la fociété, de manière qu’on en oublia la lignification.
Cependant, malgré tous les avantages des lettres
, les Egyptiens, longtemps après qu’elles eurent
été trouvées, confervèrent encore l’ufage des
hiéroglyphes ;• c’eft que toute la fcience de ce peuple
fe trouvoit confiée à cette forte d’écriture. La
vénération qu’on avoit pour les hommes, paffa
aux caraâères dont les favans perpétuèrent l’ufa-
g e ; mais ceux qui ignoroient lesfciences ne furent
pas tentés de le fervir de cette écriture. Tout ce
que put fur eux l’autorité des favans, fut de leur
faire regarder ces caractères avec refp eâ, & comme
des chofès propres à embellir les monumens
publics où l’on continua de les employer; peut-
être même les prêtres Egyptiens voyoient-ils avec
plaifir que peu à peu ils fe trouvoient feuls avoir
la clé d’une écriture qui confervoit.les fecrets de
la religion. Voilà ce qui a donné lieu à l’erreur de
ceux qui fe font imaginés que les hiéroglyphes
renfermoient les plus grands myftères.
On .voit par ces détails-, comment il eft arrivée
que ce qui devoir fon origine à la nécelfité, a été
dans la fuite du temps, employé au feeret, enfin
cultivé pour l’ornement. Mais, par un effet de la
viciflitude continuelle des chofes , ces mêmes figures
qui avoient d’abord été inventées pour la clarté
, puis converties en myftères , ont repris à la
longue leur premier ufage. Dans les fiècles florif-
fans de la Grèce & de Rome, elles étoient employées
fur les monumens & fur les médailles,
comme le moyen le plus propre à faire connoître
la penfée ; de forte que le même fymbole qui ca-
choit en Egypte une fageffe profonde, étoit entendu
par le fimple peuple .en Grèce & à Rome.
Tandis que ces deux nations favantes fiéchif-.
froient ces fymboles à merveille, le peuple d’Egypte
en oublioit la Lignification ; & les trouvant confa-
çrés dans les monumens publics, dans les lieux des
affemblées de religion & dans le cérémoniaLdes fêtes
qui ne changeoient point, il s’arrêta Rapidement
aux figures qu’il avoit fous les 'yeux. N’allant
pas plus loin que la figure fymbolique, il en
manqua le fens & la fignification. Il prit cet homme
habillé en ro i, pour un homme qui gouver-
noit le ciel ou régnoit dans le foleil ; & les animaux
figuratifs, pour des animaux réels. Voilà en
partie l’origine de l’idolâtrie , des erreurs , & des
fuperftitions des Egyptiens, qui fe tranfmirçntà tous
les peuples de la terre.
Àu refte, le langage a fuivi les mêmes révolutions
& le même fort que l’écriture. Le premier
expédient qui a été imaginé pour communiquer les
penfées dans la converfation , cet effort grofiier dû
à la néceffité , eft venu, de même que les premiers
hiéroglyphes, à fe changer en myftères par des figures
& des métaphores qui fervirent enfuite à l’ornement
du difeours , & qui ont fini par l’élever
jufqu’à l’art de l’éloquence & de la perfuafion.
Les hiéroglyphes d’Egypte étoient un fimple rafinement
d’une écriture plus ancienne, qui re fle t
bloit à l’écriture groflière en peinture des Mexicains
, en ajoutant feulement des marques çarac-
tériftiques aux -images. L'écriture Çhinoife a fait un
pas de plus : elle a rejetté les images, & n’a cqr-
fervé que les marques abrégées qu’elle a multipliées
jufqu’à un nombre prodigieux. Chaque idée a fa
marque diftinâe dans cette écriture, ce qui fait que
femblable au eara&ère univerfel de l’écriture en
peinture, elle continue aujourd’hui d’être commune
à différentes nations voifines de la Chine, quoiqu’elles
parlent des langues différentes.
En effet, les caraéfères de la Cochinchinè, du
Tongking& du Japon, de l’aveu du P. Duhalde
font lés mêmes que ceux de la Chine, & lignifient
les mêmes chofes , fans toutefois que ces
peuples en parlant s’expriment de la même forte.
