
chèrent à leur donner plus de force & à les mettre
autant qu’il feroit poflible , hors d’atteinte pour
l ’avenir, furtout celles qui conçei noient l'appel de
tout jugement au peuple, l ’inviolabilité de la perforine
des tribuns & la puiflance des loix tri.hu-
ni tiennes.
Les Eques , les Volfques, & les Sabins avoient
prefque toujours été vidorieux contre les deeem
virs j ils trouvèrent dans les deux confuls , def-
trudeurs des décemvirs , des généraux plus redoutables
, parce qu'ils étoient plus aimés de leurs
foldats , Valerius battit les Eques & les Vols-
ques , Horatius , les Sabins ; tous deux arrivèrent
prefque enfemble à Rome pour faire part au féuat
de leur victoire & demander les honneurs du
triomphe; le Ténat en haine de leur popularité,
eut rinjufticc de les refufer : les confuls s'adressèrent
au peuple qui d’un confentemement unanime
Luc accorda ces honneurs. Ce fut le pre
mier exemple d’un triomphe défi ré par ordonnance
du peuple & (ans Je confentemenc du fénat, & c'eft
aïnfi que l’injuftice fait prefque toujours perdre
quelque choie à l'autorité.
7°. L’an 406 de Rome , dans le cours de la
guerre contre les Gaulois, un Gaulois d'une taille
énorme vint défier à un combat fîngulier les braves
de l’armée romaine» Marcus Valerius , jeune officier
romain , ayant pris les ordres de Camille
(on général, accepta le défi & tua le Gaulois.
Voilà ce qu'il y a d’hiftorique dans cet événements
Voici le merveilleux qu’on y a mis. Un
corbeau prit parti dans ce combat , & fe perchant
fur le cafque de Valerius, combattit pour
lui contre le Gaulois qu’il aveugla de (bn bec
& de fies griffes. Nous ignorons fi le fait peut être
v ra i, & fi quelque caulè inconnue ou mal ap-
perçue 3 mais dont la phyfique pouiroft rendre
compte , animoit airrfï ce corbeau contre le
Gaulois , ce qu’i l y a de certain , c’eft que
Marcus Valerius avoit le furnom de Corvus ou
Corvinus, & qu’il le prit, d it-o n , d’après ce
combat.
Quand Valerius voulut défarmer & dépouiller
l'ennemi qu’il avoit vaincu, les Gaulois fc mirent
en mouvement pour l’en empêcher & les romains
pour défendre V"îlerius. Camille alors exhortant
lès troupes animées déjà par la vidoire de Va-
lérius ; allez, foldats, leur dit-il , allez achever
l ’ouvrage de cc brave tribun. La bataille s’engagea,
la vidoire fut complette , de Valerius eut encore
l’honneur d’y contribuer.
Augufle confacra, près de quatre fiècles après,
une fia tue dans une place de Rome , à la mémoire
du combat de Marcus Valerius , contre le
Gaulois , & le corbeau n’y fut pas oublié ; il
fembloic voltiger fur le cafque de Valerius,
Ce combat aVoic fait une fi grande imprefltott
fur les efprits-', que Valerius - Corvus , quoiqu ab-
fent & quoiqu’âgé feulemert de vingt-trois ans,
fut élu conful pour l’année fuivante 407 ; il le
fut pour la fécondé fois l ’an 409, & pour la tro%-
fièm: l’an 411. Cette même année il eue la gloire
de vaincre le plus redoutable ennemi que Rome
tût encore eu à combattre, le« Samnitcs. C'eft
cette j'euneffe Samnite qu’Horace nous repréfente
comme accoutumée de bonne heure aux plus dûtes
fatigues & à la plus fouple obéiflance, & qu’il
oppofe à la mollelfc des romains daxls les fiècles
corrompus.
Non lits juventus orta parentibus
Infscit esquor fanguine punico ,
Pyrrkumque & ingentem cecidit
Anùochum Annibalemque dirum«.
Sed rufiieorum mafcula milïtum
Proies, fabellis do Sa. ligonibus
Verfare glebas, & feveree
Matris ad arbitrium recifos
Portare fufles.
