
affez ordinairement de ces tnonftrueufes mirques
de zèle. Cicéron , foiblé & timi le dans tout le
cou.s de fa vie & de Tes malheurs, retrouva tout
fon courage^pour mourir noblement* Ses efclaves
vonloient ie défendre, il fit arrêter fa lricre , leur
fit fer.tir avec l’autorité d’un ma'tre & la douceur
d’un père, que fon heure étoic venue,qu’il falloit
céder au fort & fouff.ir ce qu’il 11 é oit pas en leur
pouvoir d’empêcher > enfuite regardant fixement
les afialïïns, il tend t la tête hors de la portière
& la tint fe:me & immobile; le centurion Hérennius
la lui coupa, tandis que (ês'folda s eux-mêmes touchés
& du malheur & de la confiance de cet homme
refpeétable, baifloient les yeux & fè voiloient le
vifage. Le centurion lui coupa auffiies mains parce
qu elles avoient écrit contré Anto’ne; il alla porter
cette tête & ces deux mains à Antoine qui outragea
ces trifies reftes par le plaifîr avec
lequel il les reçut, par l’attention av»de avec laquelle
il les copfiJéra , par les éclats de rire indé-
céns qu’il fe permit à cet afpeéf, il les fit expofer
à la tribune aux harangues, c’eft-à-ùire dans le
théâtre même de la gloire de eet orateur, & dit
que puifqu’il avoit vu la tête de fon ennemi mort,
il 'étoit content , &. que la profeription , quant à
lui , étoit déformais finie. Si Antoine avoit cru ne
fe pas déshonorer afTez par la mort d’un tel homme ,
11 mettoit le comble à fon opprobrfe psr cet étalage
de fa lâche vengeance. Une réflexion affaiblit
cependant aux yeux de Tite-Live l’indigm é du
traitement fait à Cicéron, c’eft qu’il deftinoit lui-
même un traitement pareil, à Antoine, fi ce triumvir
étoit tombé entre fes mains.
La vengeance de Fulvie fut plus atroce erc're
que celle d’ Antoine ; cette femme qui avoit époule
fucceflivemerit les deux plus cruels ennemis de
Cicéron , Clodius & Antoine , dont elle avjoit partagé
la haine contre cet orateur., étoit exceflîve-
meht irritée de quelques traits que Cicéron avoit
lancés contre elle. Avant que fa tête fut portée
à la place publique , elle exerça fur cette tête
inanimée toutes les horreurs, toutes les barbaries •,
tous les outrages donc elle auroit voulu l’accabler
vivant ; elle vomit contre lui toutes les injure*
que la colère dune Furie put inventer , elle lui
cracha, au vifage , elle lui perça la langue avec
Ton aiguille dë tête.
La pofiérité â vèngé Cicéron , & Pline a eu
raifon de dire que ce n’ éroit point, Antoine qui
ayoit proferit Cicéron, que clétoit Cicéron qui aver
à jam?is proferit & d’ffamé Antoine dans lamé .
moire des hômmes.Velléïus Paterculus,en rapportant
la mort de Cicéron , interrompt fon récit, npof-
trophe Antoine , fe livre à toute fon indignation,
contre lui & le dévoue à la haine éternelle dés
fiècles. Martial dit qu’Afitoine n’a rien a reprocher
à Pothin , affaflin de Pompée , & il le trouve
plus coupable par le feul meurtre de Cicéron què
pat ie carnage de tous les autres profçrits ;
Antoni Phario nikil objedure Pothino,
Ht levius tabuld, quàm Cicerone nocens.
Tite-Live dit qu’il faudroit à Cicéron pour palhc-
gyriiîe un autre Cicéron.