Ainfi, quoique les langues de ces pâys-là foient
très-différentes, & que les kabitans ne puiffent pas
s’entendre les uns les autres en parlant, ils s’entendent
fort bien en écrivant, & tous leurs livres
font communs comme font nos chiffres d’arithmétique
; plufieurs nations s’en fervent & leur donnent
différens noms ; mais ils fignifient par-tout la
même chofe.
L’on compte jufqu’à quatre-vingt mille de ces
caraâères.
Quelque déguifés que foient aujourd’hui ces
caractères , M. Warburthon croit qu’ils confervent
encore des traits qui montrent qu’ils tirent leur
origine de la peinture & des.images , c’eft-à-dire,
de la repréfentation naturelle des chofes pour celles
qui ont une forme ; •& qu’à L’égard des chofes qui
n’en ont point, les marques deftinées à les faire
connoître , ont été plus ou moins fymboliques
& plus ou moins arbitraires.
M. Freret, au contraire, foutient què cet origine
eft impoflible à juftifier, & que les caractères
chinois n’ont jamais eu qu’un rapport d’inftitution
avec les chofes qu’ils fignifient.
Sans entrer dans cette difeuffion , il paroît prouvé
, par le témoignage des PP. Martini, Magail-
laas , Gaubil, Semedo , & de M. Fourmont, que
les Chinois fe font fervi des images pour les .chofes
que la peinture peut mettre fous les yeux ; &
des fymboles, pour repréfenter par allégorie ou par
allufion les chofes qui ne le peuvent être par elles-
mêmes.
Ainfi, fuivant les auteurs que nous venons de
nommer, les Chinois ont eu des caraélères repré-
fentatifs des chofes pour celles qui ont une forme,
& dés lignes arbitraires pour celles qui n’en ont
point. Cette idée ne feroit-elle qu’une conjeCèure.
On pourroit peut-être, en diftinguant les temps,
concilier les deux opinions différentes au fujet des
caraCtères chinois. Celle qui veut qu’ils aient été
originairement des représentations groftières des
chofes , fe renfermerait dans les caraCtères inventés
par Tfang-Kié , & dans ceux qui peuvent avoir
de L’analogie avec les chQfes qui ont une forme i
& la tradition des critiques ehinois, citéè par M. Fréter
qui regarde les caraCtères comme des fignes
arbitraires dans leur origine, remonteroit jufqu aux
caraCtères inventés parThot.
Quoi qu’il en foit, s’il eft vrai que les caractères
chinois aient effuyé mille variations, comme
on n’en peut doiiter, il n’eft pas poflible de reconnoitre
comment ils proviennent d’une écriture qui
n’a été qu’une fimple peinture ; mais il n’en eft pas
moins vraifemblable que l’écriture des Chinois a
dû commencer comme celle des Egyptiens. Article
de M. le Chevalier de Jaucowrt.
Hijloire de l’Écriture.
11 ffeft pas étonnant qu’on n’ait point d’hiftoire
ancienne profane au-delà d’environ trois mille
années. Les- révolutions de ce globe, & fur-tQut
la longue & univerfellè ignorance de l’art de l’écriture,
qui tranfmet les faits, en font caufe. Il y a
encore plufieurs peuples qui n’en ont aucun ufage.
Cet art ne fut commun que chez un très-petit
nombre dé nations policées, & encore étoit-il en
très-peu de mains. Rien de plus rare chez les François
& chez les Germains que de favoir écrire jusqu’aux
treizième & quatorzième fiècles ; prefque
tous les aâes n’etoient atteftés que par témoins.
Ce ne fut en France que fous Charles VII, en 1454,
qu’on rédigea par écrit les coutumes des provinces/
L’art d’écrire étoit encore plus rare chez les
Efpagnols ; de-là vient que leur hiftoire eft fi fèche
Û fi incertaine jufqu’au temp$ de Ferdinand &
Ifabelle.
Qn voit par - là combien le très-petit nombre
d’hommes qui favoient écrire pouvoient en impofer.
Il y a Ses nations qui ont fubjugué une partie
de la terre fans avoir l’ufage des caraâères. Nous
favons que Gengis-Kan conquit une partie del ’Afie
au commencement du treizième fiècle ; mais ce
n’eft ni par lu i, ni par les Tartares que nous le
favons. Leur hiftoire écrite par les Chinois & traduite
par le Pere Gaubil, dit que ces Tartares n’a-
voient point l’art d’écrire.