Valerius-Corvus (V piquo’t de ta même popularité
que fes ancêtres, il la déployoit dans les
camps & parmi les foldats comme dans les afi.
(emblées du peuple L'an 388 de Rome , le peuple
avoit obtenu qu’un des deux confuls pût être pris
parmi les Plébéiens , & cette concefïicn forcée
déplaifoit beaucoup au fénat & aux patriciens.
Valérius en tiroit vanité. » Soldat comme vous,
difoit-il, c’eft: à ma valeur feule que p’ai dû més-
trois confulats. On ne m'a point vu cabaler parmi
les nobles pour parvenir à ces honneurs. 11 fut
un tems où l’on auroit pu dire : il 11’eft pas étonnant
, que les confulats s’accumulent fur la tête
d’un Valérius , le confulat eft entré dans fâ maifon
dès qu’il a commencé d’ex’fter , c’eft un patricien ,
il defeend des premiers libérateurs de la patrie.
Aujourd’hui on ne confidère plus les ancêtres,
mais les feivices , patricien, plébéien , tout eft
égal, tout citoyen , tout foldat peut afpirer au
consulat, c’eft à lui de le mériter , le champ lut
eft ouvert, le prix l’atrend. Je ne dois rien à
mes ayeux , mais leur mémoire ne m’en eft pas
moins chère , ils m’ont donné l ’exemple de rechercher
& de mériter la faveur populaire , je
leur dois cc titre de 1Publicola , la plus belle
portion de leur héritage , titre qui ne m’eft pas
moins cher que ce furnom de Corvus , monument
de ma valeur & de mon bonheur perfonnel,
& que vous m*avez donné comme par l'ordre
des dieux-mêmes. C e titre de Publicola, j’o Ce ici
vous attefter , m’a trace tous mes devoirs , a été
la règle de ma conduite. En paix , en guerre ,
(impie particulier, élevé aux premières places de
la république, foldat , général,
Scu me tranquilla feneSus
Expeftalf
EffpeSat, feu mofs atris ciràumvolat alis,
Vives, inops, Romce, feu fors itajujferit, exul,
j’ai toujours été attaché au peuple , je le ferai
toujours.
C’eft avec de tels difeours qu’il menoit les romains.,
combattre 8c va:nc«e les Samnites.
Tite - Live lui rend le témoignage que jamais
général ne fut plus familier avec fes foldats j qu'il
partageoit avec eux les fondions militaires les
plus pénibles ; que dans les jeux guerriers où l’on
difputoit le prix de la force de corps .& de la
légèreté , il ctoit toujours prêt à entrer en
lice avec le premier qui .s ’offroit , & que vaincu
ou vainqueur il oonfervoit toujours cette férénité,
ceite affabilité populaire de Valerius ; qu’éga'e-
fiKnt attentif à repeder la liberté dans les autres '
& à foutenlr fa propre dignité, nul ne fut jamais
mieux l ’art de defeendre fans s’avilir , & ce qui
eft partout extrêmement rare, qu’il confervoit toujours
dans l’exercice des magiftratures, les vertus
qui les avoient méritées. Non alius militi dux
familiarior fuit , omnia inter rnfirmos militum haud
gravaté munia obeundo. In ludo praterea militari ,
cum velocitatis viriumque inter fe aquales certamina
ineunt, comiter facilis 3 vincere ac vinci vultu
eodem , nec quemquam afpernari parem , qui fe
offeret............ haud minus libertatis aliéna quam
fua dignitatis memor : & quo nihil popularius eft,
q u i bus artibus petierat magiftratus , iifdem ge-
rebat.
Dans cette bataille contre les Samnites, voyant
que la cavalerie ne pouvoit entamer un gros bataillon
, qui préfentoit par tout un front hérifTé
de lances , il la fait replier fur les deux ailes ,
& fe mettant à la tête de (ou infanterie: » Suivez-
moi ; dit-il, je vais vous ouvrir une route à travers
cette forêt de lances ; il fe jette au milieu
du bataillon des Samnites 3 tue de fa main le
premier Samnite qu'il rencontre , & après des
efforts extraordinaires de courage & de confiance ,
& dans l’attaque,& dans la défenfe , il parvient
enfin à enfoncer le bataillon. Il termine la campagne
par une nouvelle vidoire , non mo;ns complette
remportée fur les mêmes Samnites & revient
triompher à Rome.
