
Charles V I I , rois de France, écrivolent avec élégance
, & mieux qu’aucun maître de leur temps.
Nous avons eu deux miniftres célèbres par leur
mérite, MM. Colbert & Defmarets , qui ècrivoient
avec la plus grande propreté. Le premier fur-tout
aimoit & fe connoiffoit à cet art. Il fùffifoii de lui
préfenter des pièces élégamment écrites, pour obtenir
des emplois.
Avantages de la bonne Écriture.
Sous Louis X IV , il y avoit à Poifly un maître
écrivain nommé Gobaille , qui avoit l’art de tracer
avec exaétitude tous les caractères. Sa réputation
parvint jufqu’à Colbert, qui, pafiant par cette petite
ville , voulut voir ficet homme avoit autant de ta-
lens qu’on lui en donnoit. Il entra dans fa maifon,
vit fes ouvrages, & converla long-temps & familièrement
avec lui.
Satisfait des talens & du mérite de cet artifte, il
le tira de l’état pénible d’enfeigner, pour le placer
avantageufemenî.
Sa famille jouit encore aujourd’.hui, ditM. d’Au-
trepe , dans fon éloge de Colbert, du fruit de fon
adreffe & de fon intelligence.
Aioutons que l’art d’écrire é:oit autrefois plus
eftime.
Roterdam, en un certain temps de l’année, dé-
cernoit une plume d’or au maître écrivain qui ex-
celloit dans fon art.
Ce fiècle, continue M. Paillaflon , où les belles
mains étoient rècompenfées, a difparu trop tôt ; celui
auquel nous vivons, n’offre que rarement à la
plume de fi heureux avantages.
Un trait arrivé prefque de nos jours à Rome , &
attefté par M. l’abbé MoJardini, fecrétaire du faint
office délia propagandafide, fera connoître que l’écriture
trouve encore des admirateurs , & qu’elle peut
conduire aux dignités les plus éminentes. Il a afliiré
qu’un cardinal, de la création de Clément X I I , dut
en partie fon élévation à l’adrefle qu’il avoit de bien
écrire. Ce fait , tout véritable, qu’il e ft, paroîtra
extraordinaire, & même douteux à beaucoup de
perfonnes ; mais les Italiens penfent autrement que
nous fur l’écriture. Un habile écrivain parmi eux ,
eft autant eftimé qu’un fameux peintre ; il eft décoré
du titre de virtuojfo , & l’art jouit de la prérogative
d’être libre.
S’il eft indifpenfable de favoir écrire avec art &
avec méthode, il eft auffi honteux de ne le pas favoir
ou de le favoir mal. Sans entrer ici dans les
détails , & faire fentir les malheurs que cette ignorance
occafionne , je ne m’arrêterai qu’à quelques
faits.
Quintilien , injïit. orat. t iv .I , chap. i , fe plaint
que de fon temps on négligeoit cet art, non pas jufqu’à
dédaigner d’apprendre à écrire , mais jufqu’à
ne point fe foucier de le faire avec élégance &
promptitude.
L’empereur Carin eft blâmé par Vopifque, d’avoir
porté le dégoût de l’écriture , jufqu’à fe décharger
I fur un fecrétaire, du foin de contrefaire fa figna;
L ture. 6
Egnate, liv. I , rapporte que l’empereur Licinius
fut méprifé parce qu’il ignoroit les lettrés ; & qu’il
ne pouvoit placer fon nom au bas de fes ordonnances.
J’ai appris d’un homme très-connu par de fayans
ouvrages , & dont je tairai le nom, un trait fingulier
de M. le maréchal de Villars. Dans une de fes campagnes
, ce héros conçut un projet qu’il écrivit de
îà main. Voulant l’envoyer à la cour , il chargea un
fecrétaire de le tranfcrire ; mais il étoit fi mai écrit
que ce fecrétaire ne put le déchiffrer, & eut recours
dans cet embarras au maréchal, qui-, ne pouvant
. lui-même lire ce que fa main avoit tracé , dit : '»> que
” l’on avoit tort de faire - négliger l’écriture aux
” jeunes feigneurs , laquelle étoit fi néceflaire à un
» homme de guerre qui en avoit befoin pour le fe-
” crét, & pour- que fes ordres étant bien lus , puf-
” fent être exécutés ponctuellement. « Ce traitprouve
bien la néceflité de favoir écrire proprement. L’écriture
eft une reffource toujours avantageufe & l’on
peut dire qu’elle fait fortir fouvent une homme de
: la fphère commune , pour l’élever par. degré à un
état plus heureux , ou fouvent il «’arriverait pas,
s’il ne poffédoit point ce talent.