On a épargné à Oftave ks Teproches qu’on
auroit pu lui faire fur la mort de cet homme il-
lufire, car c’tft l’avoir tué que de Lavoir abandonné,
& il étoit plus obfigé de le défendre qu’An-
toine ne l ’étoit de le ménager. Dupe ou non , Cicéron
l’avoit bien fervi &#.il lui devoit de la
rcconnoiffince. On a fu gréfcê O&ave d'avoir dif-
puté pendant deux jours contre Anto’ne pour le
fauver; il lui devoit,da\anfage. On prétend qu’un
mot équ voque hasardé par Cicéron dans fe temps
où il commençoit à fè défabufer fur le compte
d'Odave & à s aliarmer de fbn ambition , a pu contribuer
â Ûj perte, en étouffant tout femiroenc de
reconnoifîance dans l’ame d’O&ave. Il avoir dit
qu’il fàl’oit louer ce jeune homme , ie décorer ,
I & il avoit'ajouté un troifième ternie dont le fins
| efi équivoque , & qui peut lignifier également
' 1 élever ou s’en défaire , laudandum adolclcentem,
'Ornandum, tollendum, Odave fe promit bien de
: prendre fes mefures pour n erre pas élevé de la ma-
' n ère dont l’orateur avoir pu l’entendre \fe non cornmijfùrum
ut tolli pojfit.
Cicéron fut tué le 7 décembre de l’an de Rome
70? » avant J. C. 4 ;. Il éto;t dans le douzième
mois de fa loixante-quatrième année. ‘ Plutarque
•rapporte que bien des années après fa mort &
dans, un temps où Odave régnoit en paix & avec
gloire fous lé nom d’Auguftc, il entra un jour fu-
b tement dans la chambre o’un de fes petits-fils qui,
dans ce moment, avoit entre les mains un traité
;ds Cicéron.,L ’idée que fon aïeul avoit abandonné
l’auteur à. la proferij ti.-n , .fit qu’il cacha fbn livre
tous fa.robe; mais ce mouvtmept ayant éJi ap-
perçu par Augufie , il prit le livre & fe mit à
en lire une grande partie : mon .fils,, lui dit - il
enfuite,vous choififfez très-bien vos ledi res ,. fauteur
éto:t un bien beau génie & il ^imoit véiita* '
blement la patrie.
Brutus reçut avec toute la rigueur floïque la
nouvelle de la mort de Cicéron ; il déclara qu’il
étoit plus humilié peur lui de la caufe qu’affligé
du malheur ; il entendoit par cette caufe la con-
;fiance aveugle & imprudente que Cicéron avoit
eue dans Odave & la condescendance dont il avoit
[toujours ufé envers la tyrannie, quand il en avoit
été bien traité. Cicéron dans un temps où il avoit
encore un refie de crédit fur l’efprit d’O dave, avoit
fait aup’iès de lu i, 'en''faveur de Brutus , de Caflius
& des autres meurtriers de Céfar, une démarche
dont il avoit été hautement défavoué par Brutus.
II avoit dit à Odave : il y a une chofe que
33 l'on demande & que l ’on attend de vous, c’efi:
» que vous confentiez de conferver à la république
*33* des 'pe^fonnes qui oint l ’cftirae des gens;'de b:en
# & de tout le peuple romain ». Brutus rend grâce
à Cicéron de l ’eftime & de la "bonne volonté qu’il
lui témoigne parce difcouis, mais il s’indigne d e
la prière $ il trouve que c’eft & s’avilir & avilir
fes amis , les vengeurs de Rome , les libérateurs
»de l ’univers , que de demander grâce pour eux ,
au lieu d’inviter Odave à entrer dans leur alliance
& à mériter leur amitié. Quoi donc, ait-il,
pour que nous foyons confervé* à la république ,
il faut que cet enfant fuperbe y confente. Eh !
pourquoi donc fon contentement féroit-il nécefiaire à la confervation 'même du moindre citoyen ? Qui
eft-il, pour que notre fort dépende de lui? Eft il
maître? S’il JL’eft , ce ne- peut-être qu’à t ir e de
tyran , & alors imitateur comme héritier de Céfar,
il doit être traité de même. Pour nous, nous aimons
mieux périr que d’être confervés par lui ;
non,je n’accorderai jamais à l’héritier de celui que
j’ai tùé ce que je n’ai pu fouffrir dans foR auteur ,
& je ne confentirois pas même que-mon père , s’il
pouvoit revenir au monde , fût plus puifiant que
les loix & que le fénat.
M; de Voltaire a fait ufage de quelques faits
de cette lettre de Brutus , dans la mort de Céfar,
Brutus y dit à Céfar, à-peu-piès ce qu’il dit ici
d’Odave.
Céfar, aucun de nous n’apprendra qu’à mourir,
Nul ne m’en défavoué, & nul en Theffalie
îTabaiflà fon courage à demander la vie.1
Tu nous laiffas le jour, mais pour nous avilir
Et nous le dételions s’il te faut obéir.
