelle
mifere 1 au refte de V ifé fe piquoit d’être noble,
8c à coup fûr il portoic de grands canons , car il y
prend trop d’intérêt.
« Lorfque Molière , dit il encore^ dît qu’il peint
fes originaux d'après nature , il contefie qu’il n'y
met rien du fien, ce qui ne le doit pas tant faire
admirer qu’il s’imagine. »
Mais fi Corneille ne peignoit pas fes héros d’après
nature , même dan* ce qu’il y mettoit du fien ,
il avo’t tort, & ce qu’il mertoit du fien étoit de
trop., A-t-on jamais imaginé de faire un crime
à un peintre de peindre d’api es nature ? où font-ils
ces bienheureux coupables auxquels on peut faire
un tel reproche ? Molière en étoit un.
«11 ne l i a n t pas oe gar:cr Je reipect que nous
devons au demi-dieu qui nous gouverne , il faut
épargner ceux qui ont le glorieux avantage de
l’approcher, & ne pas jouer ceux qu’il honore d’une
efii ne pa'ticulière. . . . Quoi ! r a ter fi mal l’appui I
Si l’ornement de l’état ! avoir tant de mépris pour ;
yiSIR, (grand) ( h ' f . tu rq . ) premier miniftre
de la Porte ottomane ; voici ce qu’en dit 'Ioume-
fort :
Le fultan met a la tête de fes mlniftres d état
le g r a n d - v i f r , .qui eft comme Ion lieutenant-gcné-
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rai , avec lequel 11 partage, ou plutôt * à qui il t
Jaifi'e toute l’adminifir. tioù de l’empire. N n-kule-
ment le g rà n d -v ifir eft chargé des fnan es , des
affaires étrangères 8c du foin de rendre la juftice
pour les affaires civiLs & criminelles , mais il a
encore le département de la guerre & le commandement
des armées. Un homme capable de fbute-
nir dignement un fi gianJ fardeau, eft bien rare
& bien extraordinaire. Cependant il s’en eft trouvé
qui ont rempli cette charge avec tant d éclat,
qu’ils ont fait l’admiration de leur ficelé. Les
Cupsrlis ou Coproglis père & fils 9 ont triomphe
dans la paix & dans la gueire, & par une politique
prefque inconnue jufqu’alors, ils font morts tranquillement
dans leurs lits.
Quand le fultan nomme un g r a n d -v i f r , il lui
met emre les mains le feeau de l’empire, fur lequel
et! g'avé fon nom : c’eft la marque qui earaéténfe
le premier miniftre ; aufifi le porte t-il toujours dans
ion fin. Il expédie avec ce feeau tous fes ordres,
fans confulter & fans rendre compte à perfonne.
Son pouvoir eft fans bornes , fi ce n’eft à 1 égard
des troupes, qu’il ne fauToit faire punir fans la
participation de leurs chefs. A cela près, il faut
s’adrefler à lui pour toutes fortes d affaires , & en
palier par fon jugement. Il dilpofe de tous les
honneurs 8c de toutes les charges de l’empire ,
excepté de celles de judicature. L’entree de Ion
palais eft libre à tout le monde , &. il donne audience
jufqu’au dernier des pauvres. Si quelqu’un
pourtant croit qu’on lui ait fait quelque injuftiee
criante il peut fe pré Tenter devant le grand-
feigneur avec du feu fur la tête , ou metit- la re-
que e au haut d’un rofeau, & porter fes plaintes
à la hauteffe.
