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Bofluet n’a pu faire approuver à la pollen té , le
nurtc dimittis que le chancelier prononça dans cette
occafion, ÔC qui eft en effet le cri coupable du fa-
natifme ôc de l’intolérance. Cette ora'fon funèbre de
le Tellier, prononcée par Bofluet, & ou le chancelier
eft toujours repréfenté comme un jufte ôc un
grand homme eft peut-être ce qui a le plus décrié
les oraifons funèbres : M. le président Hénault, oui
loue toujours un peu trop aifément tout ce qui a été
agréable à Louis XIV , loue aflez M. le Tellier. « Le
» Tellier , dit-il, au/oit l’efprit net-, facile, & ca-
» pable d’affaires ; perfbnne ne fut avec plus d’adrefle
» fè maintenir dans les diverfès agitations de la cour ,
»> fous des apparences de modération, & il ne pré-
» tendit jamais à la première place dans le miniftère ,
»» pour occuper plus sûrement la féconde. » Quelle
eft donc cette première place dans le miniftère à
laquelle le Tellier ne prétendit jamais ? Ce n’eft af-
furément pas la chancellerie ; c’eft la place de premier
miniftre ; il paroît que perfonne n’y prétendit
fous Louis XIV ; depuis la mort du-cardinal Mazarin
& la difgrace de Fouquet , on favoit trop bien que
Louis XIV fe piquoit de mériter l’éloge contenu dans
ces deux fameux vers de Boileau:
Et qui feul fans miniftre, à ^exemple des Dieux,
Soutiens tout par toi-même ôc vois tout par tes yeu|jg|
Il fe piquoit même d’avoir formé fês miniftres,
fans en excepter ceux qui l’avoient formé lui-même
à fon infçu. ,
Il eft vrai que le Telüer avoit dans le carâélère
tjne foupleffe ôc une foibleffe qu’on pouvoit prendre
quelquefois pour un défaut d’ambition. M. le- préfixent
de Lamoignon , fils du premier, préfident, raconte
que fon père ayant Touvent propofé à Louis X IV
de porter dans la juftice le même efprit de réforme,
que M. Colbert portoit dans les Finances, M.
le Tellier qui afpiroit ouvertement à la dignité
de chancelier , pria M. le premier Préfident, dont il
çraignoit la concurrence, de lui laifler prendre la
première place dans cet ouvrage ; M. le premier^
préfident y confentit , mais en le priant de ne pas
en ufer comme il avoit fait lors de la chambre de
juftice, ( dans l’affaire du procès de M. Fouquet )
» car, apres lui avoir promis qu’il ( le premier
v préfident ) n’auroit de relation qu’avec lui , il
n l’abandonna , auflitôt qu’elle fut commencée, à l’im-
»> pétuofité de M. Colbert.
i » Ce qui étoit arrivé dans la chambre de juftice, ,
arriva encore dans la réformation ; ( c’eft à-dire :
que Colbert s’en empara , ôc fit faire cet ouvrage par i
Püflort ôc par d’autres de fon choix ) Ce miniftre
» (le Tellier ) n’a, jamais été bien fûr pour les gaian-
» ties. Il n’aime que fa famille , ôc for-tout fa péril
fonne, ôc il eft fi foible , que fi fon fils n’avoit
i? pas pris fur lui l’afcendant qu’il a , on le verroit
»> fans auçun chagrin porter le porte*feuille che? M, j
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» Colbert ; qui étcit, il n’y a pas trente ans, com-
»> mis d’un de fes comm s. n *
C ’étoit donc cette foibleffe qui lui donnoït fouvent
l’air de la modération jamais on pouvoit dire de lui
à la cour ;
Et fes roulemens d’yeux & fon ton radouci
N’impofent qu’à des gens qui ne font pas d’ici.
En effet , dans le temps du déchaînement de
Colbert contre Fouquet, quelques perfonnes que ce
déchaînement révoltoit, y oppofoient la modération apparente
de M. le Tellier. M. de Turenne n’en fut pas
la dupe : « il eft vrai, dit-il, que M. Colbert a plus
» d’envie que Fouquet foit pendu , ôc que M. le
» Tellier a plus de peur qu’il ne le foit pas ; mot
qui contient un jugement fin fur les caraélères.
