
qu’à 3 6 milliers d’épingles par jour; encore ne gagne
t-on , quand on y excelle, que trois fous : auffi
cet ouvrage refte entre les mains des enfans, qui
gagnent deux liards pour 6 milliers qu’ils en peuvent
bouter dans un jour.
On diftingue l’efpèce & le prix dés épingles par
les numéros, qui varient avec la longueur & la
grofleur. Tel eft l’ordre des numéros : 3 ,4 , 5 ,6 ,7 ,
0 ,9 , 1 0 , 1 2 , 1 4 , 1 7 ,1 8 , 20, 2 2 ,2 4 , 2,6,30,36;
celles qui font au deflus s’appellent hoitfeaux, efpèce
d’épingles jaunes dont le millier fe compte à la livre :
il y a des milliers d’une livre , de deux & de trois.
Le fil de laiton arrive de Suède en bottes de trois
grofleurs : celles de la première grofleur fervent à
faire les houfeaux & les drapières ; la drapière eft
Une épingle grofle & courte, que les drapiers emploient
à emballer leurs étoffes, ou à les attacher
en double : la fécondé grofleur s’emploie aux épingles
moyennes,c’eft à-dire,depuis le n°. 20 jufqu’au
n°. 10; & la troifième grofleur, depuis le n°. 10
jufqu’au n°. 3 , qui eft le camion ou la demoifelle ;
& pour en venir à ce point de finefle, le fil n’a be-
foin de pafler que cinq à fix fois par la filière, tant
il eft duâile.
Il y a des épingles' de fer qui paflent par les mêmes
épreuves que celles de laiton, excepté qu’au lieu de
les blanchir , on les teint quelquefois en noir, pour
le deuil ou pour les cheveux ; & qu’au lieu de les
empointer, on en fait à double tête pour ce dernier
ufage : mais les têtes font toujours de laiton. La
façon même de les blanchir eft particulière; on y
emploie une poudre co'mpofée de fel ammoniac,
d’étain commun , & d’étain de glace ou de vif-
àrgent, qu’on fait bouillir avec les épingles dans un
pot de fer.
Voici maintenant la manière de préparer le fer
pour le réduire en fil d’épinglè, ou la defcription
d’une allemanderie qu’on voit à Laigle en Normandie
, à 30 lieues de Paris. Il y a d’abord.une grande
roue à palettes, que l’eau fait tourner comme celle
des moulins à blé. L’arbre de cette roue eft d’environ
24 pieds de long fur 18 pouces de diamètre : il eft
armé vers les deux extrémités de Coins ou cames ,
placéstout autour , les uns vers le côté de la roue ,
acérés d’acier au nombre de 16 , larges de 4 pouces,
épais d-un pouce & demi, enfoncés dans l’arbre
d’un demi-pied-, & faillafis de 4 pouces ; lés autres,
placés -à, l’oppofitè, font de bois, au nombre de 8,
épais de 3 pouces, larges de 6 , enfoncés de 8 , &
'faillans de 8'aufli : à 3 ou 4 pieds de l’arbre , fur une
ligne parallèle, eft une poutre de la même longueur,
large de- 2 pieds, épaifle d’un pied & demi : elle
porte fur quatre piliers ou montans dé bois qui la
traverfent, deux à chaque extrémité , vvis-à-vis les
cames, à 2 pieds & demi de diftance l’une de l’autre ;
iis font enchâffés dans la poutre * & taillés de façon
que la poutre appuie deflus vers le milieu fe
trouve fixée en haut par des coins de bois qui traverfent
les montans. Entre lës deux premiers piliers
, c»eft-à-dire, du côté de-là grande roue , eft
un levier de bois qu’on appelle le manche du mari
teau, de 10 pieds de long & d’un pied carré en
grofleur, foutenu par un axe ou heflfe de'fer qui le
traverfe par le milieu, & va s’appuyer fur deux
brigues de fonte clouées aux montans. Ce manche
eft armé de cercles de fer, & d’une plaque ou femelle
de fer auffi, fur laquelle portent les coins ou
cames de fer, qui la foulent en bafcule à mefure que
la roue tourne. L’autre bout du levier eft armé d’un
marteau ou martinet de fer acéré d’acier , pefant 40
livres , avec un bec d’environ 8 pouces de long fur
2 de large ou d’épaifleur ; fa furface ou fa bafe eft
convexe ; il tombe de la hauteur d’un demi-pied fur
une enclume qui eft au deffous. Cette enclume de
fer faillante d’environ 6 pouces, eft enchâffée dans
un fabot de fonte de 15 pouces de largeur & autant
d’épaifleur, fur 20 de longueur. Le fabot eft lui-
même enchâfle à la profondeur de 6 pouces, dans
un billot de bois de 3 pieds de diamètre , armé d’un
cercle de fer, enfoncé dans la terre de 3 pieds fur des
pilotis de 3 à 4 pieds de long, & faillant d’un pied
hors de la terre. D e l’autre côté eft un ouvrage pareil
à celui - c i , excepté que le manche n’a point de
cercle ni de femelle de fe r , que le marteau de
fonte pèfe 280 livres, avec une enclume' de même
matière & d’un poids égal, l’un & l’autre à furface
plate.