L ’année fuivante ( 413.) les foldats de l’armée
qu’avoit commandée Corvus 3 étant en garnifon
à Capoue , lieu déjà funefte à la difeipline militaire
& favorable à la corruption par la molelfe
& les délices, jam tiim minime falubris militari
difeiplina Capua, ditTitè-Live, formèrent le complot
d'en égorger les habitans& de s’y établir à leur place.
La co.ufpiracion ayant été] découverte fe changea
en une révolte manifefté contre la république , & les
foldats de Capoue marchèrent droit à Rome en
corps d'armée. Ils avoient pris la précaution de
tnçttre a leur tête un personnage impofant par
Hiftoire Tome V,
fa naüTance fes vertus & (es (èrvices pafles, Tîms-
Quintius qui s’étoit retiré à la campagne , ou il
vivoit paifible & fans ambition, regrettant feulement
de ne pouvoir plus fervir la patrie & plus incapable
encore de fervir contre elle. Les rebelles Tachant
bien qu’il ne fe réfoudroic jamais à les commander ,
ne laifsèrent poîflt la chofe à (on choix , il allèrent
l ’enlever pendant la nuit & le mirent à
leur tête ma'gré lui. Rome dans ce prefiant danger
élut didateur Valerius-Corvus , & il s’avança juf-
qu'à quelques milles de Rome , avec une armée
nouvelle, contre cette même armée avec laquelle
l’année précédente il avoit vaincu les Samnites ;
ce fut alors qu’on yit pour la prem ère fois ,
comme dit Lucain,
Infefiis obvia Jignis
Signa, pares aquïlas, & pila nünantia pi lis.
Mais le démon des dtfeordes civiles n’avoît pas
encore verfé fon poifon jufqu’au fond des âmes,
ie citoyen relpedoit le lang du citoyen, nondum
erant tam fortes ad fanguinem civilem , dix Tite-
Live. A l’afped des armes & des aigles romaines,
les difpofitions des rebelles étoient déjà moins fî-
niftres ; mais quand i's reconnurent quel étoit le
didateurv qui s’avançoit pour les châtier, l ’audace
& la fureur eurent bientôt fait place à l ’at-
tendriffement & au re(pe&. » Compagnons, leur dit
Valerius avec fa férénité touchante , en partant
de Rome , j’ai demandé aux dieux immortels ,
aux dieux de la patrie , vos dieux & les miens ,
non pas la gloire de vaincre ceux avec qui j’ai
vaincu les Samnites , mais celle de les ramener
à la paix & à la concorde; c ’eft à vous à exaucer
ce voeu de mon coeur. Regardez où vous êtes
& où vous allez ; ce n'eft point ici le pays des
Samnites ou des Volsques , reconnoiflez le territoire
de Rome | reconno-ffèz les collines de la
patrie ; reconnoiffez dans cetre armée qui me fuit,
vos parens , vos alliés, vos concito,vens; recon-
noiiïez dans ce didateur , que vous avez rendu 11e-
cefiaire, le conful fous lequel vous aimiez à mar-^
cher ,• votre général , votre ami ; vous le trouverez
toujours le même , c’eft toujours l’héritice
& l’imitateur de Publicola. Avez vous i lui reprocher
quelque loi ou quelque fénatus-confulte
contraire aux intérêts & aux droits du peuple
& des foldats? A-t-il dégénéré de la popularité
des Valerius ? Voyez vous en lui un juge inflé-
xible , un ennemi implacable ? Non je ne commencerai
point cette guerre impie & facrilège ;
non, les fons de la trompette qui donneront le
fignal de la-difcorde & de la fureur ne partiront
point de nos paifibles rangs : ces citoyens fidèles
qui m’accompagnent , s’ils font attaqués, je les
défendrai (ans doute jufqu’à J a dernière goûte de
mon fang, mais je n’ atraquerai point mes compagnons
égarés, je ne me fouillerai pas volontairement
d’un fang qui m’eft toujours facré
c ’eft à vous, mes enfans, à voir fi vous ayez ré-
K k k