
D e l a Ta il l e des Pierres précieufes.
L’art de tailler les pierres précieufes eft très-
ancien ; mais cet art, comme bien d’autres, étoit fort
imparfait dans fes commencemens. Les François y
ont réuffi le mieux ; & les lapidaires de Paris, qui
depuis 1290 fe font formés en corps , ont porté cet
art à fon plus haut point de perfeâion, fur-tout
pour la taille des brillans.
Ils fe fervent de différentes machines pour tailler
les pierres précieufes, fuivant la qualité de celles
qui doivent paffer .par leurs mains. Le diamant le
plus dur fe taille & le forme fur une roue d’un acier
Fort doux, tournée par une efpèce de moulin, avec'
de la pouffière de diamant, trempée dans l’huile
d’olive ; ce qui fert à polir le diamant auffi bien
qu’à le tailler.
Les rubis, laphirs & topazes d’Orient, fe forment
& fe taillent fur une roue de cuivre, avec de
1 huile d olive & de la pouffière de diamant, & on
les polit fur une autre roue de cuivre, avec du tripoli
détrempé dans de l’eau.
Les émeraudes, hyacintes, améthyftes, les gre-
nats, agates & autres pierres moins dures, fe taillent
fur une roue de plomb, avec de l’émeril & de
1 eau , & on les polit fur une roue d’étain avec du
tripoli.
La turquoife de l’ancienne & d.e la nouvelle ro-
ih e , le girafol & l’opale fe taillent & fe poliffent
fur une roue de bois avec du tripoli. _
Taille du Diamant.
Le diamant au fortir de la mine eft revêtu d’une
Croûte obfcure & groffière, qui laiffe à peine apper-
cevoir quelque tranfparence dans l’intérieur de la
pierre ; de forte que les meilleurs connoiflèurs ne
peuvent pas juger de fa valeur. Ainfi encroûté, on
l ’appelle diamant brut.
La première opération de la taille du diamant
eft celle par laquelle on le décroûte : mais cette
matière eft fi dure, que l’on n’en connoît aucune
autre qui puiffe la divifer par le frottement, c’eft-
à-dire, en terme d’art, qui puiffe mordre deffus ;
en effet, lorfqu’on frotte un diamant avec la meilleure
lime, on ufe la lime , tandis que le diamant
refte dans .fon entier ; la pouffière du grès , du
caillou, du criftal, &c. eft réduite fous le diamant
en poudre impalpable fans y laiffer la moindre im-
preffion r* il a donc fallu oppofer le diamant au
diamant même pour le travailler.
On les frotte les uns contre les autres pour les
ufer , c’eft ce qu’on appelle égrifer les diamans. On
les maftique chacun au bout d’un petit bâton en
forme de manche, que l’on peut aifément tenir
à la main pour les frotter avec plus de facilité.
Par ce moyen les diamans mordent l’un fur l’autre ;
& il s’en détache une pouffière que l’on reçoit dans
une petite boîte nommée égrifoir; cette pouffière
fert enfuite à les tailler & à J es polir. Pour leur donner le poli, il faut fuivre le fil de
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la pierre ; fans cette précaution, on n’y réuffiroit
pas ; au contraire, le diamant s’échaufferoit fans
prendre aucun poli, comme il .arrive dans ceux
qui n’ont pas le fil dirigé uniformément : on les
appelle diamans de nature.
Les diamantaires les comparent à des noeuds de
bois dont les fibres font pelotonnées , de façon
qu’elles fe croifent en diftérens fens.
Lorfque le diamant eft décroûté, on peut juger
de fa tranfparence & de fa netteté. Dans le commerce
on entend par eau la tranfparence du diamant.
Un diamant d’ime eau fèche & d’une eau crif-
talline, eft un diamant d’une belle tranfparence.
Les François fe font adonnés affez tard à la taille
du diamant & des pierres précieufes ; & l’on peut
juger, par quelques pierres qui reftent encore de
leur première taillé, qu’ils n’y étoient pas d’abord
fort habiles. Us y ont enfuite fait un fi grand progrès
, & les lapidaires de Paris, comme on vient
de le dire, ont pouffé cet art à un tel point de
perfection, qu’il n’y a pas d’apparence qu’on puiffe
déformais le porter plus loin.