La roue qui fait marcher les deux marteaux , fait
aller auffi le foufflet de la forge , & voici comment.
A l’extrémité de l’arbre oppofée à la roue, eft un
tourillon de fer fiché dans l’arbre. Ce tourillon entre
dans une nille ou manivelle de fe r , femblable à
celles dont on fe fert pour monter les poids d’une
horloge ou d’un tôurne-broche. Le manche de la
nille entre dans le branle, c’eft-à-dire, une pièce de
bois longue & mince, fufpendue par une traverfe
ou cheville de fer à un morceau de bois fourchu.
Cette fourche eft clouée par la queue à un pouillerot
ou petit madrier de bois , qui monte & defcend au
moyen d’un axe mobile dans fes pivots ; mais ces
pivots font fixés eux-mêmes dans la muraille voi-
fine, ou à la charpente de. la forge. Vers le milieu
du pouillerot eft une autre fourche , au bout de laquelle
eft une fécond branle de 18 pieds de long.
Ce branle , placé horizontalement, eft fufpendu
par une troifième fourche, qui eft attachée à un
pouillerot femblable au premier * & qui foutient la
quatrième fourche d’où pend la chaîne du foufflet,
& tout joue à proportion que la nille tourne avec
la roue.
Le fer qui vient des grofles forges en lingots ou
en barres , eft d’abord rougi au feu & pafle fous le
gros marteau qui l’amoindrit, le fcie, le fonde, le
corroie lorfqu’il eft pailleux , & lui donne enfin
une meilleure qualité. De-là il pafle fous le martinet.
Un ouvrier eft affis fur une baneelle ou planche
accrochée par un anneau à un des piliers ou montans
cites; pliis haut, & fufpendue par une branloire
ou chaîne de fer , à une poutre qui foutient le toit
de la forge, ©nforte qu’elle eft mobile. Un autre ouvrier
met les barres à la forge, & les donne toutes
rouges à celui qui eft près du martinet. Celui-ci les
préfente & les tourne à chaque coup de marteau,
tantôt à droite, tantôt à gauche; & d’une feule
chaude, dans l’efpace de trois minutes, d’une barre
de fer longue de 2 pieds & grofle de 2 pouces
carrés, l’on tire une verge de o pieds de long, ou
plutôt une verge de 4 pieds & de 2 lignes de diamètre
, le furplüs reftant en barre, car la verge
li’en a pris que 2 pouces carrés. C ’eft afin que la
barre puifle .s’alonger que la baneelle eft mobile,
enforte que l’ouvrier avance ou recule félon le
befoin. La verge fort de fes mains mâchée fur tous
fes angles par la convexité du martinet. De la
forge les verges paflent à une tréfilerie à l’eau. En
voici une à bras {fig- 4 de la vignette & du bas de la
pl. ƒ) compofée d’un banc, fur lequel eft une filière
en travers , avec une tenaille en forme de cifeaux,
dont les branches font prifes par un chaînon ou
cercle de fer armé d’un crochet qui va aboutir à une
bafcule que l’ouvrier foule à force de bras.
La perfeftion de l’épingle confifte dans la roideur
©u plutôt la dureté du laiton , dans la blancheur de
l’étamage , dans la tournure des têtes, & la finefle
des pointes : il feroit à fouhaiter que cette façon fût
une des dernières; car la pointe s’émoufle dans les
épreuves par où pafle l’épingle au fortir de la meule :
611 pourroit du moins les tenir toujours dans des
poches de cuir ou dans le fon.
Cet article eft-de M. Del aire , qui décri voit la
fabrication de l’épingle dans les ateliers mêmes des
ouvriers, fur les deffins des planches de l’épinglier ,
tandis qu’il faifoit imprimer à Paris fon analyfe de
la philofophie fublime & profonde du chancelier
Bacon ; ouvrage qui, joint à la defcription précédente
, prouvera qu’un bon efprit peut quelquefois,
avec le même fuccès, & s’élever aux contemplü-
tiorfs les plus hautes de ! a philofophie, & defeendre
aux détails de la mécanique la plus minutieufe.
