
, Une autre manie du roi de Prufle étoit l’iîréli- '
gion j peuffee jufqu’à l’athéiTme le plus formel.
M. de Voltaire ne le füivott pas jufques-là , &
même , dans la plupart de f e s é c rits , i l p a r a î t
^d a te u r de l’exiftencc de Dieu au point d’avoir entraîné
, dans cette opinion , quelques-uns de fes
difciples, qui ne penfoient que d’après lui, & qui
avoient adopté toutes fes‘ Hàrdieffes,
M. de Maupertuis-, dit M. de Voltaire , prit
fon tems pour répandre le ’bruit que j’avois dit que
la charge d’athée du roi éfioit vacante. Cette calomnie
ne réuflit pas ; mais il ajouta enfuite que,
je trouvois les vers du roi mauvais , & cela
réuffit. »
M. de Voltaire ne dit pas que cette féconde
imputation fut calomnieufe , & les autres ne'. Tê-
toient peut-être pas davantage ; on croira, fans
peine quM pouvoit échapper à une imagination
aufli vive que celle de M. de Voltairede ces
etourderies & de ces indiferétions, que ni les rois ,
ni les particuliers, ne pardonnent; mais.,çeux qui
frenoient l e foin de les rapporter fi .fidèlement :àu
roi, n’étoient vraifemblablement Jes. amis , ni du
roi, ni de M. de Voltaire.
Le roi fut que le général Manftein, prcflantM.de
Voltaire de revoir & de corriger- fes mémoires ,
Voltaire av oit répondu: V o ila le ro i qui mrenvoie
f o n linge f a l e a b la n c h ir , i l f a u t que le v ô tre a t tende,
Une autre fois en montrant un paquet de vers
du roi, il avoit dit avec humeur: Cet homme-! a ,
c efi Céfar 6* Vabbé. C.otin , rapprochement qui eft
bien dans le goût de M. de Voltaire, & dans lequel
il efpéroit peut-être que Céfar obtiendroit grâce
pour Cotin j mais en pareil cas l’amour - propre
blefie fe fouvient de Cotin , 8c l’amour-propre flatté
oublie Céfar.
On fait avec quelle hauteur M. de Maupertuis
déploya dans l’académie de Berlin tout fon defpo-
tifme contre Koenig , membre de cette académie ,
fur une queftion , où il s’agifloit de favoir fi Léibnitz *
avoit penfé comme Maupertuis fur un principe de
phyfique; M. de Voltaire ami de Kcenig, mais fur-
tout devenu ennemi de Maupertuis , prit parti pour
le premier contre le fécond ; le roi de Prufle qui,
dit-on , ne fe fbucioit guères de Maupertuis , f e
laifla perfuader que fon honneur éroir intérefie à
défendre l e préfident de fon académie ; il fit brûler
par le bourreau l a d ia tr ib e du docteur A k ak ia , .
plaifânterie de M. de Voltaire, qui avoit fait rire
Paris & Berlin & le roi lui-même aux dépens de .
Maupertuis.: M. de Voltaire ne pouvant fe diflî-
muler l’intention que le roi avoit eue de l’bumi-
üer, lui renvoya fà clef, fa croix & le brevet de
fa penfion, avec ces quatre vers, qui n’étoient pas
encore d'un ennemi :
Je les reçus avec tendreffe,
je les renvoie avçc douleur,
Comnie un amant, dans fa.jalo.qfe ardeur»
: • Rend le portrait de fa maitreflè.
Après quelques feintes réconciliations qui n’é-
totem que des-palliatif«., M. de Voltaire obtint la
;| permiffion plufieurs fois refufée d’aller prendre les
i| eaux de P!lombières; qu’il allurôit être n.éceflaires
|| à fa fanté, mais il n’obtint cette permillîon que*
| fous la promefle de- revenir , promelTe faite par un
i particulier expatrié à un toi dcfpote, qui faifoit.
: garder les frontières de fes Etats par cent cinquante
i mille hommes.
Arrivé à Francfort , hors ;d.es Etats du roi de.
