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comme Zaïre mène. Cette épttre 5 dêllcieufe ,
fi anacréontiquè à la jeune & charmante aftrice
qui avoit joué le rôle de Zaïre , ne pouvoir être
faite que par M. de V oltaire , & que pour made-
moiCelle Gaudin.
Le temple du g o û t feandaiifa & révolta; il cho-
quoit plufieurs opinions établies ; mais il fit d.f-
paroitre ces opinions , & confacra toutes celles
qu il établifîqit. Ce fut une grande victoire remportée
fur les préjugés en matière de goût. M. de
fuïperfécuté pour feslettres philofophiques,
c eft à dite pour fes lettres fur les Angloisj elles
furent Supprimées par un arrêt du confeil , brûlées
par un arrêt du parlement, & des informations
furent ordonnées contre l’auteur. Il fut perfécuté
mcote pour 1 epitre a U ra n ie . Il le fut pour quelques
fragment de la P ne elle qui furent connus par 1 in-
diferétion de quelques amis , car il eft inconcevable
combien on fe porte faci'eroent à expofer
les meilleurs amis par la petite vanité de montrer
qu’on fait ce que tout le monde ne fait pas, &
qu on eft dans la confidence d’un homme illuftre
ou de fes entouis. Le garde des Sceaux ( c'étoit
M. Chauvclin alors ) menaça M. de Vo ltaire £ u n
c u l de bajje-fojfe , f i j am a i s i l p a ro if fo it rien de cet
o u v rag e .
M. de V o lta ire vouloir tout dire & tout ofer ,
& cependant échapper à la perfecution. Pour être
indépendant il voulut etre riche, il plaça une partie
de fa fortune dans les pays étrangers’.
Un lieu vous déplaît-il? vous paffez dans un autre.
Une liaifon qui fit îong-tems la douceur de fa
vie le fixa cependant en Fiance, mais le tint
allez éloigné de Paris dans une retraite qu’il fe
plut à embellir , & où il cultiva long tems en paix
les lettres & les fciences. Cette liaifon étoit celle
de l’illuftre marquife du Châtelet ( voyeç fôn article
) , & cette retraite étoit Cirey . M. de V o lta ire
s’éiaiiça pendant quelque tems avec fa fublime amie
dans^ les profondeurs delà philofnphie de Newton ;
il mit en beaux vers les principaux objets de cette
phiiofophie. Bientôt fon génie également ardent &
facile, embrafia tout, s’éleva aux plus hautes fpé-
culafons , dcfcendit aux amufèmens en apparence
3es p'us frivoles rendus toujours importans & utiles
par la phiiofophie, il s’exerça dans tous les genres.
Tous les goûts à la fois font entrés dans mon ame,
Tout art a mon hommage & tout plaifir m’enflamme»
Ditr-il lui même»
, Çe &Ç pour madame la marquife du Châtelet, qui
T. aimoit pas 1 hiftoire , ( parce qu’en général il y
a peu d’hiftoires philofophiques & bien écrites )
mais -qui vouloit cependant la connoitre, qu’il com-
.pofe fon e j f a i f u r .1 h ifioire g én é ra le , Cet ouvrage,
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i Vhifioire de Charles X//, & du C \a r P ie r re I , le
fiécle de Louis XIV , font, malgré quelques inadvertances
& quelques inexaétirudes, ( corrigées pour
la plupart actuellement ) , les ouvrages hiftoriqires
les plus utiles pour la conno:ffance des hommes ,
& qui contiennent le plus de vérités importantes.
On ne peut qu’être indigné de l’indécence avec
laquelle a parlé deM.de V o lta ire fous ce rapport,
un écrivain plein d’humeur 8c de caprice, & dont
la grande réputation pofthume n’eft elle-même ,
à quelques égards, qu’un caprice du public.
Dans les contes philofophiques, que peut-on
..Comparer à Z a d ig , à Memnon , à Babouc , & dans
un genre non moins phiiofophique & plus libre,
à C a n d id e , à f Ingénu , à S c a rm e n ta d o , &c.