Le g r a n d - v i f r foutient l’éclat de fa charge avec
beaucoup de magnificence ; il a plus de deux mille
officiers ou domeftiques dans fon palais , & ne fe
montre en public qu’avec un turban garni de deux
aigrettes chargées de diamans & de pierreries j le
Larnois de Ton cheval eft femé de rubis & de tur- :
quoîfes , la houfle brodée d’or 8 t de perles.^ Sa j
garde eft compofée d’environ quatre cent bofhiens !
ou albanois , qui ont de paie depuis i î jufqu’à 1 j
afprts par jour; quelques-uns de fes foldats Fac-
compàgnent à pied quand il va au divan ; mais
quand rl marche en campagne , ils font bien
montés , 8c portent une lance , une épée , une
hache & des piftolets. On. les appelle délis „ c eft-
à-dire, fo u s , à caufe de leurs fanfàronades Sc de
leur habit qui eft-ridicule > car ils ont un capot,
comme les matelots.
La marche du g r a n d - v f r eft précédée par trois
queues de c‘ eval , terminées chacune par une
pomme dorée: c’eft le ligne militaire des ottomans
qu’ils appellent tkou ou tk o u y . On dit qu’un général
de cette nation, ne facliam comment rallier
v 1 s m
fes troupes, qui avoient perdu leurs étendards,
s’avifa de couper la queue d’un cheval, & de l’attacher
au bout d’une lance ; les foldats coururent
à ce nouveau fignal, & remportèrent la viétoire.
Quand le fultan honore le g r a n d - v f r du commandement
d’une de fes armées , il détache à la
tête des troupes une des aigrettes de fon turban ,
& la lui donne pour placer fur le fien ; ce n’elt
qu’après cette marque de diftin&ioiï que l'armée
le recomioit pour général ; & il a le pouvoir d«
conférer toutes les charges vacantes} même les
vice-royautés & les gouverne me ns , aux officiers
qui fervei.t fous lui. Pendant la paix, quoique le
fub an di'pofe des premiers emplois , l e g r a n d - v i f r
ne lai fie pas de contribuer beaucoup à les faire
donner à qui il veut ; car ii écrie au- grand-fergneur,
& reçoit la réponfe fur le champ c’eft de cette
manière qifil avance fes créatures, ou qu’il Ce venge1
de fes ennemis ; il peut faire étrangler ceux-ci,
fur la fîmple relation qu’il fait à l’empereur de
leur maüvaife conduite. Tl va quelquefois dans la
nuit vifiter les prifons y & mène toujours: avec lui
un bourreau pour faire mourir ceux qu il juge coupables.
Quoique les appofnterriens de la charge de
g r a n d - v f r ne foient que de quarante mille écus-
( monnoie de nos jours ). j il ne laillè pas de jouit
d’un revenu iminenfè. fl n’y a point d’officier dan®
ce vafte empire qui ne lui fafTe des préfens. con—
fidérables pour obtenir un emploi, ou pour fe
conférer dans fa charge: ceft une efpèçe de tritr
but indifpcwfable.
Les plus grands ennemis du g r a n d - v f r fonfc
ceux qui commandent dans le lerrail après le-fultan
, comme la fultane mère, le chef des eunuque®
noirs & la fultane favorite ; car ces perfbnnes ayant,
toujours en vue de vendre les premières charges ,
& celle du g r a n d - v i f r étant la première de toutes,,
elles fontobferver jufqu’à fes-moindres geftes ; cëÆ
. ainfi qu’avec tout fon crédit rl eft environné d’efo-
pions & les puifTa-nces qui lui font oppofées y
fbulevent quelquefois les gens de guetre , qui >
: fous prétexte de quelque mécontentement rdeman-
. d-nt la tête ou la dépofition du premier miniftre ^
le fultan pour lors retire fon cachet, & l'envoie
à celui qu’il honore de cette charge-
Ce premier miniftre eft donc à fon tour obligé de
* fa:re de riches préfens pouç fe conferver dans fom
pofte. Le grand-feigneur le fuce continuellement,
foit en rnonorant de quelques-unes de fes vifite®
qu’il lui fait payer cher, foit en lui envoyant demander
de tems-en-tems des fommes confidérablesv
Aufïi le v ifir m t tout à l’enchere pour pouvoir
- fournir à tant de dépenfos^
Son palais eft le marché ou toutes les grâces fe