Prufle $ il y tomba malade ; madame-Denis, fa.
nièce, qui étoit reflée., jufqu’alors en France, ac-
coug: fur ie bruit'de fa. malàd'ip pour lui rendre des
foinselfe le trouve prifonnier ; elle craint que
quelque indiferétion ne lui ait attiré ce traitement ,
la choie s’explique, un préfident du roi-de PrulTe
à Francfort., nommé Frèitag1, déclare qu’il a ordre
de: retenir M. de Voltaire jù’Tqu'à Ce qu’il ait rendu
dés effets‘précieux qu’il bmportoit au roi de Prufle :
M. de à Voltaire démânde~!quelis ''font ces effets précieux
>• Frëifâ'g- répond dans fori - baVagOin1 : Ç'être j
mortfir , Foeuvre de P ô e sh e e du ■ro i mont g rac ie U»
m a ître ; Voltairé l’eût rendu fur le champ , mais
il étoit refié à Leipfi’ekr,! parmi d'autres paquets j
Freitag lui figna le billet fuivant :
: « Monfir, filât.' le:gros ballot de Leipfick. fera
ici , .ou efi l’oeuvre de P o ë s h ie d u toi mon maître ,
;qnë fa màjèfié-' demande ;■ & l’oeuvre de Poêshie
rendu à mol, vous pourrez partir où:vous paroîtra
bon. A Francfort, premier' de; juin . 1758 , figné
F r e i t a g , préfident du roi mon maître. »
M.'dç* Vobaire éciivit au bas du billet : bon p o u r
Voeuvre de P q e * u ix du ro i v o tre . m a ître , de quoi
dit-il , le préfîdè-nt fut fort fatisfair.
Le- *7-juin le ballot arriva, fut remis au préfident.
& M. de Voltaire croyoit n’avoir qu’à partir ; on
l’arrête avec éclat, ainfî que fa nièce, fon fecrétaire
& tous fes domeftiques , on les mène dans une espèce
d’hôtellerie, à la porte de laquelle furent
portés douze foldats ;; « on en mit quatre autres
» dans ma chambre, dit M. de Voltaire, quatre
« dans un grenier où l’on avoit conduit mà nièce’,
» quatre dans un galetas ouvert à tous les vents,
» où l’on fit coucher mon fecréta're fur de la paille.
» Ma nièce avoit à la vérité un petit lit ; mais fes
» quatre fô'ldats avec la bayonnette au bout du
» fufîl, lui tenoient lieux de rideaux & defemmes-
» de-chambre. »
Madame Denis avoit cependant un paflenort du
roi de France ; aucun des autres prifonniefs n’étoit
fujet du roi de PrufTe , & d’ailleurs On n’ctoitpoiùt
dans les Etats Je ce prince. Cette détention n avoit !
plus ni caufc ni prétexte; c’étoit feulement , une 1
infulte que le roi de Prufle avoir voulu faire a cet
homme qu'il avoit tant aimé , 8c g » s en fouve-
nant encore , répétoit à tous fes amis : I l a cent
fois baifé cette main M i l v ien t d. enchaîner M. de
V o l t a i r e apr£s, avoir erré de villé.en ville Sc de
cour en cour 5 8c avoir marque chacun de fes «jours
par quelque produftion importante , fixa enfin la
demeure avec madame Denis, fa nièce , dans deux
fémurs qu'il habitoit alternativement : favoir ,d abord
Tournçy, puis Ferney eu France , 8c les Déhces aux
Si l'obligation impofée à l’hiftoiien de dire toqt
ce qui peut fervlt &; peindre mi les .hommes, en :
. vénérai, ou tel homme en ] particulier , emporte ;
F obligation de révéler jufqu'aux moindres ,foi-
hleflcs d’un grand homme ; nous dirons ce que
nous »’avons pas vu , mais ce qui nous a étéâtteité;
par des gens vraiment dignes de foi , c'eft qu’on a
vu pendant quelque-remps des lettres de M. de V o lta
ire * lignées : Le comte de Toarney ; ce plaint non- ■
veau pour, lui d'avoir une terre titrée , lui ,faifoit ■
ipijj&et/.ce titre de ; comte , au : nom même qu'il
avoir eijtvé au-deflus de tous les noms; du moins M.
de BiiSon'affbcia depuis fqn titre de comte, au nom
même qu’il avoit illdftté.
Ferney 8c les Délices furent le port ouM. de V s i -
t a i n refpira enfin après tant d'orages ; ilobtint du roi
de Fiance, pour fa terre de Ferney , des privilèges.
8c flatteurs & avantageux , 8c.il put dite avec vérité
]dans plus d’jitj feus : Après a v o ir vécu che^ des rois
j e ‘me. fu is f a i t ro i chei m o i.
