
hommes qui , par le crédit de leurs faéUons
réunies, difposèrent fouverainement des dignités
Sc des emplois de'_la république. Craffus toujours
avare , & trop riche pour un particulier, fon-
geoit moins à groffir fon parti, qu’à amaflêr de
nouvelles richelles. -Pompée content des marques
extérieures de refped & de vénération que lui at-
tiroit l’cclat de fes vi&oires , jouiffoit dans une
oifiveté dangeteufe, de l’on crédit & de fa réputation.
Mais Céfar plus habile & plus caché que tous
les deux , jet toit foutdement les fondemens de fa
propre grandeur, fur le trop de fécurité de l’un
& de l'autre. Il n’oublioic rien pour entretenir
leur confiance , pendant qu’à force de préfens il
tàchoit de ,gagner les fénateurs qui leur étoient
les plus dévoués. Les amis de Pompée fit de Crafius,
devinrent fans s’en appercevoir les créatures de
•Céfar : pour être averti de tout ce qui fe pafToit
dans leurs maifons, il féduifît jufqu’à leurs affranchis
, qui ne purent féfîfterà fes libéralités ; il employa
contre Pompée en particulier , les forces qu’il
lui avoir données , & fes artifices mêmes ; il troubla
la ville par fès émiffaires , & fe rendit maîrre des
éleétions y confuls, préteurs, tribuns, furent achetés
au prix qu’ils mirent eux-mêmes.
Etant copful, il fit paitager les terres de la
Campanie , entre vingt mille familles romaines.
Ce furent dans la fuite autant de cliéns, que leur
Intérêt engagea à maintenir tout ce qui s’étoit
fait pendant fon confulat. Pour prévenir ce que les
liicceïleurs dans cette dignité pourraient entreprendre
contre la difpofîrion de cette loi, il en fit paffer
une fécondé , qui obligeoit le fénat entier, &
tojis ceux qui parviendraient à quelque magiflra-
turé , de faire ferment de ne jamais mn propofer
au préjudice de ce qui avoit été arrêté dans les
affemblées du peuple pendant fon confulat. Ce
fur par cette habile précaution qu’il fut rendre
les fondemens de fa fortune fî surs & fi durables,
que dix années d’abfence , les tentatives des bons
citoyens, & tous les mauvais offices de fes envieux
& de fes ennemis » ne. la purent jamais ébranler.
C im e n ta t io n d e c e t r ium v i r a t . Mais comme il
craignoic toujours que Pompée ne lui échappât,
t e ne -fût regagné par le parti des républicains
zélés , il lui donna fa fille Julie en mariage , comme
en nouveau gage de leur union. Pompée donna la
fienne à «Servilius , & Céfar époufa Calpurnie,
$lie de Pifon , qu’il fit défigner conful pour l’année
fuivante. Il prit en même tems le gouvernement
des Gaules avec celui de l’Illyrie , pour cinq ans.
On décerna depuis celui de la Syrie à Craffus qui
le demandoit dans l’efpérance d’y acquérir de nouvelles
richelTes, en quoi il.réuffit, car il doubla
les trente millions qu’il poffédoit. Pompée obtint
l’une & l’autre Efpagne , qu’il gouverna toujours
par fes lieutenans , pour ne pas quitter les délices
de Rome*
Ils firent comprendre ces différentes difpofîtions
dans le même décret qui autorifoît le partage dea
terres » afin d’en intérefler les proprietaires à la
confervation de leur propre autorité. Ces trois
hommes partagèrent ainfi le monde entier. Voilà
la ligue qu’on nomma le p r em ie r t r iu m v i r a t , dont
l'union» quoique momentanée, perdit la république,
Rome fe trouvoit en ce malheureux état, qu’elle
étoit moins accablée par les guerres civiles que
par la paix , qui réunifiant les vues & les intérêts
des principaux, ne faifoit plus qu’une tyrannie,
L’ufage dontioit un gouvernement aux confuls
à l'iflue du confulat, & Céfar de concert avec
| Pompée & Craffus s’étoit fait déférer celui de
la Gaule Cis-Alpine, qui n’étoit pas éloigné
de Rome. Vatinius , tribun du peuple., & créature
de Céfar, y fit ajouter celui de l’Illyrie »
avec la Gaule Trans-Alpine ; c’eft-à-dire la Provence,
une grande partie du Dauphiné Sc du Languedoc »
que Céfar fouhaitoit avec paffion , pour pouvoir
porter fes armes plus loin, & que le fénât même
lui accorda , parce qu’il ne fe fêntoir pas allez
puîffant pour le lui refufer.