Il ne dut pas être moins inconnu au Scythe Ogus
Kan , nommé Madies par les Perfans & par les
Grecs qui conquit une partie de l’Europe & de
l’Afie fi long-temps avant le règne de Cyrus.
Il eft prefque fur qu’alors, fur cent nations , il
y en avoit à peine deux qui ufaffent de caraftères.
Cependant l’écriture étoit une invention trop
beutetife, dit M. Paillaffon, pour n’être pas regardée
dans fon commencement avec la plus grande
furprife. Tous, les peuples qui en ont fuccefîive-
ment eu la connoilïance , n’ont pu s’empêcher de
l’admirer, & ont fenti que de cet art fimple en lui-
même , les hommes retireroient toujours de grands
avantages. Jaloux d’en paroître les inventeurs , les
Egyptiens & les Phéniciens s’en font long-temps
difputé la gloire ; ce qui met encore aujourd’hui
en queftion , à laquelle de ces deux nations on doit
Véritablement l’attribuer.
L’Europe ignora les caraélères de l’écriture, juf- •
ques vers l’an du monde 262.0, que Cadmus pafi
finit de Phénicie en Grèce, pour faire la conquête de
la Béotie ,en donna la conneiffance aux Grecs ; & ,
deux cents après , les Latins la reçurent d’Evandre,
à qui Latinus leur roi donna pour récompenfe une
grande étendue de terre, qu’il partagea avec les
Arcadiens qui l’avoient accompagné.
L’écriture étoit devenue trop utile à toutes les
nations policées, pour éprouver le fort de plufieurs
autres découvertes qui fe font entièrement per-,
dues.
Depuis fa naiffance jufqu’au temps d’Augufte ;
il paroît qu’elle a fait l’étude de plufieurs favans ,
qui, par les corre&ions qu’ils y ont faites, l’ont
portée à ce degré de perfe&ion où on la voit fous
cet empereur. On ne peut difeonvenir que l’écriture
n’ait dégénéré par la fuite de la beauté de fa formation
, & qu’elle ne foit retombée dans la groflié-
reté de fon origine, lorfque les barbares répandus
dans toute l’Europe comme un torrent, vinrent
fondre fur l’empire Romain , & portèrent aux arts
les coups les plus terribles. Mais, toute défeftueufa
qu’elle étoit, on la recherchoit, & ceux qui la poP
fédoient étoient regardés comme des favans du
premier ordre.
A la renaiffance des fciences & des arts , l’écriture
fu t, pour ainfi dire ; la première à laquelle on
S’appliqua le plus , comme à un art utile, & qui
conduifoit à l’intelligence des autres. Comme on fit
un principe de le rendre fimple , on retrancha peu
à peu les traits inutiles qui l ’embarraffoient ; & , en
fuivant toujours cette méthode, on eft enfin parvenu
à lui donner cette forme gracieufe dont le
travail n’eft point difficile.
N’eft-il pas fingulier que l’écriture, fi néceffaire à
l’homme dans tous, les états , qu’il ne peut l’ignorer
fâns s’avilir aux yeux des autres , à qui nous forantes
redevables de tant de connoiffances qui ont
formé notre efprit & policé nos moeurs ; n’eft-il
pas , dis-je, fingulier qu’un art d’une fi grande
conféquence, foit regardé aujourd’hui avec autant
d’indifférenée , qu’il étoit recherché avec ardeur
quand il n’étoit qu’à pèiue dégrofli , & privé des
grâces que le bon goût lui a fait acquérir ?
L’hiftoire nous fournit cent exemples du cas que
les empereurs & les rois faifoient dé cet art, &
delaproïeâion qu’ils leuraccordoient. Entre autres,
Suétone nous apprend dans la vie d’Augufte , que
cet empereur enfeignoit à écrire à fes petits-fils.
Conftantin-le-Grand chériffoit la belle écriture, au
point qu’il recommanda à Eufèbe de Palëftine, » que
» les livres ne fuffent écrits que par d’excellens 011-
» vriers , comme ils ne dévoient être compofés que
» par de bons auteurs. « ( Pierre Meflie en fes
leçons , liv. I I I , ch. /).
Charlemagne s’exerçoit à former le grand caractère
romain. (Hift.Jitt. de la France).
Selon la nouvelle diplomatique, Charles Y &