
L’établi eft une table épaiffe , baffe & fort fbli-
d e , arrangée de façon que l’on peut y travailler
des deux côtés. Près de l’un des bords eft le barbelet
, & fon chevalet. Le milieu de l’établi eft occupé
par un carré, formé par quatre tringles de
bois qui font clouées fur la table ; elles ont un pouce
de hauteur. Près de l’autre bord eft ce qu’on appelle
Y étau. Chaque côté de l’établi eft garni d’un tablier
de cuir, cloué contre le bord , & que l’ouvrier
attache devant lui quand il travaille.
Le barbelet eft une pièce de fer qui entre dans
rétabli par fes deux pointes & y eft arrêtée ferme.
Le deffus du barbelet eft à deux étages. La partie
baffe , que j’appelle leplat, eft entaillée d’une petite
rainure qui fe prolonge par un trou de foret, & qui
entre de quelques lignes dans l’épaiffeur du fer. La
partie fupérieure , ou la tete du barbelet, fert de
tas , fur lequel on redreffe au marteau les fils de fer
qui en ont befoin. Cette tête du barbelet, qui fert
d’enclume , eft couverte d’une table d’acier. Il faut
que la rainure & le trou foient proportionnes à la
groffeur des hains qu’on fe propofe de faire. On a
donc plufieurs barbelets de rechange.
Le chevalet, que l’on nomme auffi le rencontre du
barbelet, eft une autre pièce d efer, fixée de même
fur la table par fes deux pointes, à quatre pouces à
gauche du barbelet.
Le barbelet eft accompagné de plufieurs planes.
La plane eft une efpècé de couteau de vingt-deux
pouces de longueur totale, dont la lame eft toute
plate par le deffous, & taillée en bifeau par le deffus
du tranchant. Elle a huit a neuf lignes de largeur au
tranchant, feulement quatre lignes dans le réfte de
fa longueur, & trois lignes d’epaiffeur; fou manche |
a onze pouces de longueur, oc eft rond.
U étau , dont il s’agit i c i , n’eft qu’un morceau
brut de bois dur, ou une bûche,de hêtre, qui fert à
fupporter les fils de fer que l’on travaille à la lime.
Il eft planté debout & bien affujetti contre la table.
Sa tête eft entaillée de plufieurs crans on étages,
dont le fupérieur porte une pointe de fer fans tête,
contre laquelle on appuie latéralement le fil de fer
que l’on façonne. Il faut, outre cet étau, une tenaille
à boucle , ou pince à coulant, & plufieurs limes
plates ordinaires , folidement affujetties dans des
manches de bois de treize pouces de longueur.
Chez les ouvriers bien fournis d’outils , le barbelet
& l’étau ont un peu plus de façon ; mais la
plupart n’y regardent pas de fi près. On fe fert aufii,
pour les gros hains à morue, d’un médiocre étau de
fer , à mâchoires , femblable a celui des ferruriers ,
il eft fixé fur fétabli.
Il faut encore fur l’établi plufieurs pleteux à main
ou fourchettes. Cet outil a une poignée ou manche
de bois , dans lequel on chaffe un morceau de fer
qui excède le manche d’environ un pouce , & refendu
d’une profondeur & largeur convenables pour
courber les petits & moyens hains. Pour les gros
hains on fe fert d’un autre pleteu tout de fer.
Les trois différens blocs font, i°, celui à couper.
C ’eftun peloton, ou une fouche d’arbre , monté fur
trois ou quatre pieds , fur la furface duquel font
chaffés à force plufieurs affortimens , compofés
chacun de deux pièces : l’u n e , qui fe nomme la
tranche ou le coupeur, eft d’acier trempé & un peu
coupant par le Commet ; cette tranche a deux pouces
de largeur , un pouce & demi de hauteur, 8c trois
lignes d’épaiffeur par le pied auprès du bloc. L autre
pièce , qui fe nomme le rencontré, eft de cinq a fix
lignes, d’épaiffeur, deux pouces de largeur & autant
de hauteur. Ces deux pièces font plus ou moins
éloignées l’une de l’autre, fuivant la longueur des
hains que l’on veut faire. Il faut en outre avoir une
petite maffe ou marteau , dont la tête foit de fer
doux fans acier.
L’autre bloc qu’on nomme à palleter, eft de même
une fouche d’arbre, qui porte un tas d acier de trois
pouces de hauteur au deffus du bloc , autant de
large, & neuf lignes d’épaiûeur. Ce bloc eft garni
d’un tablier de cuir, & d’un marteau ordinaire, a
tête acérée.
