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Pompée ayant promis le droit de bourgeoise
romaine à des déferteurs allobroges , qu’il vouloit
attacher au parti de la république , cet homme ,
dit-il, promet aux gaulois une patrie étrangère , I
& il ne peut nous rendre la nôtre. G a l li s c ivi-
ta tem p r om i t t i t a lién an t , nobis noftram non poteft
reddere.
Le même Pompée demandant à Cicéron, pour
ï’embarraffer, où étoit Dolabella,Ton gendre? (celui-
ci avoit pris le parti de Céfar.) I l ejl avec v o tre
b e a u -p è r e , répondit Cicéron ; & c’étoit bien le vrai
mot qu’il avoit à répondre , puifque la queftion
de Pompée , dans l’intention de ce général, Ten-
fermoit un reproche. Cicéron, en effet , ne difpo-
foit pas plus de Dolabella, fon gendre, que Pompée
de C éfar, Ton beau-père.
Pompée blefl“é de tous ces mots, ou chagrin«
©u piquans, les rendit tous à Cicéron , par ce feul
mot, qui l’accufoit d’infolence & de poltronnerie :
Je voudrois qu’il pafiat dans le parti ennemi, pour
apprendre à nous craindre. Copia a d hoftes Çicero
t r a n f e a t x u t n o s tim e a u
Cicéron refta malade ou îndîfpole, à Dyrrachium,
pendant que Pompée perdoit la bataille de Phar-
lale & alioit trouver la mort fui le rivage de
l ’Egypte. Après cette défaite , les chefs du parti
vaincu fe trouvant réunis à Dyrrachium , quelques-
uns propofoient de renouveller la guerré,, Cicéron
fe trouvant le feul confulaire & étant encore revêtu
du titre & du pouvoir de proconful, op voulut
lui donner le commandement de la flotte & des
troupes qui reffoient ; il déclara que fon avis étoit
qu’il ne fuffifoit pas de mettre bas les armes, qu’il
falloir les jetterpar terre ; ciim ego , ditril lui-même
dans l’oraifon pour le roi Déjotarus , poft P h a r fa tic um
preelium , fuafor fu ijfcm armorum non devonendprum,
fed abjiciendorum.
Le jeune Pompée indigné de ce çonféil tim:de ,
traita Cicéron de déferteur & de traître , & alioit
le percer, fi Caton ne l’eut retenu. Cicéron alla
triftement à Brindes , attendre le retour & les
ordres de Céfar; il les attendit long tems, & cet état
d’humiliation, d’incertitude & de dépendance, fut
l’époque laplusfâcheufedefa vie. A peine arri voit-il
à Brindes, que Marc Antoine, lieutenant de Céfar ,
y aborda auflî avec les légions viâorieufes ; il pouvoir
d’après fes ordres & fes pouvoirs , nier Cicéron
qui étoit revenu en Italie, fans une permiffion par
écrit, de Céfar; or, Céfar ne fouffreit pas qu’aucun
de ceux qui a voient porté les armes contre lui,
rentrât dans lTtalie Antoine qui n’étoit ni ami,
»i ennemi de Cicéron, ne voulut, ou n’ofa pas
pour lors fouiller fes mains d’un fang fi rçfpeélc ;
pour confommer ce crime dans la fuite , il eut besoin
de toute la haine qui s’éleva entre lui &
ÇjgéroQÿ & de toute la puiffânçe que lui donna
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le triumvirat. A Brindes il épargna Cicéfon, contre
lequel il étoit armé de tout le droit de la guerre,
s’il y a un droit de la guerre 5 dans les démêlés
qu’il eut depuis avec cet orateur, il lui fit beaucoup
valoir l’indulgence dont il avoit ufé envers lui a
Brindes: il eft vrai, lui dit Cicéron, que je vous
ai la même obligation qu’ont les voyageurs aux
voleurs de grand chemin, qui veulent bien leur
laiflèr la vie.
Antoine vouloit du moins forcer Cicéron à forcir
de l’Italie ; mais Cicéron produifit une lettre de
Dolabella, écrite par l ’ordre de Céfar, & qui lui
permettoit d’aller attendre , *à Brindes, ce qu’il
decîderoit fur fon fort ; Antoine publia une ordonnance
qui, interdifant l’entrée de l’Italie aux vaincus,
contenoit une exception formelle en faveur
de Cicéron, qu’il annonçoit par là publiquement,
comme fournis au vainqueur,pendant que tous fes amis
ou défendoient encore la république , ou faifoient
leur paix fecrettement & fans éclat ; c’étoit déshor
norer Cicéron, en n’ofantni le tuer ni le chaiïèr.
