
8ô S I L
D’ailleurs , on prendrait SHius pour un Poëte
latin des fiècles modernes , tant il eft plein de centons
de Virgile , & tant fa manière générale eft formée
fur celle de ce Poëte ; c’eft même ce dernier trait
•qui caraélérife le plus particulièrement SHius. Ovide
dans les Métamorphofes, imite des détails de Virgile
, comme Virgile en a imité cfHomère ; mais
Virgile & Ovide , aii milieu de leurs imitations ,
conlervent leur manière propre : Sillus n’a point
de manière à lui , il eft Virgile, ou il n’eft rien.
Si Virgile a dit , d’un côté,
Sedet ezternumque fedebit
Infelix The feus.
De l’autre, en parlant de Didon ,
Coniux. . . . . prift'mus illi
Refpondet curis, cequatque Sichaus çmorem.
Sillus dit, en parlant auffi de Didon :
Ipfa-fedet tandem ottemum cohjuncla Sichczo.
Si Virgile dit î
Mercattque folum , facti de nomine Byrfam ,
Taurïno quantum pojfent circumdare ter go,
Sillus répète :
Tûm, pretio mercata locos, nova mcenuipon.lt
Cingere quà fecto permijfum littora tauro.
Si Virgile s’écrie :
Heu l quia nam tanti cinxerunt cet hcr a nimhl ?
Sillus déguiiè ainfi la même exclamation;.
Heu ! quià ndm fubilis horrefcit turbida nimbis
Tempejlas!
Enfin fi Virgile décrit ainfi le Mont-Atlas :
Apicem & latera ardua cernit
A liant is duri, ccelum qui verïice jiilcit
Atlantis, cinctum aJfuLue eut nubibus atiis
Piniferum caput & vento pulfutur, & imbri,
Nix humeros Infufa tegit, tîim fiumina mento
Précipitant fends & glacie riget horrida barba,
SHius., dans la meme defeription , n’emploie guères
de traits qui ne foient dans Virgile :
Atlas fubducto tracturus vertdce ccelum.
Sidéra nubiferum fulcit caput, eztheriasque
Engit czternum compâges ardua cervix :
Canet barba gelu, frontemque immambus umbrls
Pînea fylva premit, vaflant cava tempora vend ,
Nimbofoque ruunt fpumantia fiumina rictu.
Quelquefois même Sillus imite mal Virgile, & décrit
mal l’objet qu’il veut peindre. Par exemple,
S I L
Virgile décrit ainfi le météore fi commun , que le
peuple appelle une étoile qni tombe. :
De coelo lapfz per umbras
Stella facern duce ns multa cum luce cucurrit',
lllam fiimrna fuper labentem culmina teeti,
Ccrnimus îdeed ctàrdm fe condere fylva ,
Signantemque vias : tum longo limite fulcus
Dat lucem,
On ne peut pas mieux marier les idées populaires I
avec les couleurs de la poëfie, ni exprimer mieux les
apparences fenfibles de ce phénomène.
Voici comment Sillus réduit 6c rétrécit le mêmç I
tableau. •
Sulcatum tremülâ secat aëraflammd ;
Qualis finguineo prccjlringit lutnïna crine
Ad tenam ccch decurrens igné a lampas.
Le premier vers a de l’expreiîion 6c de la poëfie ; |
mais qu’eft-ce que l’auteur a voulu peindre dans les I
deux autres ? Sanguineo crine défigne évidemment I
une comète , ad terram coelo decurrens ne convient I
qua ce qu’on appelle une étoile ui file ou qui tombe: I
il n’y a donc point d’enfemble ni d’unité dans :1e I
tableau.
