
ÉCAILLE, LA CORNE, L’IVOIRE,
( Art de travailler 1’ )
L E S O S , L A N A C R E .
Nous avons cru devoir faire un art des diverses
façons dont on peut travailler l’écaille, la corne,
Vivoire, les os , la nacre , c’eft-à-dire que nous
allons raffembler & rapporter divers procédés par
lefquels on parvient à employer ces matières pour
certains ouvrages d’ornement 8c d’agrément.
Ces procédés répandus dans une multitude de
livrés & de traités , foit de l’Encyclopédie, foit
des arts publiés par M. Roubo fils, foit dans le
Di&ionnaire de l’Induftrie & ailleurs, étant réunis
fous un feul article, & groupés avec les opérations
auxquelles ils concourent par une forte de conformité,
feront ainfi plus faciles à.trouver, à comparer
, à confulter.
Cependant nous ne prétendons point épuifer,
dans cet article, tout ce qu’il y a à dire fur la
préparation ,1 e travail & l’emploi de ces matières,
nous refervant d’en parler encore fuivant les occa-
fioris , en traitant les arts qui les mettent en oeuvre
félon la forme & la manière qui leur font le plus
convenables.
D s Z* E c A I L L E.
On nomme écaille la coque, autrement la couverture
de la tortue, animal amphibie 8ç teftaçé.
Cette couverture eft plus pu moins grande , félon
la grandeur de l’animal; elle eft d’une-forme
ovale & convexe, à peu près comme un bouclier
ancien.
Elle n’eft pas d’une feule contexture, mais com-
pofée de plufieurs pièces de différentes formes &
grandeurs quj recouvrent les unes fur les autres,
& ont un mouvement de compreflion ou de dilatation
félon la volonté de l’animal, & cela par le
moyen des mufçles qui attachent les écailles au
carapace ou toit de la tortue.
Il y a des- tortues dans les mers d’Afie & d’A frique
; mais les- plus belles font celles qu’on prend
aux environs de l’ile de Quibo dans la mer-du Sud ,
où il y en a de quatre fortes, favoir, i°. la tortue
fran:he d’une moyenne grandeur, & recommandable,
par fa chair très-bonne à manger ; elle a
aufli des écailles, mais qui ne peuvent fer-vir à
rien à caufe de leur peu d’épaiffeur.
2°. La curette ou le caret eft une tortue plus petite.
que la première ; la chair n’en eft pas fi bonne,
'mais en revanche elle donne de belles écailles,
dont les tabletiers font beaucoup d’ufage, & qu’on
emploie aufli dans les beaux ouvrages d’ébénif-
terie.
3°. La kaouanne où cahôane ; cette efpèce de
tortue eft beaucoup plus grande que les deux premières.
Sa chair n’eft pas bonne à manger ; on en
tire de l’huile. Ses écailles font beaucoup plus grandes
que celles du caret, mais, elles font plus minces
& bien moins eftimées. Ce font ces écailles
dont les ébéniftes fe fervent le plus communément,
tant parce - quelles font. moins chères que les autres
, que parce qu’étant plus minces , ils ont moins
, d’ouvrages à y faire pour les mettre d’épaiffeur,
& par conféquent moins de déchet.
La quatrième efpèce de tortue, la plus grande
de toutes, n’eft abfolument bonne à rien, fi ce n’eft
à faire de l’huile à brûler.
Il y a aufli des tortues de terre ; mais les unes
n’ont point d’écaille fur. le carapace, & l’écaille de
celles qui en ont, ne peut être d’ufage pour les
ouvrage d’ébénifterie.
L’écaille ou toit du caret eft compofé de treize
feuilles, favoir, huit plates qui font placées aux
deux côtés, 8c cinq qui l'ont bombées 8c placées
fur le dos. Ces dernières font les plus épaiffes, &
font prefqu’égales. d’épaiffeur dans toute leur furface.
Quant aux huit autres , il y en a quatre d’une forme
oblongue, 8c à peu près parallèles, 8c les quatre
autres font arrondies d’un côté , pour fuivre le
contour que forme le carapace , fur 8c à l’extrémité
duquel elles font placées.
Ces écailles, ainfi que les quatre autres, ne font
pas abfolument droites fur leur furface , mais elles
font toujours un peu bombées fur-tout les dernières
,. c’eft-à-dire, celles des extrémités.
Les arêtes des unes 8c des autres font amincies
à rien fur les, extrémités , ce qui ne laiffe pas de
faire beaucoup de perte, à moins qu’on ne foude
plufieurs de ces morceaux les uns avec les autres,
comme font les tabletiers pour diflfèreiis ouvrages.
La plus grande longueur des feuilles du caret eft:
de douze à quinze pouces, fur fept à huit pouces
de large. Le côté de la chair des feuilles d’écailles,
c’eft-à-dire, celui qui eft concave , eft toujours le
moins beau, 8c fa furface eft prefque toute couverte:
d’une efpèce de vermoulure blanche qui le
deflîne affez bien. Je ne fais fi ce n’eft pas la marque
de leur adhérence avec le tiflii membraneux
qui les. tient avec le carapace ou toit de l’animal.
L’écaillé a trois couleurs diftinaives, favoir; le
tioni . le brun , & le noir clair. .
Quelquefois une ou deux de ces trois couleurs
dominent; mais elles font rarement feules
Il y a aufli, fur-tout dans le caret, des feuilles
nui font jafpées & mêlées de brun minime de différentes
nuances', & de blanc, dont quelques endroits
ont de l’orient comme la nacre de perle.