Il avoit choîfi le gouvernement de ces provinces
comme un champ de bataille propre à lui faire
un grand nom. Il envifagea la conquête entière
des Gaules, comme un objet digne de fbn courage
fit de fa valeur, Sc il fe flatta en même tems
d’y amafier de grandes richefiès, encore plus
nécefiaires pour foutenir fon crédit à Rome, que'
pour fournir aux f uis de la guerre. II partit pour
la conquête des Gaulas, à la tête de quatre légions
, & Pompée lui en prêta depuis une aiutre,
qu’il détacha de l’armée qui p toit fous fes ordres ,
en qualité de gouverneur de l’Efpagne & delà
Lybie.
Les guerres de Céfar, fes combats, fes vi&oires
ne font ignorés de perfonne. On .fait qu’en moins
de dix ans ,"il triompha des helvétiens , & les
força de fe renfermer dans leurs montagnes qu’il
attaqua, & qu’il vainquit Ariovifie, roi des germains,
auquel il fit la guerre , quoique ce prince
eut été reçu au nombre dès alliés de l’état ; qu’il fou*
mit depuis les belges à fes loix ; qu’il conquit
toutes les Gaules, Sc que les romains fous fa
conduite , palferent la mer , & arborèrent ,
pour la première fois, les aigles dans la Grande-
Bretagne.
On prétend qu’il emporta dq force , ou qu’il
réduifit par la terreur de fes armes, huit cents /
villes ; qu’il fubjugua trois cents peuples ou nations; ,
qu’il défit en différens combats, trois millions
d’hommes , dont il y en eut un million tué
dans les batailles , & un autre million fait
prifonnier j détail qui nous paroîtroit exagéré,
s’il n’étoit rapporté fur la foi de Plutarque , fiç
des autres hiftoriens romains.
A m b i t i o n & ç o n d u i t e d e Ç ê fu r« Il efl certain
que
Béotie au-deffus de Delphes, St aûffi ornée qu’il y
en ait dans toute la Grèce : le bois facré de T r o -
p h o n iu s n’en efl que fort peu éloigné , & c’cfl
dans ce bois qu’eft le temple de T r o p h o n iu s , avec
fa flatue de la main de Praxitèle.
Lorfqu’on vient confulter fbn oracle, il faut pra
tiquer certaines cérémonies.' Avant que de défi
cendre dans l’antre où l’on reçoit là réponfe, il faut
pafier quelque jours dans une chapelle dédiée au
bon génie & à la fortune. Ce teins efl employé à le
purifier par l’abftinence de toutes les cnofes illicites
, & à faire ufage du bain froid, car les bains
chauds font défendus; ainfi on ne peut fe laver
que dans l’eau du fleuve Hercine. On facrifîe à
T r o p h o n iu s 8t à toute fa famille , à Jupiter fur-
nommé roi, à Saturne , à une Cérès Europe, qu’on
croyoic avoir été nourrice de T r o p h o n iu s ; & on ne
vit que des chairs fàcrifiees.
Il falloit encore confulter les. entrailles de toutes
les vi&imes, pour fàvoir fi T r o p h o n iu s trouvoit
bon qu’on defeendît dans fon an;re; furtout celles
du bélier , qu’on immoloît en dernier lien. Si les
aufpices ctoient favorables ; on menoic le conful-
t.anr la nuit au fleuve Hercine, où deux enfans de
douze ou treize ans lui frottoient tout le corps
d’huile. Enfuite on le conduifoit jufqu’à lafource du
fleuve, & on l’y faifoit boire de deux fortes d’eau,
celle de Léthé qui effaçoit de l’efprit toutes les
penfées profanes, & celle de Mnémofyne qui avoit
la vertu de faire retenir tout ce qu’on devoit voir
dans l’antre facré. Après tous ces préparatifs , on
faifoit voir la ftatue de T r o p h o n iu s , à qui il falloir
adreffer une priere : on étoit revêtu d’une tunique
de lin , ornée de bandelettes facrées ; enfuite
de quoi on étoit conduit à l’oracle.
Cet oracle étoit fur une montagne, dans une
enceinte de pierres blanches , fur laquelle s’éie-
voient des obélifqucs d’airain. Dans cette enceinte
étoic une caverne de la figure d’un four, taillée
de main d’homme. Là s’ouvroit un trou afiëz étroit,
où l’on ne defeendoit point par dès degrés, mais
avec de petites échelles. Lorfqu’on y étoit def-'
cendu , ou trouvoit encore une petite caverne , donc
l’entrée étoit affez étroite: on fe couchôit à terre ;
on prenoir dans chaquemain certaines compofî-
tions de miel, qu’il falloit néceffâirement porter :
on pafloit les pieds dans l’ouverture de cette fécondé
caverne, & auflï-tôt on fe fentoit entraîné
au-dedans avec beaucoup de force & de vîteffe.