Le bloc aux gros hains n’eft qu’une forte bûche
de quartier couchée de plat, que l’ouvrier enfourche
, & fur le dos de laquelle il fixe folidement le
grand barbelet & le pleteu de fer, lorfqu il fait de
gros hains.
' Les hains pour la mer font prefque tous de fil de
fer. Ôn ne le choifit qu’à fa netteté & clarté ; il doit
être conforme, pour les groffeurs, a des jauges qpe
l’ouvrier porte avec lui chez le marchand. Il faut que
ce fil foit ferme & èlaftique , fans être aigre ou
caffant ;-mais c’eft ce que l’on ne peut reconnoître
qu’en l’employant ; & ce défaut occafionne fouvent
un grand déchet fur le f i l, principalement quand il
eft de gros échantillon. Le plus cher n’eft pas toujours
de bonne qualité.
La fabrique des hains confifte en fix opérations
fucceflives : favoir, i°. couper ce fil de longueur;
z9. le barbillonner; 30. l’appointer; 4°. le courber;
50. palleter les hains , ce qui n’a pas lieu pour les
gros ; 6°..les étamer.
Le fil, tel que l’ouvrier l ’achète, gros ou menu,
ne reçoit de lui aucune préparation. Il ne faut ni le
tirer, ni le recuire , ni le redreffer ; c’eft fans doute
pour épargner ces manoeuvres , que' l’ouvrier en
hains n’en coupe pas plufieurs enfemble au moule
avec des cifailles , comme les -épingliers coupent
leurs hanfes. Le faifeur d’hains tient le paquet de fil
délié fur lui ; il appuie le bout du fil contre le rencontre
, il le pofe fur le coupeur, & d’un feul coup
delà maffe, il tranche le fil à la longueur déterminée
, par l’intervalle qui eft entre le coupeur & le
rencontre.
Les gros hains étant d’un fil de près de huit lignes
de circonférence, & douze pouces de longueur, ils
fe coupent avec un cifeau à froid.
Pour barbillonner les hains à une diftance con-
venable.de la pointe, l’ouvrier, qui les a tous placés
dans le carré de l’établi, en prend dans fa main
gauche une poignée bien arrangée en faifeeau , &
ayec
avec le pouce il en fait gliffer un fur le plat du barbelet,
dans la rainure à ce deftinée. Ce fil entre
de quelques lignes, au fond du trou de foret, & fe
trouve par ce moyen très-bien affujetti, ayant un
tiers de fon épaiffeur au deffus du plat du barbelet.
Alors l’ouvrier engage le bout de la plane dans le
talon du chevalet, couche de plat le tranchant de
la plane fur le fil à façonner ; puis appuyant obliquement
ce tranchant fur le f il, èn conduifant la
plane de la main droite , il y fait une entaille, dont
le bifeau de la plane relève un peu l’ébarbure. C ’eft
là la feule opération de tout le métier qui demande
de l’habitude & un tour de main pour être bien
faite , fans gâter ni le fil, ni la plane. Cette entaille
& fon ébarbure font ce que l’on nomme le barbillon
de l’hain. L’ouvrier laiffe alors tomber fon fil dans
fon tablier, & fur le champ fon pouce en affujettit
un autre fur le barbelet ; manoeuvre qui va beaucoup
plus vite qu’on ne peut la décrire.
Lorfque les hains font plus gros que ceux qui
fervent aux groffes raies , la plane n’a plus affez de
force pour y lever le barbillon. Alors l’ouvrier enfourche
le bloc aux gros hains ; il y plante devant
lui le grand barbelet, dans la rainure & le trou
duquel il couche fon gros fil. Il prend un cifeau à
froid, qu’il pofe obliquement fur le f i l , & frappe
fur cet outil avec un marteau, jufqu’à ce qu’il ait
fait lever en barbillon le tiers de l’épaiffeur du fil
& comme alors ce gros fil fe gauchit, il le redreffe
à coups de marteau fur la tête du barbelet, qui eft
acérée & fert d’enclume.
Quand les hains font barbillonnés & remis dans
le carré de l’établi, l’ouvrier paffe du côté de l’étau ,
il prend ces fils l’un après l’autre dans fa pince à
coulant, par le bout oppofé à celui du barbillon ;
il les couche fur le cran d’en bas de fon étau ; il y
applatit la pointe à la lime, tenant le barbillon en
haut ; puis fur le cran fupérieur de l’étau , il l ’ap-
-pointit, l’arrondit, & le diminue de groffeur depuis
cette pointe jufqu’au barbillon, auquel il a grand
foin de ne point toucher ; la plane le forme toujours
affez aigu. Il faut que la pointe de l’nain foit bien
-nette, Fans qu’il y refte aucune bavure ou morfil.