” Il eut, dit l’abbé de Saint-Pierre , deux moyens
» principaux de réuflîr ; l’un c’étoit d’étudier mieux
» que fes rivaux, toutes les chofes qui déplaifoient
» à celui qui gouvernoit, pour les éviter , ÔC toutes
» les chofes qui lui plaifoient, ôc celles qui lui pîai-
* foient le plus, pour les rechercher avec foin dans
» l’étendue de fon miniftère. Le fécond fut de détruire
n finement, doucement ôc lentement dans l’efprit du
» maître , tous ceux qui entroient en quelque fa-
» veur.. . . . . . .
» On lui attribua pour maxime : qu’un habile
a voyageur doit fonger à renverfer de bonne heure les
» arbres à droite 6* à gauche , de peur quils ne vien-
» nent à tomber & à fe rencontrer dans fon chemin;
Voye^ à l’article P e l e t i ê r ( le ) , comment par
une critique adroite 6C obligeante qu’il fit du caraâère
de M. le Peletier, qu’il aimoit ôc qu’il ne çraignoit
pas, il le fit préférer pour la place de contrôleur-
général à fês concurrens, qu’il combla d’éloges perfides
pour les perdre.
» Un jour , dit encore l’abbé de Saint-Pierre»
n le roi lui louoit la capacité & la probité de feu
» M. de Harlay , ôc difoit que ce feroit un bon chan-
» celier ; il convint de tout, & même il y ajouta
» d’autres louanges : mais cependant je craindrois ,
» ajouta-1—il , que la cire ne devînt pas molLe-entre
n fes mains \ le roi comprit à ce mot, que Harlay
» réfifteroit quelquefois à fes volontés, lorfqu’il fau-
» droit fceller certains édits; ainfi il ne longea plus
a à le donner pour fucce fleur à le Tellier.
Le comte de Grammont le voyant fortir un jour
du cabinet du roi, plus gai qu’à l’ordinaire , difoit :
il me femble que je vois une fouine qui vient d'égorger
une demi -dou faim de pigeons dans u,n colombier, 6* qui
en fort en fe léchant encore les. barbes.
n Le Tellier, après le confeil, reftoit quelquefois
» un demi-quart d’heure feul avec le roi , & or-
» dinairement ç’étoit pour rendre de mauvais offices
» à diverfes perfonnes, mais toujours fous le pré-
» texte de confolter le roi comme un oracle de
h fagefle , « ., • • , il lui avoit perfuadé que fa majefté
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D favoit plus dans la guerre que les pluè habiles
» généraux, ôc qu’il étoit l’auteur de toutes les bonnes
»> vues qùi avoient réuflî;
Il n’avoit donné qu’une inftruÔion à Louvois fon
fils, c’étoit de louer toujours le roi :
On ne peut trop louer tro:s forté's de perfonnes.
Les Dieux., fa maîtrefle Ôc fon roi.
»> Voilà , dit l’abbé de Saint-Pierre , pourquoi le
roi fe plaifoït plus à travailler avec le Tellier &
v avec fon fils, qu’avec les autres fecrétaires d’étau. .
» Pour intéreffer davantage le roi à la fortune de
» fon fils , il avoit trouvé le moyen de perfuader
î> à ce prince -, que c’éto t l’élève du roi même ôc
i> fa créature , & qu’il n’avoit de lumières que celles
)> qu’il empruntoit du roi. Gela étoit venu au point
v que c’étoit le roi qui prenoit foin de raccommoder
v le fils avec le père , qûànd le père paroiftoit mé-
v content de la conduite du fils c’étoit, je crois,
•*> le courtifan .le plus fin ôc le plut» adroit flatteur
» qui eût depuis long-temps paru à la cour •; mais
»> il n’a voit nul trait de bon citoyen ^ ôc trait oit de
» fottife la juftice ÔC l’amour du bien public, quand
» ils fe trouvoient oppofés à l’augmentation de la
» fortune. »
On fait combien la tragédie d’Eflher eft par-tout
allégorique : voici ce.quon y trouve jufoues dans
les choeurs contre les gens du cara&ère de le Tellier
£c de Louvois.