A travers toutes ces dlftraétions , il étoit toujours
fidèle à la fcène ftançoife, fur-tout à la tragédie;
il y revenoit toujours; il en foutenoit l’éclat & la
gloire. A t t i r e , M a h om e t, Z ulime , Mérope , Sé-
m iramis , O refie , Rome f a u v é e , C Orphelin de la
Chine i Tancr'ede enfin, lorfque le théâtre débar-
rafle de fpeétateurs , permit d’y expofer de grands
. fpedacles & d’y développer de grands mouvemens ;
voilà quelles furent, depuis 1732 jufqu’en 1760,
les grandes productions dramatiques de M. de Volta
ire . Ici commence l’époque de la décadence de
ce giand homme qui eue comme Corneille fes
Ag é f i la s 81 fes A t t i l a . Olympie qui fuivit Tancréde
a encore de grandes beautés, les Scythes mêmes ont
un intérêt afl°z attachant. Le refte ne fait plus
fouvenir de M. de V o lta ire que de tems en tems
& de loin en loin.
Inventas eùam disjeSi membrapoëtte.
II y a cependant jufques dans cette I rè n e qu’iî
fit jouer à Paris en 1778 à quatre-vingt quatre
aus, deux ou trois traits qui n’auroient pas pu être
mieux .dans fen meilleur tems.
On a jugé que M. de Vo ltaire avoit moins réufli
dans la comédie. La comédie chez lui eft d’un
genre mixte , c’eft-à-dire qu’elle réunit le genre
touchant & pathétique , & le comique proprement
dit. Le pathétique étoit l’apanage particulier de M,
de V o lta ire , & la partie touchante de fes comédies
eft toujours excellente. Rien de plus beau que les
rôles des deux Euphémons & de Life dans l ’E n f
a n t p ro d ig u e . Rondon & Croupillac font des caricatures
groffières. Le comique de Na n in e eft
fouvent meilleur , parce qu’il naît de la fituation ,
mais il n’eft pas comparable en mérite aux rôles
du comte d’Olban & de Nanine. M. de V o lta ire
d bon plaifànt, fi fur d’exciter le rire & d’imprimer
un ridicule ineffaçable aux perfonnes & aux
choies quand c’étoit lui qui parloit „ n’étoit plus
le même 5c fortoit de la vérité quand il faifoit
parler les perfonnages ridicules. Il trou voit dans
le pathétique de fon. ame de quoi fe. mettre par-
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faïtemettt à la place des héros tragiques 8? des
perfonnages nobles & intéreflans de la comédie ,
& il favoit les faire parler convenablement ; mais
il n’avoit pas en lui dequoi faire agir 8c parler
conformément à leurs travers , les perfonnages
bas & comiques ; il favoit donner des ridicules
8c il ne favoit pas les peindre. Le philofophe nuifoit
en lui au peintre fanatique , il jugeoit & n’imitoit
pas, il traduifoit en langage phiiofophique l’ex-
preflion des travers & des vices ; il faifoit dire à
les perfonnages ce que les autres difoient ou pou-
voient dire d’eux, 8c ce que perfonne ne dit
jamais de foi. C’eft encore un défaut contre la
vérité que de mettre dans la bouche des perfonnages
de certaines idées ridicules, qui font bien
dans le fond de leur ame, mais qu’elles fie s’avouent
pas j par exemple, lorfque dans N a n in e , la baronne,
îemme altière, regardant tous les avantages humains
comme l’appanage de la naiffance, s’indigne de
voir Nanine fi belle , s’écrie :
Où la beauté va-t’elle fe loger ?
& ajoute :
C’eft un affront fait à la qualité.
Il eft clair que ce dernier trait ne doit pas naturellement
échapper à la baronne, qu’il ne convient
qu’à un philofophe qui l’obfèrve, ou qu’à
une foubrette fine 8c maligne qui lit dans fon ame
& qui va y faifir un fentiment ridicule , que la
baronne n’apperçoit pas elle même, eu du moins
n’avoue pas. Il en eft de même à peupièsdecet
autre mot :
Que je la hais ! quoi ! belle & de l’efprit l
On foûrit à ces traits , parce qu’ils expriment
le fentiment de la perfonne qui parle, & qu’ils
ont par là une forte de vérité , mais le rire eft
bientôt arrêté par la réflexion que le perfonnage
ne doit point parler ainfî.