C’étoir-là que l’avenir fe déclarait, mais non
pas à tous de la même manière ; les uns voyaient, les
autres entendoient. On «fortoit de l’antre couché à
terre , comme on y étoit entré, & les pieds les
premiers. Auffi-t6t on éroit mis dans la' chaîfe de
Mnémofyne , oi\ l’on demandoit au confultant ce
qu’il avoit vu ou entendu: de-là on le ramenoic.,
encore tout étourdi, dans la chapelle du bon génie,
& on lui laiffoit le tems de reprendre les fens ;
H i f io i r c , J o m c V .
enfin îl éroit obligé d écrire fur un tableau , tout
ce qu’il avoit vu ou entendu , ce que les prêtres
apparemment interprétoit nt à leur manière.
Ce pauvre malheureux ne pouvoirfortir de l’antre
qu’après avoir été extrêmement effrayé ; auffi les anciens
tiraient de la caverne de Trophonius, la
comparaifôn d’une extrême frayeur , comme il
paraît par plufieurs paflages des poètes, & enti’autres
d’Ariftophane. Ce qui augmentait encore l’horreur
de la caverne, c’ efl qu’il y avoir peine de more
pour ceux qui ofoient interroger le dieu fans les
1 préparatifs nécefiaires.
Cependant Panfànias aflure qu’il n’y avoit jamais
eu qu’un Homme qui fût entré dans l ’antre de
Trophonius & qui n’en fût pas fort!. C’étoit un
; efpion que- Démet ri us y-avoit envoyé , pour voir
; s’il n’ y avoit pas dans ce lieu faint quelque chofe
qui fût bon a pilier; Son corps .fut trouvé loin
de-là, & il y a apparence que fon deffeln étant
découvert , les prêtres le maflacrèrent dans l ’antre
même , & le firent loi tir par quelque iflue , pan
laquelle ils entraient eux-mêmes dans la caverne
fans qu'on s’en apferçut. Paufanias ajoure à la fin :
» ce que j'écris ici , n’eil: pas fondé fur un oui-
>} dire ; je rapporte ce qu.- j’ai.vu arriver aux autres
« & ce qui m’eft arrivé à moi-même ; car pour.
» m’aflurer de la vérité, j’ai voulu defeendre dans
» 4’ajitre, & confulter l’oracle ». .
Il faut terminer ce récit par les réflexions dont
M. de Fon.tenelle l'acc-ompagne dans fbn Hijloire
des oracles. Quel loifir , dit-il, n’avoienr pas les
prêtres pendant tous' ces différens facrifices qu’ils
faifoient faire, d’examiner fi on étoit propre â être
envoyé dans l’antre 2 Car afîurément Trophonius
choifîflbit fes gens , & ne rccéVoit pas tout le
monde. Combien toutes ces ablution',', ces expia-«
tiens, ces voyages noéhnnes, & ces paflages dans
des cavernes étroites & obfcoies , rempl floicnt-
elles l ’efpriç de fupeiftition , de frayeur & de
crainte ? Combien de machines pouvoient joger
dans ces ténèbre» ? L’hifioire de l'efpion- de Dé^
métrius nous apprend qu’il n’y avoit pas de. fureté
dans l’ant'e , pour ceux qui n’y apporraie'nt pas
de bonnes intentions , St de plus, qu’outre l’ouverture
facrée, qui étoic connue de tout lé monde,
l’antre en avoit une fecrette qui n’étoit connue
que des prêtres. Quand on s’y fentoit entraîné
par les pieds, on étoic fans doute tiré par des cordes
, & on n’avoir garde de s’en appercevoir en
y portant les mains f puifqu’elles étoient embar--
raflees de ces compofitions de miel qu’il ne fallok
pas lâcher. Ces cavernes pouvoient être pleines de
pa fums & d’odeurs qui troubloient le cerveau ;
ces eaux de Léthé & de Mnémofyne pouvoient
auffi être préparées pour le même effet. Je ne dis
rien des fpeffacles & des bruits dont an pouvoir
être épouvanté ; & quand on forcoit de-là tout
hors de lo i , on difoic ce qu’on avoit vu ou en-
A a a