Rpis ! chaïïez la calomnie ;■
Ses criminels attentats
Des plus paifibles états
Troublent l’heureufe harmonie*
Sa fureur de làng avide
Pourfuit par - tout l’innocent
Rois l prenez foin de Tablent
Contre là langue homicide*
De ce monftre fi farouche
Craignez la feinte douceur,
La vengeance eft da^s fon coeur,
Et la pitié dans fa bouche.
La fraude adroite ôc fubtile
Sème de fleurs fon chemin;
Ma:s fur fes pas vient enfin
Le repentir iqûiile.
D ’un fouffîe TAqüîion écarte' lés nuages 9
Et chafle au loin la foudre ôc les orages*
Un roi fage, ennemi du langage menteur,
Ecarte d’un regard le perfide impofteur*
Détourne1, foi puiffant, détourne tes oreilles
De tout confeil barbare ôc. menfonger.
11 eft temps que tu t’éveilles;
fiijioire'. Tome
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Dâtls le fang innocent ta main va le plonger,
Pendant que tu fomïneilles.
Détourné, roi - puiffant -1 détourne tes oreilles
De tout confeil barbare ôc menfonger.
Louis X IV . après une repréfentaripn à’Eflher j
difoit à madame de Sévigné : Racine à bien de
T efprit. Il étoit bien éloigné de lavoir combien Racine
avoit d’çfprit, s’il ne fentoit pas toutes ces.leçons in*
directes ; ôc s’il les eût fenties , les auroit- il goûtées?
2°. François-Michel le Tellier-, marquis de Louvois,
fils du chancelier. Les allufions d[EJiherjt ce miniftre
font encore plus fortes 8c plus direéfes. Aman
eft viftblement M.de Louvois;, les juifs prbfcrits par
. Aman , font viftblement les proteftâns perfécutés par
Louvois , ôc comme Eft lier eft bien évidemment
madame de Maintcnon , le but de la pièce n’eft pas
d’établir une parfaite intelligence entre cette dame ÔC
le marquis de Louvois , qu’elle n’aimoit guères. ,M.
de Louvois n’eft pas feulement défigné dans la pièce
par la fituation générale ÔC par fon caraélère altief
ÔC inflexible, il T eft encore par des traits parücuiier$
ôc perfonnels :
Il lait qu’il me doit tout i
Dit Aman en parlant d’Affuérus; 'On favoit que M.
dé Louvois avoit dit la même thofè de Louis X IV y
que Louis XIV en écoit inftruit ôc qu’il en étoit indigné
; ce propos étoit en effet'bien contraire aux
leçons que l'adroit le' Tellier avoit toujours données
à fon fils ; « mon fils î lui difoit—i l , comptez que
» vous êtes perdu , fi le roi vient feulement à foup-
» çonner que vous ayez plus (Tefprit que lui. Mort
fils ! faisitci petit, difoit Parménion à Philotas.
Les partifans de M. de Louvois , en convenant
de la fierté , de la dureté même qu’on lui 'reprochoit
, difoient que jamais On n’avoit vu de miniftre
plus zélé pour la gloire du roi , & que ç’étoit là
le but unique où fe rapportoient toutes fes démarches
ôc même fes fautes ; auffi lorfqu Eflker déftgne Aman
par. ce vers »
Ün miniftre ennemi de votre propre gloire.... . ^
Aman s’écrie-t-il i '
De votre gloire ? moi Î-Ciel ! le pouf riez-vous croire?
Moi, qui n’ai d’autre objet, ni d’auî'fe Dieu.. . . , «
Mardoehée., qu’Aman veut perdre pour n’avoif
pas voulu fléchir le genou devant lui , ÔC dont il
dit, avec toute la fenfibilité du 'defpotifme ôc de l’or*
gueil bleffé :
L'infolent devant moi ne fe courba jamais.
Mardothée repréfonte tantôt Turenne contrarié^
D d