Ceux qui ont appellé Sillus Italicus , le finge de I
Virgile , l’ont appellé en même-temps le copïfle de I
Polybe & de Tite-Live : en effet il fu t l’hiftoire allez I
exaélément, 6c n’a pas, non plus que Lucain, d’autre I
plan. Sur cela, les pédans ne manquent pas de citer I
le P. le Boftu , qui d it, d’après Âriftote , que la I
fable eft de i’eflence de l’épopée ; nous croyons' qu'il 1
n’y a rien d’eflendel à l’épopée, que de raconter, & que l
la fable nuit plus fouvent à l’intérêt qu’elle n’ÿ fert ;
c’eft du moins ce qui eft très fenfible dans la Henriade. [
Lés allégories de la Difcorde , de la Politique , &c. [
font ce qu’il y a de .plus froid dans ce poëme ; tout t
l’intérêt conlifte dans ces beaux vers, qui rendent R
l’hiftoire fi impofante , qui donnent à la vérité un |
éclat ineffaçable, qui pe gnent fi vivement, & les B
fureurs de la ligue , & les horreurs de la Saint |
Barthélemi , 6c l’affaffinat du duc de Guife , 6c t
celui de Henri III , 6c tous les perfonnages de 1
ces. temps affreux.
Nous ne reprochons donc ni à Lucain , ni à SHius I
Italicus, de s’être prefque bornés au récit ; 6c ce I
que nous en retrancherions le plus. volontiers eft
le peu de merveilleux 6c de fabuleux qu’ils ont crû I
devoir admettre. Nous fommes bien éloignés de re-,
procher, comme on l’a fait à Lucain , à SHius ha- I
licus , 6c à M. de Voltaire , le choix de fujets
modernes qui fe refufent au merveilleux ; ces fu-
jets n’en ont que plus d’intérêt. Celui, de SHius ita- I
licus, (la fécondé guerre punique) eft le plus beau I
morceau de l’hlftoire-romaine ; ctft alors que les I
romains trouvent un ennemi digne d’eux ; . c’eft, I
alors feulement qu’ils intéreffent par leurs malheurs, I
autant qu’ils étonnent par leur confiance J c’eft alors I
-qu’ils rendent grâces à Varron , après la bataille de I
Cannes , de n’avoir point défefpéré de la républi- t
yque ; c’eft' alors que Rome met en vente un champ
occupé I
S I E
occupé par l’armée Carchaginoife, ôc qu’il-fe trouve
des acheteurs c’eft alors enfin que g le Poëte
a les plus grands, hommes à peindre , 6c parmi les
romains, 6c parmi leurs-ennemis.
Bien,loin de reprocher à Sillus Italicusd’avoir
trop fuivi Tite-Live , nous lui reprocherions au
contraire d’être moins éloquent, moins animé , moins
Poète en vers que Tite-Live en profe.
Voici cependant un morceau où Sillus eft fupérieur
à lui-même , fupérieur à Tite-Live , égal à Virgile
dans fes plus beaux endroits..
On connoît dans Tite-Live la harangue éloquente
que fait Pacuvius a Pérolla fon fils, pour le détour-
■ ner du projet que ce jeune homme avoit formé de 11 délivrer fa patrie , en affaffinant Annibal dans un
11 feftin.
Per ego te , filî , qutzeumque jura liberos jungunt
a parentibus , 6cc.
Parmi.beaucoup d’autres raifons , Pacuvius dit à 9 fon fils :
Unus, (iggrcffurus es Annibalern ? quid ilia turba
I tôt liberorum ferverumquel quid in unum intenti om-
I ndtum oculi ? quid tôt dextrez ? torpefcentne in amen-
I ! lia ilia ? vultum ipfius- Annibalis quem armad exer-
I • chus fufiinere nequeunt-, quemhorret populus romanus ;
I tu fu fine bis ?:
I Sillus a .rendu ces divers traits*
Quin> cafu in tanto comitwn juxtàque jacentum I Torpebunt dextree ?
T'Une ilium y quem non acies , nonmoenia & urbes
IFerre valent, cùm frons propior lumerque corufço
Igné miede , tune ilia, viri qua. vertice fundit . , Fulmina per.ulcris y f i vifo ïntorferi tenfe
Dtram , qua vertit per carr.pos agrnina vyc.m ?
\ ‘Jufqu’ici la fupériorité eft toute entière du côté de
Tite-Live ; il eft plus vif , plus preflant ; il vole ,
& SHius fe traîne. Le ftyle coupé-de Tite-Live eft
* celui qui convient au moment ; la marche pério-
S dique 6c pelante de Sillus glace tout ce morceau.