En général, l’écaille eft transparente, dure , &
très-fragile ; car, quoiqu’elle foit à peu près du genre
des cornes, elle eft beaucoup moins liante que ces
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les autres. v , , c
L’écaille eft cependant tres-malleable , & acquiert
beaucoup de duftilité , foit par le moyen du
feu ou de l’eau bouillante ; mais lorfqu’elle eft refroidie
, elle refte dans la forme qu’on lui a don-
. née & devient aufli caftante qu’auparavant.
Quoique récaille foit très-pleine, elle eft fujette
à fe retirer à la chaleur ; c’eft pourquoi on doit avoir
grand foin qu’elle foit très-fèche quand on l’emploie,
parce que lorfqu’elle eft humide, pour peu
qu’elle éprouve un peu de chaleur, elle fe retire
confidérablemênt.
L’écaille a une propriété très-fingulière , c’eft
qu’on la foude fans avoir befoin d’aucun agent
que ce puiffe être.
Maniere de redrejjer les Ecailles*
Les feuilles d’écaille font ordinairement bombées
fur leurs furfaces ; c’eft pourquoi la première,
chofe à faire, pour les rendre propres à être employées
, eft de les redrefler, ce qui fe fait de la
.manière fuivante.
Après avoir fait choix des feuilles qu’on veut
redrefler, on fait chauffer de l’eau dans un chaudron
, ou tout autre vafe découvert & capable dé
contenir les feuilles d’écaille fans qu’elles touchent
aux bords du vaiffeau., de crainte que la
chaleur dé ce dernier ne la brûle.
Quand l’eau eft bouillante , on y trempe les
feuilles d’écaille, & on les y laifle léjourner jul-
qu’à ce qu’elles foient fuffifamment amollies, ce
qu’on connoît en retirant une feuille avec des pinces
ou même avec les doigts ; car l’écaille perd fa
chaleur promptement : fi étant dèhors elle ploie
facilement par fon propre poids , c’eft un ligne
certain qu’elle eft amollie au degré nèceflaire ; alors
bn a une petite preffe de la grandeur nèceflaire
pour pouvoir contenir la plus grande feuille d’é-
caille , & dans laquelle on met les feuilles ainfi
amollies , en obfervant, quand il y en a plufieurs ,
de mettre entre chaque, des plaques de fer ou de
cuivre d’environ deux lignes d’épaiffeur, bien droites
fur leurs furfaces , & qu’on a foin de faire
chauffer auparavant , afin de conferver plus longtemps
aux feuilles d’écaille la du&ilité qu’elles viennent
d’acquérir par le moyen de l’eau bouillante.
Quand les feuilles d’écaille font beaucoup bombées
, 8c qu’on craint qu’elles ne fe prêtent pas
aflez à l’a&ion de la preffe, foit par rapport à leur
bombage , ou parce qu’elles refroidiffent trop v ite ,
il faut, lorfqu’on a mis deux Ou trois feuilles dans
là preffe, ferrer médiocrement cette dernière , &
on la plonge dans l’èau bouillante qui ramollit
l’écaille ; après quoi on achève de ferrer la preffe,
& on la retire de l’eau pour laiffer refroidir l’écaille
peu à peu, ce qui vaut mieux que de la tremper
dans de l’eau froide qui faifit trop vite l’écaille, 8c
là-rend plus caffante 8c plus fu jette à fe tourmenter.'
Quand récaille eft totalement refroidie, on la
retire de deffous la preffe : alors elle fe trouve par-,
fartement droite, & conferve toujours cette nouvelle
forme , pourvu qu’on ne J a trempe plus dans
l’eau bouillante, car elle redéviendroit courbe comme
auparavant.
Il faut aufli faire attention que l’écaille s’étend
&_fe dilate à l ’eau chaude, mais qu’elle fe retire
en refroidiffant ; c’eft pourquoi, quand on la contourne
dans des moules , il faut que ces derniers
foient un peu plus grands qu’il ne faut, afin de
laiffer à l’écaille le moyen de fe dilater librement.
Lorfque les ébéniftes redreffent l’écaiïle, ils n’y
font pas grande façon : la plupart fe contentent de
la mettre, au fortir de l’eau chaude , entre des
planches d’environ un pôuce d’épaiffeur , 8c de
les ferrer avec un ou deux valets.
Mais cette méthode n’eft pas bonne, parce que,
pour peu que l’écaille ne foit pas aflez chaude , on
s’expofe à la faire caffer ; ou , fuppofè qu’elle prête
à un médiocre degré de chaleur, elle ne refte pas
droite quand on Vote de deffous les Valets., ce qui
oblige de recommencer l’opération. C’eft pourquoi
il vaut mieux faire ufage d’une preffe 8c de fers
chauds , comme on l’a dit ci-deffus.
Quant à la forme de la preffe , elle eft affez
arbitraire ; cependant il feroit à propos qu’elle fût
compofée de deux montans ou jumelles, avec une
vis de preflion au milieu , afin que le mouvement
dé la preffe fe fît plus promptement.
La v is , pour être bonne , doit être de fer, 8c
être arrêtée avec la planche ou platine fupérieure
de la preffe, de manière cependant qu’elle puiffa
tourner librement, afin de la faire remonter quand
on le juge a propos.
L’écrou de cette vis eft placé dans le fommier
du haut, 8c oh fait mouvoir la vis par le moyen
d’une manivelle qui paffe au travers de fa tête.
A l’égard de la grandeur de cette preffe , un
pied de largeur entre les deux jumelles , ou quinze
pouces au plus , font fuflàfans pour placer les
grandes feuilles d’écaille fur leur longueur.
L’écaille fe redreffe aufli au fe u , ce qui fe fait
en la préfentant fur la flamme d’un feu clair, en
obfervant de la mouvoir en tout fens 8c avec beaucoup
de promptitude, parceque, fi on la laiffoit, un
inftant, fixe fur la flamme, elle fe brûleroit, 8c fi
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