Les pierres précieufes fe taillent en général fur
des roues de métal, qui font mues horizontalement
par le moyen d’un tour compofé de plufieurs pièces
dont les principales font un arbre coudé, une cra-
paudine d’acier où roule le pivot de l’arbre, deux
roues, dont une de bois & l’autre de fe r , une manivelle
donnant le jeu à la roue de bois par le coude
de l’arbre, une corde à boyau paffant autour de la
roue de fer & autour de la roue de bois.
Si la roue de bois eft vingt, fois plus grande
que la roue de fer, celle-ci fera vingt tours fur
le diamant pendant que la grande n’en fait qu’un
fur fon arbre; & tandis qu’un garçon donne fans
réfiftance une centaine d’impulfions à la manivelle,
le diamant éprouve deux mille fois le frottement de
la meule entière. Il obéit malgré fa dureté aux fou-
haits du lapidaire , qui fuit le travail des yeux, fans
y . prendre d’autre part que de déplacer le diamant
pour mordre fur une face nouvelle, & d’y jetter
à propos quelques gouttes d’huile & de la poudre
de diamans égrifés l’un contre l’autre.
Mais après ces notions générales, entrons dans
des détails particuliers fur l’art de tailler le diamant.
La taille du diamant eft, difons-nous, le poli,
le brillant & la forme qu’on donne aux diamans
bruts par le fecours de l’art.
C ’eft une découverte moderne, qui n’eft point le
produit de la recherche des gens qu’on nomme dans
le monde gens d’efprit, ni même des philosophes
fpéculatifs. Ce n’eft pas à eux que nous en fommes
redevables, non plus que des inventions les plus
étonnantes ; mais au pur Jhafard, à un inftinél mécanique
, à la patience , au travail & à fes ref-
fources. Nous indiquerons bientôt, d’après M. Mariette
, la manière, dont cette découverte a été faite
il n’y a pas encore 300 ans, fuivie & conduite au
point de perfection où elle eft aujourd’hui. L’Ency
dopédie, s’il eft permis de répéter ici les paroles
des éditeurs de cet ouvrage , » l’Encyclopedie fera
„ l’hiftoire des richeffes de notre fiècle en ce genre ;
„ die la fera & à ce fiècle qui l’ignore, & aux fiècles
„ à venir qu’elle mettra fur la voie pour aller plus
„ loin. Les découvertes dans les arts n’auront plus à
» craindre de fe perdre dans l’oubli. «
Perfonne n’ignore que le diamant eft la plus com-
pafte, & par conféquent la plus dure de toutes les
produffions de la nature. Il entame tous les autres
corps, & ne peut l’être que par lui-même ; & s’il a
fur .eux de l’avantage, il en eft redevable à cette
extrême dureté, puifque c’eft elle qui lui procure
ce feu étincelant dont il paroît pénétré. Le diamant
fe tire de la mine ordinairement brut, & ref-
femble alors à un fimple caillou ; on n’en rencontre
point communément auxquels la nature ait elle-
même donné la taille, c’eft-à-dire qui foient polis ,
que la nature y ait concouru, & dont les faces
foient régulièrement formées ; mais il s’en préfente
cependant quelquefois où la taille paroît indiquée,
& qui, ayant roulé parmi les fahles dans le lit des
rivières rapides, fe trouvent polis naturellement,
& tout-à-fait tranfparens : quelques-uns même font
facettés. Ces fortes de diamans bruts fe nomment
brus ingénus; & lorfque leur figure eft pyramidale
& fe termine èn pointe, on les appelle pointes
naïves.
Il n’y a pas d’apparence que les anciens aient reconnu
& recherché d’autres diamans que ces derniers
; les quatre qui enrichiffent l’agraphe du manteau
royal de Charlemagne, qu’on conferve au tré-
for de faint Denis, ne font que ces pointes naïves.
Tout imparfaits qu’étoient les diamans que la nature
avoit ainfi formés, on ne laiffa pas de les regarder
comme ce qu’elle ôffroit de plus rare ; & Pline ,
liv. x x x v ii, ch. iv , remarque que pendant longtemps
il n’appartint qu’aux Rois, & même aux plus
puiffants, d’en pofféder quelqu’un. On foupçonnoit
Agrippa , dernier roi des Juifs, d’entretenir un
Commerce inceftueux avec Bérénice fa fceur ; &
le précieux diamant qu’il mit au doigt de cette prin-
ceffe, réalifa prefque ces foupçons ( Foye^ Juvenal,
Satire vj 3 vers i f f ) , tant on avoit conçu une haute
idée de cette pierre ineftimable 1 Je laiffe à penfer
de quel oeil les Romains auroient regardé nos diamans.
brillans, eux dont la magnificence alloit juf-
qu’à la prodigalité ia plus outrée, quand il s’agif-
foit de fatisfaire leur luxe.