" Céfar, qu’à ta colère aucun de nous n’échappe ;
Commence ici par moi, fi tu veux 1 égner , frappe.
Il eft certain que Brutus dans cette lettre, paroît
bien fupérieur à Cicéron par le cara&ère & que
cette hmhbie fupplique de Cicéron à Cé^ar en* faveur
de fes amis & de fes héros , eft étonnanre
dans un républicain & dans un homme qui, autrefois,
auroit cru fc déshonorer en donnant à Odave
le nom de Céfar.
On ne peut guère féparer dans Cicéron l’orateur
de l’homme d’état ; c’eft fur-tout l’homme,
d’etat qui étoit éloquent dans Cicéron : les ca-
tilinaires , les philippiques, p'ufieurs de fes pla -
doyers , tous ces chefs-d’oeuvre d’éloquence avoient
pour objet les plus grandes affaires de l’état.
Tous fesecrits politiques,philofbphiques,moraux ,
diadiques , polémiques &c , font pleins de raifon ,
de lumière, d’éloquence ou d’élégance, de fenfi-
bilité , de vertu r Des écrivains ttès-penfeurs l ’ont
aceufé d’être diffusée diflertatcur. Si on le compare
a Tacite qui a toujours plus de fens que de mots,
J1 eft diffus fans doute ; mais il a plus d’harmonie
& fon ftyle eft plus mufical , il donne quelque
chofe à l ’oreille , mais il donne beaucoup auffi
à Ja phiiofophie & il donne tout à la vertu. lUe
fe multum prof écijfe feiat ctti 6icer& valdz place
lit .
C’eft avoir profité, que de favoir s’y plaire.
Cicéron a fait des vers , mais il n’eft rien
comme poète j.Juvértal', fous ce rapport, ne lui
donne que du riàicule , limite ce vers fi orgueil*
leufement mauvais.
O fortunatam, natam me confule rom'am î '
Nous favons fi peu, dit i l , ce que nous devons
fbuliaiter , qu’il auroit bien mieux valu pour Cicéron
n’être ainfi qu’un mauvais poète & n’ê-cre
pas fi grand orateur, Antoine eut été moins à
I ctaindre pour lui :
Antoni gladios pôtuit contemnere, fißc
Omnïa dïxïjjet ; ridenda poëmata malo
Quàm te confpicuie divina philippica famés-
Volveris à prima ques proxima.
M, de Voltaire, dans la préface de Rome fauvée ^
cite , à Ce qu’il nous femble, avec un peu trop d é-
loge , un .tableau d:un combat,d’un aigle & d’un
fèrpént qui fe trouve dans des vers de Cicéron.
Sic Jovis alttfoni fubitb pennata fatelles
Arboris è trunco ferpentis faucia morfu
Subjugat ipfa feris transfigens unguibus anguem
Semianimum & variâ graviter cervice micantçm :
Quem fe intorquentem lanïans roflroque cruentana,
J am fatiata animos, jam diros ulta dolores #
Abjicit effiantem & moribundum ajßigit in undd.
M. de Voltaire a honoré ce tableau , d’une *
traduâ on que nous trouvons bien fupérieure è
l’original.
Tel on Voit cet oifeau qui porte le tonnerre f
Bleflé par un ferpent élancé de la terré :
Il s’envole, il entraîne au féjour azuré,
L’ennemi tortueux dont il eft entouré.
Le fang tombe des airs, il déchire, il dévore
Le reptile acharné qui le combat encore ;
Il le perce, il le tient fous fes ongles vainqueurs,
Par cent coups redoublés il venge fes douleurs.
Le monftre en expirant fe débat, fe replie,
Il exhale en poifon les reftes de fa vie ;
Et l’aigle tout fanglant, fier & viétorieux,
Le rejette en fureur & plane au haut des deux.
Mais c’eft dans V irgile , & dans un livre de
l’Enéïde où l’on ne va guères chefther de grandes
beautés (le onzième ) qu’ on t.rou-ve ce tableau tracé
véritablement de la main d’un grand peintre.
Utquevolans dltè raptum eîtmfulva draconem
Vert aquila implicuitquepedes atque unguibus haßt?