Ce tort de faire dire aux perfinnages ce que les
autres difent d’eux , M. de V o lta ire ne l’a pas
toujours borné à la comédie ; c’eft une forme que
la phiiofophie lui fait prendre trop fouvent. Il
introduit Rouffeau dans le temple du goût avec
toutes fes paflions & tout fon orgueil, & cependant
il lui fait dire :
Le dieu qui rime , eft le feul dieu qui m’aime.
Voilà ce que les ennemis de Rouffeau , ou fes
juges févères, ou fi l’on veut tout le monde pou-
Voit dire, excepté le feul Rouffeau. .
Dans une épitre qui eft un tableau des ufages
de Paris , M. de V o lta ire peint une jeune femme
qui , bien parée , va par défoeuvrement faire une
vifite à une autre femme pareillement défoeuvrée.
Elle entre, & baille, & puis lui dit : „ Madame,
»> J’apporte ici tout l’ennui de mon ame ;
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h Joignez an peu votre inutilité
„ A ce fardeau de mon oifiveté.
Voilà ce qui eft; mais voilà ce qu’on ne dit
point.
Concluons que M. de V o lta ire n’a pas mis la
même vérité d’imitation dans la comédie que dans
la tragédie , 8c qu’il a mieux fu peindre les pallions
que les ridicules. Il fit M a h om e t , il n’auroit vrai-
femblablement pas fait Tartuffe.
Ces deux pièces avoient le même but moral
elles éprouvèrent les mêmes contradiétions. Il s’agif-
foit dans l’une & dans l’autre de démafquer l’hy-
pocrifîe, de décrier le fanatifme & la fuperftition.
Les mêmes ennemis s’élevèrent contre ces deux
ouvrages , & les fentimens & les^opinions connues
de M. de V o lta ire fournirent encore plus de prétextes
contre M a h om e t & firent plus aifément foupçonnef
des allégories dangereufes. M a h om e t fut joué a
Lille en 1741. M. de Crébillon , cenfeur de la
police , ne voulut jamais donner fon approbation
alors néceffaire, pour qu’on jouât à Paris une pièce *
« qui en prouvant . dit M. de Condorcet, qu’oiï
pourroic porter la terreur tragique à fon comble ,
fans facrifier l’intérêt & fans révolter par des horreurs
dégoûtantes, étoit la fatire du genre dont
il avoir l’orgueil de fe croire le créateur & le mon
dèîe. »
M a h om e t n’étoit point la fatire de ce genre *
puifqu’il en étoit le plus parfait modèle, mais on
entend bien que Fauteur veut dire que cette pièce
étoit la fatire de celles de Crébillon. Il y auroit
bien des chofes à dire fur cette critique inutile 8c
févère des pièces de Crébillon,nous nous contenterons
d’obferver que nulmotif de rivalité n’influa vraifem-
blablement fur ce refus d’approuver M a h om e t y
8c qu’il n’y avoit alors aucun cenfeur qui eût ofé
l’approuver, à caufe des allégories réelles ou imaginaires
dont oil a parlé; & lorfqu’en 17y 1 M. le
comte d’Argenfon nomma extraordinairement &
pour ainfi extiajudiciairement, pour examiner cet
ouvrage,un homme de lettres qui n’étoit pas cenfevr,
& qui étoit ami de l’auteur , c’eft que le parti
étoit pris - à la cour de permettre la repréftntation
de cette excellente tragédie. Quand la pièce avoit
été défendue à Paris, M. de V o lta ire avoit eu la
bonne politique de la mettre fous la protection du
pape Benoît XIV, Profper Lambertini, pontife tolérant
& homme d’efprit , auquel il envoya deux vers
latins peur fon portrait (-voyez l’article Benoit XIV).
Benoît prit très-bien la plaifanterie, M. de
Vo ltaire les complimens d’ufage en pareil cas,
& lui envoya des médailles.
« M é ro p e , dit M. de Condorcet, eft jufqu’ict
la feule tragédie où des larmes abondantes & douces G s g g *