Les épingliers forment la pointe fur une meule ;
mais de cette façon, elle eft toujours courte : au
lieu que pour les hains, ainfi que pour les aiguilles,
elle doit être amenée de loin, ce qui fait qu on les
forme avec une lime.
Pour tenir ferme le long manche de la lime qui a
treize pouces de longueur, l’ouvrier paffe dans fon
bras une courroie un peu ferrée , dans laquelle il
fait paffer ce manche , & l’affujettit parallèle à
l’avant-bras ; ce qui foulage la main du poids de la
lime.
Si ce font de gros hains qu’il veut appointir, il les
faifit dans un étau à mâchoires, femblable à célui
des ferruriers& fait agir la lime à deux mains, tant
pour la pointe que pour le barbillon, qui eft fort
mouffe lorfqu'il a été levé à coups de cifeau.
Il eft à propos de remarquer que quand on forme
Arts & Métiers. Tome IL Partie II.
le barbillon, le coup de plane ou les coups du cifeau
à froid élèvent affez confidérablement ce barbillon
au deffus de la furface du fil ; enforte que ce barbillon
forme un arrêt qui s’oppofe à l’entrée de
l’appât jufqu’à la courbure de l’hain, & qui eft très-
propre à le déchirer. Quelques pêcheurs prétendent
que c ’eft pour diminuer cet arrêt , que Ion jette
toujours la pointe en arrière, en la formant le plus
en dehors qu’il eft pofiible. * ?
Pour courber les petits hains & les moyens, 1 ouvrier
prend d’une main le pleteu à manche ; il paffe
dans l’ouverture du fe r , le fil qu’il tient de l’autre
main dans fa pince à coulant, laiffant fortir la pointe
& le barbillon, & d’un demi-tour de main il lui
donne fa courbure. Il lâche enfuite le coulant de la
pince, & laiffe tomber l’hain dans fon tablier, pour
en appointir un autre. Un feul ouvrier peut en appointir
& courber dans fa journée deux mille des
plus petis, à limandes ou merlans, ou deux cents
de ceux à groffes raies.
Les hains, plus gros que ces derniers, ne peuvent
fe courber avec le même pleteu. Alors on fe fert de
celui qui eft tout de fe r , que l’ouvrier enfonce bien
ferme dans le bloc aux gros hains ; & paffant fon
gros fil dans la fente de ce pleteu, il le faifit par la
tige , & lui donne à plufieurs reprifes la courbure-
qu’il ju g e convenable.
Nous avons déjà dit que cette courbure des hains ,
& fur-tout des gros, varie fuivant les idées ou les
préjugés.de chaque pêcheur. Les uns les veulent
fermés à deux doigts d’ouverture entre la pointe &
la tige, les autres à trois , d’autres à quatre doigts.
Il fe trouve auffi des pêcheurs qui veulent les avoir
tantôt plus 8c tantôt moins fermes ; & d autres
encore qui achètent de ces gros hains tout droits,
c’eft-à-dire , appointis 8c barbillonnés , mais fans
courbure ni étamage , pour les courber eux-memes
à leur gré pendant la pêche. En ce cas , ils plantent
dans un bloc plufieurs pointes de clous, décrivant
entre elles la figure qu’ils veulent donner à leurs
hains ; & en engageant la pointe de l’hain entre deux
clous, ils le contraignent fort aifément à prendre la
forme qu’ils ont donnée aux clous. Mais quelques
pêcheurs , plus raifonnables qu’ils ne le font pour
la plupart, conviennent que le contour de cette
courbure fait très-peu de chofe au fuccès de leur
travail, & que l’on caffe la plus grande partie des
hains que l’on veut courber ainfi loi-même.
Comme je ne voyois pas ce qui pouvoit faire
cafler fi facilement ces gros hains entre les mains
des pêcheurs , un fabriquant d hains me 1 expliqua
très-clairement. Il me fit voir que le gros fil de fer
ayant.étè tiré à la tenaille, en eft mordu à tous les
trois ou quatre pouces. Les ferres ou mâchoires de
cette tenaille , foit quelles entament le f i l , foit
-qu’en le comprimant elles le rendent plus aigre-,
font vifiblement caufe qu’il fe caffe beaucoup plus
aifément en ces endroits qu’ailleurs. C ’eft ce qui
1 arrive infailliblement s’il fe trouve une de ces ma-
l chures de la tenaille à l’endroit du plus grand pli de
I i i i i