Nous joindrons à cet article le mémoire fuivant, que
M. Perronnet a auffi communiqué aux éditeurs de
^ancienne Encyclopédie. Ces deux deferiptions faites
avec foin par deux excellens phyficiens, qui voient
bien & qui raifonnent ce qu’ils voient, doivent
tourner au profit de l’ar t, & feront fans doute ex-
culer les répétitions néceflaires des mêmes procédés,
qui -font d’ailleurs préfentés & appliqués dans un
ordre & avec des développemens différens, que
nous ne nous fommes pas cru en droit d’altérer ni
de changer.
Defcription de la façon dont on fabrique les épingles d
Laigle en Normandie.
Il y a deux fortes d’épingles ; l’une qui eft faite
avec du cuivre nommé laiton ou laton, & l’autre
avec du fil-de-fer : la première eft beaucoup plus
utile & plus en ufage que la dernière, & c’eft de
cette forte d’épingle dont on va parler.
Le epivre dont on fabrique ces épingles , fe tire
de Suède ou d’Allemagne en gros f i l , que: l’on
réduit à Laigle à la grofleur dont on a befoin pour
chaque forte d’épingle , en le faifant pafler par
différons trous de filière, au moyen d’une machine
que l’on nomme huche - h dégrojjir, & d’une autre
nommée habille. On ne parlera point ici de la façon
dont ces opérations fe font, parce qu’il en a été fait
une defcription particulière.
On fuppofe donc le fil réduit à la grofleur convenable
, & tel qu’il fort de deflus la bobille en
paquets d’environ fix pouces de diamètre. On commence
par drefler ce fil de la façon fui vante.
Le dreffeur prend un paquet de fil de laiton ( pl. I I
f i l - 2) poie fur le tourniquet G , & dont il fait
pafler le bout entre les clous , & de la façon figurée
par le plan de l’engin. (fig. y , n. 1, pl. II ) . Il tient ce
bout avec des tenailles ordinaires, & le tire en courant
fur un efpace d’environ cinq toifes de longueur
planchéié ; il quitte ce bout & revient à l’engin où iS
coupe le fil : après quoi il recommence la même
opération, & cela fucceflivement iufqu’à la fin de la
botte de fil.
Cette fon&ion paroit bien fimple ; & fi cependant
elle eft la plus difficile à pratiquer de toutes les
autres : tout l’art confifte à placer fix clous fur une
planche d’environ huit pouces de long fur fix de
forge {fis- '7 ,n .2 ,p l. i l ) , que l’on no mmsengin,
de telle forte que l’efpace du vide entre les trois premiers
foit exaâement de l’épaifleur de chaque forte
de fil que l’on drefle en ligne droite, & que les
autres clous puiffent faire prendre au fil une certaine
ligne courbe qui doit changer fuivant les différentes
grofleurs & premières courbures de ce fil,
dont la conftruftion feule donnerait bien de l’oa-
vrage aux théoriciens.
L’intervalle de ces clous doit auffi être différent
pour chaque grofleur de fil ; la fig. i-7 , pl. I I , repréfente
la grandeur au naturel & fa pofition de ces
fix clous , telle qu’elle doit être pour drefler le fil
propre à faire les épingles n°. 10 , dont l’efpace
çft de deux pouces quatre lignes ; celle pour les
épingles du n° .6 eft de quatre pouces, & ainfi à
proportion des autres grofleurs en augmentant d’une
ligne au-deflus du n°. 10 , & e h diminuant d’autant
au deffous.
Les dreffeurs mêmes, ouvriers qui font journellement
dans l’ufàge de pofer ces clous, manquent
fouvent de le faire dans les proportions convenables
; & pour lors le fil n’eft pas parfaitement droit ,
ou eft fi courbe qu’ils font obligés de recommencer
1 opération ; mais comme ces différens ouvriers travaillent
tous à leur.tâche, le fabriquant n’y perd
rien.
L’on voit qu’il faut un engin différent pour chaque
forte de f i l , à l'exception néanmoins que lorfquece
fil eft un peu mou, un même engin peut fervir à deux
grofleurs peu différentes l’une de l’autre.
L’ouvrier peut drefler dix toifesde longueur de fil
par minute, gras ou menu , qui font fix cents toifes
par heure ; & comme il parcourt le double de cet
efpace pour revenir à l’engin , lorfqu’il a drefle an