Et alla auxilia defint, meipfum ferire , corpus
■ meum^ opponentem pro corpore Annibalis . fufiintbis ?
, Ai'qui' per rneum p ce tus petendus Me. tibi , transfi-
» gendusque efl.
K Ce mouvement pathétique 6c rapide de Tite-
1 ^ ve . ciue Racine à fi bien rendu par ces deux
| vers :
j Pour aller jufqu’au coeur que vous voulez percer ,
Voila par quel chemin vos coups doivent palier ;
I eft encore ■ bien allongé, bien refroidi, dans ces 1 \ vers de Si ace :
Non jam tibi pectora pubis
Sidoniat [addenda manu-tutantia regem ;
Flocjugulo dextram exploraÿnamque haie tibi ferrum,
Si Pcenum invafijfe paras , per vifeera ferrum
Nojlra efl duccndurn. Tardant ne fpernè fenectam:
Hifioire. Tome V,
s I L 81
; Opporiam membra atque enfem extorquere negatum
Morte meâ eripiam.
Mais,voici l’endroit où Sillus eft fupérieur à tout
6c ce morceau eft entièrement de lui.
Fallit te y menfas inter quod credis inermem $
Tôt bellis qnoefita yiro 3. tôt coedibus armat -
Majeflas ceterni duçem. Si admoveris ora ,
Cannas <S* Trebiaïn ante oculos, Thrafymenaque bufiaj
Et. Pauli fiare ingentem miraberis utnbram.
Voilà certainement, cinq'des plus beaux vers , qui
exiftent dans la- langue latine : on- voit ce générai
armé d’une Majefté éternellë ; on voit la grande
ombre de Paul Emile fe tenir debout devant lui
pour effrayer ceux qui voudraient l’attaquer. Si de
pareils morceaux éfbient plus 1 nombreux.chez SHius
Italicus y Virgile- même ne -l’emporterait pas fur'
lui.
• On a encore cité plufieurs fois de SHius ces
vers , fur une nation où l’on ne-regardoit pkis la
vie que comme un fardeau , lorfque l’âge mettait;
hors d’état de combattre.
Prodiga mens animez, &properarefacillima mortem ;
Namque ubi tranfeendit fiorentes viribus annos ,
Impatiens tzvi fpernit novijfe fenectam ,
Etfati niodus in dexirâ efl.
Ce dernier trait fur-tout, eft d’une précifion pleine
de npbleffe.
L’exclamation que fait Annibal lorlqu’il reçoit l’ordre
de revenir en Afrique , eft encore très-belle,
très-bien placée dans la bouche d’Annibal, 6c très-;
convenable à la fituation.
O dirum exltium mortqldbus ! S nihil unqiiam
Crefcere y nec patiens magnas exurgere laudes
lnvidial
Ce font à peu près là les feuls vers de Sillus
qu’on ait diftingués 6c cités ; prefque tout le refte
eft d’une beauté monotone 6c allez froide;
: Le poëme de SHius Italicus fut trouvé par le
Pogge ,. (voyeç l’article Poggio') dans une tour du
monaftère de Saint/Gal , pendant la tenue du Concile
de Confiance. La première édition qui en ait
été donnée, parut à Rome en 1471. On diftingue
celle d’Alde, donnée en 15-2,34 6c celle de Draken-
borch , donnée à Utrecht eir 1717. in. 40. M. le
Febvre de ViUebrune , qui en a donné en 17 8 1 ,
a Paris , une édition 6c une traduéüon, a confulté les
meilleurs Manufcrits, 6c a conféré jufqu’à trente-fept
éditions différentes dé SHius, depuis 1471 jufqu’en
1775 > a retrouvé un fragment précieux de Sillus,
que Pétrarque s’étoit arroge , 6c qu’il avoit inféré
avec. quelques changemens dans fon poëme de
l’Afrique, livre 6.
SiLius, ( Caïus) ( Hifi, Rom, ) c’eft cô jeune homi