Un jeune gentilhomme étant à l’armée , follici-
toit à la cour une place très-avantageufo dans une
ville frontière. Il étoit fur le point de l’obtenir , lorf-
qu’il envoya aü miniftre un mémoire , qui, étant
mal écrit & mal conçu , fit voir une ignorance qui
n’eft pas pardonnable dans un homme de condition
, & que le pofte qu’il defiroit ne fupportoit
point ; auffi n’en fut-il pas pourvu.
On voit par cet exemple , que l’art d’écrire eft
aufli néceflaire aux grands qu’aux petits. Un roi,
un prince, un miniftre, un magiftrat, un officier,
peuvent fe difpenfer de favoir peindre, jouer d’un
infiniment ; mais ils ne peuvent aflez ignorer l’écriture
, pour ne la pas former au moins dans un
goût fimple & facile à lire. Ce n’eft pas, me dira-t-on,
qu’on rerufe de leur donner des maîtres dans leur
bas âge , il eft vrai; mais a-t-on fait un bon choix?
Il arrive tous les jours que des gens inconnus &
d’une foible capacité, font admis pour inftruire
d’un art dont ils n’ont eux-mêmes qu’une légère
teinture , & fur-tout de celui d’écrire, qui a le
caraClère unique d’être utile jufqu’au dernier inftant
de la vie. Dans tel genre de talens que ce foit, un
bon maître doit être recherché, confidéfé & ré-
compenfé.
Par fon habileté & fon expérience , on apprend
dans le beau , dans le naturel, & d’une manière
qui ne fe corrompt point & qui fe foutient toujours
, parce que fon enfeignement eft établi fur
des principes certains & vrais. Je ne puis mieux
donner pour imitation que ce qui a été obfervé aux
éducations de deux princes vivans pour lè bonheur
des hommes : ce font M. le duc d’Orléans & M. le
prince de Condé ; tous deux écrivent avec goût &
■ avec.
avec grâce ; tous deux ont appris de maîtres titrés ;
écrivains habiles, & qui avoient donné des preuves
de leur fupériorité.
Ce quis’eft exécuté dans rétabliffement de 1 école
royale militaire , affure encore mon fentiment. On a
fait choix pour l’écriture de maîtres connus , approuvés
, & connoiffant à fond leur art ; ce qui prouve
que’M. Paris Duverney, à qui rien n’échappoit, le
regardoit comme une des parties effentielles de l’éducation
de la jeune noblefle qu’on y élève. On peut
dire à fa louange , que tous les talens étoient bien
reçus chez lu i, & que l’écriture y tenoit une place
honorable. ..
Je me fuis un peu étendu fur 1 art-d écrire , parce
que j’ai cru qu’il étoit néceflaire de faire fentir combien
on avoit tort de le négliger. Une fois perfuadé
de cette vérité , on doit encore être certain que
l’écriture ne s’apprend que par des principes. Personne
, je crois , ne met en doute , qu’il n’eft point
d’art qui n’en foit pourvu , & il feroit abfiirde de
foutenir que l ’écriture en eft exempte. Si elle étoit
naturelle à l’homme , c’eft-à-dire, qu’il pût écrire
avec grâce & proprement dès qu’il en auroit la'volonté
; & fans l’avoir apprife , alors je conviendrais
que cet art feroit le feul qui ne fut pas fondé fur les
règles : mais on fait que les arts ne s’apprennent
point fans le fecours des maîtres , & fans les principes.
Comme il faut tous ces fecours , moins, à la ;
vérité, pour des feigneurs, qui n’ont befoin que
d’une écriture fimple & régulière, & plus pour ceux
qui veulent approfondir l’art, il eft clair que dans
l’un & l’autre cas, on doit être enfeigné par de bons
maîtres & par les principes ; mais il ne faut pas que
ces principes foient confus & multipliés ; ils doivent
être au contraire fimples, naturels , & démontrés fi
fenfiblement, qu’on puiffe foi-même connoître les
défauts de- fon caraCtère , lorfqu’il n’eft pas tracé
dans la forme que lç maître a. peinte à l’imagination.