; C'eft une .nouvelle vie qui commence ici pour
M. de V o lta ire . De ce moment il devient l'être
le plus libre qui fou fut la terre , 8c celui qui a
le plus ufi de fa liberté. Il avoir alors près de
Soixante ans, & fes grands talens pour la poëfie en
général, Sc pour la tragédie eu particulier , dévoient
fuivre la loi commune , c'elt-à-âire , décliner.
Cependant, 8c l'O rp h e lin de la Chine & T a n -
c à d e , tragédies , qui feules feraient la réputation,
d'un poète tragique, 8c la comédie hoftile de l'É c o jfa if i, où le rôle de Fréeportmi moins eft
original , 8c où tout le relie eft ïntéreflant, font
des produirions de cette beureufe retraite, 8c fi ce
font-là les coinmcnccmens de fa décadence ,
heureux qui peut | déchoir ainfi 1 Quant aux
ouvrages phiiofophiqncs , dont un li grand nombre
eft forti de Ferney Se des D é lic e s , on pourroit demander
s’ils ont gagné ou perdu eu general a cet
accroiffement ' de liberté que M. de ■ Vo ltaire a
trouvé dans fa retraite ; ils ont gagné fans .doute
du côté de la hardieffe , mais, peut-être ont-ils
perdu quelque chofe du coté du goût. Peut-être
quand M. de Vo ltaire étoit obligé de prendre des
tournures, dé laifler fous-entendre ce qu il ne difoit
H if io lre . Tome r *
pas formellement , de fe refpeéler enfin & de ref-
j>c£ter le publié peut-être avec plus « de décence
avoit-il plus d’agrément, plus de perfcékion , un
goût plus pur. Il eft plus utile qu’on ne penfe
d’avoir quelque chofe à refpeôter. Si la : liberté eft
favorable au génie , la décence, les ménagemens y
le defir Sc le befoin de plaire font très-favorables au
goût. '
M. de V o l t à ih ne perdît jamais le fouvenir de
l’affront langlant qui lui avoit été fait à Francfort s
mais il s’en louvint fans amertume , Sc fans qu’un
fi jufte refienriment lui fermât les yeux fur les
qualités aimables 8c brillantes de ce roi, fon bienfaiteur
Sc fon perfécuteur, le premier des guerriers ,
le; premier peut-être ‘des fouverains de fon temps*
Il Tegréttûit qùë la philofophie qui avoit diété à
! Frédéric V a n t i-M a c h ia v e l , n’eût pas purgé fa
grande ame de ce vieux levain de machiavélifme 5
il regrettoit que ce prince , dont il avoit efpere dç
faire le plus humain des rois, eût verfé tant de fang,
8c eut tant aimé la guerre. Il écrivoit un jour à un
hiftorien, qui a fur-tout écrit pour décrier la guerre
Sc pour en montrer l’inutilité autant que 1 atrocité :
J,q vous avertis Jqu’il y a dans l’Europe un gçand
33' roi qui ne goûte1 point: du tout nos déclamations
'35 éternelles contre la guerre j mais, c’eft un chagrin.
»3 qu’il faut lui donner.
Le roi de Prufle, au comble de la puiflance Bb
de la gloire, fentit que M. de V o lta ire n’étoit pals
un homme avec qui les rois pûflent impunément
avoir tort ; il avoit défavoué Freitag , mais il ne
l’avoit pas puni ,-ce qui étoit un aveu 8c du moins un
refte de pudeur.
La guerre embrafa de nouveau l’Europe ou plutôt
le monde, 8c comme toute grande guerre , elle fut
défafti-eule pour toutes les puiflances. Le roi de
Prufle qui avoit tiré parti de notre alliance dans la
guerre de 174.1 , étoit notre ennemi dans celle de
1 6 , Cette nouvelle partie'de jeu avoit, été arrangée
for des principes nouveaux 8c réglés, dit-on ,
par de petits intérêts de bel efprit 8c de jvanité ; les
maifons. de France 8c d’Autriche-Lorraine , fi.
acharnées ’l’une contre l’autre dans la guerre précédente
8c dans tant d’autres guerres , etoient alors
alliées 8c amies, 8c fe montroient beaucoup moins
puiflantes dans leur réunion , qu’elles n’avoient
paru l’être l’une contre l’autre. Ce fut alors fur-tout
qu’on vit toute la vérité de ce que M, de V o lta ire
avoit dit dans une autre occafîon :
Par des nceuds étonnans l’altière Germanie ,
A l’empire-françois malgré foi réunie ,
Fait de l’Europe entière un objet de pitié ,
Et leur longue querelle
Fut cent fois moins cruelle
Que leur trifte amitié. 3
H M i k