Tous les chagrins étrangers 8c domeftiques fe
réuniffoient pour l’accabler ; fa fortune étoit ren-
verfée , fa femme vivoit fans économie , fa fille ^
Tullie , l’objet de toute fa tendreflè , fépa.réç de*
Dolabella, fon mari, n‘avoit pas de quoi foutenir
fon rang. Quintus C icéron , fou frère, qui avoit
autrefois fervi dans lis Gaules, fous Céfar, étoîfe
accufé de l ’avoir entraîné dans le parti de Pompée,
& C éfar qui en étojtt perfuadé , vouloit le proferire ;
il fallut que Cicéron écrivît ppur- le juftifier,
tandis qu*ïl avoit lui-même befoin de juftificatîon
auprès de Céfar, & Quintus, dans cette affaire
le paya d’ingratitude ; car ce fut en chargeant
Cicéron, que- lui 8c fon fîls fc juftifiérent.
Cicéron attendoit toujours à Brindes, quel fè-
roit fon fort, & il s’y confumoit de crainte & de
douleur. Il arriva enfin une lettre de Céfar qui
le réiïjt-égroit dans tous les honneurs du confulafc,
& lui permettoit deconferver les lideurs & les faif-
ceaux ; enfin , Céfar arrivant lui-méme , acheva,
de rendre le calme à fon ame , par toutes les
grâces St tonte la franchife qu’il mit dans fon
accueil.,
Quelle différence la foiblcffe peut mettre entre
deux hommes vertueux ? l’intrépide Caton réfblu
de mourir avec la liberté, ne s’écarte jamais
du fentier de la jufiiee , & ne fait rien d’in digne
de la noble caufe à laquelle il s’eft dévoué. f
Vir bpnus & fapiens au débit dipere , J?cij.theu ,
Re3çr thebarum, quid me perferrepatiqiie
Indignum eoges ; — Adimam bonal nempè pecus, rem9
Le3os, argentum, tollas licet.— in maniers &
Compedibus feevo te fut) cujlode tenebo.--
Ipfe Deus , Jimul atque volan\ mefolvet.
Çicéron
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Cicéron auflt. vertueux , auflî ami dh bien Si
qui favoic conferver à la vertu tous les charmes,
flotte fans èèfle entre les divers partis , flatte &
careffe la tyrannie puiffante , infultc à la tyrannie
abattue , varie & le dément parce qu’il a peur. Sa
maxime étoit que le fage s’accommode au tems.
Mais avec c;tte maxime , fur quelle vertu peut-
on compter? Plaignons les foibles au refle, & ne
h aï fions que lès pervers. Cicéron va donc être
le flatteur de Céfar, mais il faura le flatter en
homme vertueux , il louera en lui des vertu
réelles, des vertus utiles au monde, la clémence ,
la'bienfaifance , la générofité , & par fes louanges
mêmes il les affermira dans le coeur de l'homme
pu i il-Tnt. Il faut rendre une jufiiee entière à
Cicéron. Il fe renferma long-tems dans ce trifte
filence où la vertu condamne l'homme de bien,
fous un gouvernement qu’il ne peut approuver. 11
n’é'eva la voix qu’après que Céfar eut pardonné
à Marcellus; ce jour lui parut le premier beau
jour qui eut lui fut la république depuis les malheurs
des guerres civiles , & il ranima pour le
célébrer fa vertueuse éloquence. Ita mihi pulcher
hic., die s vifus eft, ut Jpecicm al/quam viderer vident
qiuifi revivifeentis rcipublica Ce ne font point
des monum.ns d’adulation & d’efclavage que les
harangues pour Marcellus & pour L’g^rius. L ’elt
le pur é.oge de a vertu, tel qu’il s’élance d’yn
coeur qu’elle < 11 flamme & qu’elle pénètre, & qui
a befoin de lui rendre hommage par-tout où il
la trouve. Cependant ces mêmes harangues ont
fervi de pictex:e aux e1 nemis de Cicéron pour
infifter fur ce reproché de fluâuaticn & de mobilité
qu’il a mérité d’a'lleurs. Nous avons rapporté
à l’article Labérius, un mot fanglant que
dit , à Ciréron ce chevalier romain , iur fes variations.
Il faut pourtant encore rendre juftice à
Cicéron , s’il n’eut pas le courage d’imiter Caton
jufqu’au bout,, il eut celui d’honorer là mémoire
d’un éloge public fous la tyrannie même de Céfar.