Pline nous débite que pour avoir de la poudre de
diamant, dont les graveurs fe fervent lorfqu’ils
gravent les autres pierres fines, on fait tremper
le diamant dans du fang de bouc tout chaud; &
que devenant par ce moyen plus tendre, la pierre
fe. réduit aifément en petits éclats , & fe divife
même en portions fi menues, que l’oeil peut à peine
les difcerner. Quoique rien ne l’oit plus ridicule que
ce conte du naturalifte romain, on apperçoit néanmoins
au travers de fon récit fabuleux, que les anciens
broyoient comme nous le diamant ; & fans
doute que ceux qui en avoient le fecret, & qui
faifoient négoce de poudre de diamant, n’avoient
inventé un pareil menforige qu’afin de donner le
change, & demeurer plus fûrement en poffeffion
d’un commerce qui auroit ceffé de leur être auffi
lucratif s’il eût été partagé.
Ce qui doit paroître furprenant, c’eft que les
anciens ayant reconnu dans le diamant la force
d’entamer toutes les autres pierres fans exception ,
ils n’aient pas apperçu qu’il faifoit le même effet fur
lui-même : cela les condiiifoit tout naturellement à
la taille de cette pierre précieufe , pour peu qu’ils y
euffent fait attention. Mais c’eft lé fort de toutes les
découvertes , que plus on femble près de les faire,
plus on en eft éloigné ; ce n’eft prefque toujours que
le hafard qui en décide.
La taille du diamant, comme je l’ai dit ci-deffus,
ne doit elle-même fon origine qu’à un coup de hafard.
Louis de Berquen, natif de Bruges , qui le
premier la mit en pratique , il y a trois fiécles
(en 14 7 6 ), étoit un jeune homme qui fortoit à
peine des claffes ; & q u i, né dans une famille
noble, n’étoit nullement initié dans l’art du lapidaire.
Il avoit éprouvé que deux diamans s’enta-
moient fi on les frottoit un peu fortement l’un contre
l’autre ; il n’en fallut pas davantage pour faire'
naître dans un fu jet induftrieux & capable de méditation
, des idées plus étendues. Il prit deux diamans
bruts, les monta fur le ciment, & les égrifant
l’un contre l’autre, il parvint à y former des facettes'
affez régulières ; après quoi, à l’aide de certaine roue
de fer qu’il avoit imaginée , & de la pondre qui
étoit tombée de ces mêmes diamans en les égrifant,
& qu’il avoit eu foin de recueillir, il acheva,
en promenant ces diamans fur cette poudre, de
leur donner un entier poli. On vit paroître pour
lors le premier diamant devenu régulier , poli '
& brillant par le fecours de l’art; mais qui n’eut
pour cette fois d’autre forme qu’une pointe naïve.
C ’en étoit affez pour une première tentative ; il
fuffifoit d’avoir pu réduire le diamant à recevoir
une forme & un poliment, fans lequel il conti-
nuoit de ne faire aucun effet, de n’avoir ni jeu ni
brillant, & dèmeuroit une pierre morte & abfolu-
ment inutile. Le premier effai eut les fuites les plus
heureufes , à l’exception d’un très-petit nombre de
diamans revêches, auxquels on a donné le nom
de diamans de nature , & q u i, quelqu’effort qu’on
faffe, ne peuvent point acquérir le poli dans certaines
parties, ce qui vient de ce que le fil en eft
tortueux : tous les autres diamans fe font prêtés à
l’art du lapidaire, qui s’y eft pris de différentes
façons pour donner la taille, fuivant que la forme
du diamant brut le permettoit & le demandoit.
On eft aux Indes dans cette perfuafion, qu’il eft
important de ne rien perdre d’un diamant, & l’on y
eft moins Curieux en le taillant de lui faire prendre
une forme régulière, que de le conferver dans toute
fon étendue. Les pierres qu’on reçoit toutes taillées
de ce pays-là, ont prefque toujours des formes