Tous les arts, dit avec raifon M. de Voltaire ,font
accablés par un nombre prodigieux de règles , dont la
plupart font inutiles ou faufes. En effet, la multiplicité
des règles , & l’obfcurité dont l’artifte enveloppe
fes dèmonftrations, rebutent fouvent l’élève,
qui ne peut les éclaircir par fon peu d’intelligence
ou de volonté. «
Je n’irai pas plus loin fur la néceflité des principes
dans les arts.
Or ig in e d e s É c r it u r e s qui font en ufage en
Franc e , & de leurs caractères diflinSüJs.
M. Paillaflon, après le préambule qu’on vient
de lire, pafie à l’origine des écritures qui font en
ufage en France , & à leurs caractères diftinCtifs.
Trois écritures, dit-il, font en ufage : la fran-
çoife ou la ronde ; l’italienne ou la bâtarde ; la coulée
ou de permijfon.
Écriture Françoife ou Ronde.
La ronde tire fon origine des caractères gothiques
modernes , qui prirent naiffance dans le douzième
Arts & Métiers. Tome IL Partie I.
fiècle. On l’appelle françoife, parce qu’elle eft la
feule écriture qui eft particuliérement affeCtée à
cette nation, fi connue pour la perfection qu’elle
communique aux arts. Voilà pour fa naiffance |
voyons fon caraCtère propre.
La ronde eft une écriture pleine, frappante &
majeftueufe. La difformité la cleguife entièrement ;
elle veut une compofition abondante ; ce n’eft pas
qu’elle ne flatte dans la fimplicité , mais quand elle
produit des effets mâles & recherchés, & qu’il y a
une union intime entre eu x , elle acquiert beaucoup
plus de valeur. Elle exige la perfection dans
fa forme, la jufteffe dans fes majeures , le goût &
la reCtitucïe dans le choix & l’arrangement de fes
caractères, la délicatefle dans le toucher ,& ià grâce
dans l’enfemble. Elle admet les paffes & autres mou-
vemens tantôt fimples & tantôt compliqués , mais
elle les veut conçus avec jugement, exécutés avec
une vive modération,& proportionnés à fa grandeur.
Elle demande encore dans l’acceffoire, qui font les
cadeaux & les lettres capitales, de la variété , de la
hardiefle & du piquant. Cette écriture eft la plus convenable
à la langue françoife, qui eft féconde en
parties courbes.
L’Italienne ou la Bâtarde.
L^italienne ou la bâtarde tire fon origine des caractères
des anciens Romains. Elle a le furnom de
bâtarde, lequel v ien t, fuivant les uns, de ce qu’elle
n’eft point en Fance l’écriture nationale ; & , fuivant
les autres , de fa pente de droite à gauche. Cette
pente n’a commencé à paroître dans cette écriture ,
qu’après les ravages que firent en Italie les Goths
ou les Lombards.
L’effentiel de 'cette écriture confifte dans la fim-
pliçité & la précifibn ; elle ne veut que peu d’orne-
mens dans la compofition, encore les exige-t-elle
naturels & de facile imitation; elle rejette tout ce
qui fent l’extraordinaire & le furprenant ; elle a dans
fon cara&ere bien des difficultés à raflembler , pour
la peindre dans fa perfeftion ; il lui faut néceffai-
rement, pour flatter les yeux, une pofition de plume
foutenue , une pente jïifte , des majeures fimples &
correftes , des liaifons délicates , de la légéreté dans
les rondeurs, du tendre & du moelleux dans le
toucher. Son acceflbire a pour fondement le rare &
le fimple.
Rien de mieux que les caraCtères de cette écriture
, pour exécuter la langue latine, qui eft extrêmement
abondante en parties droites ou jambages.
La Coulée.
La coulée ou l’écriture de permijfon, dérive également
des deux écritures dont je„viens de parler.
On l’appelle de permijfon , parce que chacun , en
l’écrivant, y ajoute beaucoup de fon imagination.
L’origine de cette écriture eft du commencement
de ce fiècle.
Cette écriture , la plus ufitée de toutes, tient
comme le milieu entre les deux autres. Elle n’a ni
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