Céfar y répondit par deux écrits intitulés : les
Anti-Catons , où Caton eil affez maltraité , mais
où Cicéron eft ménagé & comparé à Pé ici es &
à Théramène. Il refta fans crédit auprès du dictateur
, éloigné des affaires, pleurant la république
qu’il n’avoit pas sû defendre , la pleurant,
dit-il lui même , comme une mère pleure Ion
fils unique. Patriam eluxi jam & gravites & diu-
tius quam a lla mater unicum filium. Livré aux
lettres qui faifoient fa feule confolation & fans
lefquelles il nauroit pu vivre : an pojfem vivere
ni fi m liiteris viverem ? Ce fut alors qu’il com-
po'fa fis livres de la rhétorique & fis ouvrages-
philofophiques & moraux ; ne pouvant plus fcrvii
la patrie dans le fénat & duis la place publique,
il voulut au »moins la fervir par des ouvrages
propres à former les moeurs. Si minus in curia
atque in foro , at in litteris & libris juvare rem-
publicam. Il fe comparoit à Denis le tyran, qui
chaffé de Syracufe avoit ouvert une école à Co-
Iliftoire Tome P".
m
‘ rlnthe. Il s’étoît retiré à Naples , Sc comme s’il
eut toujours été à Rome & en plein fénat, quand
Céfar croyoit avoît befoin de fon nom, if l’errt-
pioyoit pour autorifer fes a êtes de pouvoir arbitraire
qu’il prenôit foin de revêtir d’une forme
légale & républicaine. Ainfi Cicéron apprenoit
à Naples qu’un fénatuscotifulte , formé, difoit-
on fur fon avis dans le fénat où il n’étoit pas,
avoit été porté en Arménie & en Syrie ; il ré-
cevoit des lettres de rois , dont l’exiftence lui étoit
inconnue , & qui le remercioient d’avoir opiné
pour les faire recc-nnoître amis & alliés de l’empire
romain. Il en lioit avec fes amis & s’ap-
plaudifibit de fen repos. Toute ce'te conduite
n’écoit pas d’un flatteur de la tyrannie , & ceux
qui ofèrent plus que Cicéron pour la liberté, ne
firent que prolonger 1 - maiîx de la patrie , faris
pouvoir la fauver. Son inaéHon politiqüe rie
paroifiant que de la foiblcffe aux zélateurs qui
vouloient tout ten’ er , on ne le fit point entrer
dans la conjurat on contre Céfar , & par là or
lui épargna fans doute bien de i ’émbarras & de
1 incertitude: les conjurés-pensèrent en effet commfc
011 les fait parler dans la mort de Céfarx
Laiflons à l’orateur qui charme fa patrie,
Le foin de nous louer quand nous l ’aurons fervie.
Cicéron lui-même fe < onnoifloit & fe rendoît
iuftice fur ce point. Quintus Tullius-, fon neveù
& fon ennemi, effayoit de le rendre fufpeâ aux
airrs de C far 8c confeilloit de prendre des préi-
cautions. contre lui. » Je craindiois ces dTcours
■ it Cicéron, mais <e roi ou le tyran me connoît i
il fait trop bien que je manque de l ’cfpèce dè
courage propre à ces fortes d’entreprifes.
Cicéron ne fut donc poi< t complice de Tafiaf-
finat de Céfar, mais il en lut l’approbateur le
plus déclaré. Il fut le partifan & l ’admirateur dç
Brunis & de Ca/Iius. Ce fut à l: i perfonnei ement
que Brutus adiefia la parole, lorfqu'après le meurtre
de Céfar , clevant en l’air fon poignard' tout fan*
glant , il voulut haranguer le fénat j mais les
fénateurs effrayés coururent aux portes & s’enfuirent
Brutus & fes amis s’emparèrent du cap fiole,
8t Cicéron vouloit que les prétems y convoqu é
fents le fénat. Il eft vriifembîabl'e que cette compagnie
revenue de fon eff o i , fe feroit vengée
fur la mémoire de Céfar , de l ’avilffement où
il l’avoit tenue Sç auroit été favorable.à fes meurtriers.
Les conjurés ayant perdu cet avantage, fe
mirent à négocier avec Anioine. Cicéron qui le
connoifioit, les avertit de ne prendre aucune confiance
dans les promeffes que la crainte puurroit'
arracher dans ce moment à cet ambitieux, mais
qu’il violeroit aufiTcôt que !e danger feroit paffé.
Lorfqu’Antoine fe fut rendu maître des affaires 8c
qu’on le vit difpofer de tout au noria de Céfar
en alléguant ou fes ordonnances ou de fimples
projets qjion difoit avoir trouvés dans fes papier«-,!