
la courbure. Le fabriquant doit donc avoir grand
foin d’éviter autant qu’il le peut lés mâchures à ce
pli, à peine de perdre autant d’hains qu’il en veut
courber. Mais quand quelques pêchèurs veulent
avoir des Haras tout droits pour les courber eux-
mêmes , on a grand foin de leur fournir tous ceux
qui ont été mis à part à caufe de ce défaut ; & c’eft
autant de caffés entre leurs mains. Malgré ces précautions
du fabriquant, il en cafle aufli lui-même ;
& ces ouvriers fouhaiteroient fort que le fil de fer
fût toujours tiré autrement que par les fréquentes
reprifes de la tenaille des tréfileurs.
On voit des hains dont la tête eft terminée en
anneau, ce qui donne beaucoup de facilité à les
empiler, c’efl: - à - dire, à les attacher aux lignes.
Mais cet ufage n’eft point reçu par les pêcheurs de
Flandre , gens très-fermes dans leurs opinions, &
qui ne fouffriroient pas tranquillement la moindre
nouveauté. Tous les gros hains de cette côte ont la
-tête droite & ronde, comme eft le fil de fer. Les
moyens & les petits font applatis par la tête ; c’efl
ce que l’on appelle les palleter. Pour y faire cette
p ille , pelle ou palette ; après qu’ils ont été barbil-
lonnés , appointis & courbés , on les met fur le
bloc où l’ouvrier les préfente d’une ligne de long
l ’un après l’autre, fur le tas d’acier, tenant en haut
le côté de la pointe & du barbillon ; puis d’un feul
coup de marteau, fi l’hain efl petit, fa palette eft
faite ; s’il eft plus gros, il y faut trois, quatre ou
cinq coups. On les met alors dans des têtes de
chapeau. C ’eft à cette épreuve que l’on reconnoît
le mieux la qualité du fer. S’il eft bon, la palette eft
«nie comme fi c’étoit du plomb ; mais le plus fou-
vent on la voit toute fendue en fibres qui ne tiennent
prefque plus enfemble, & quelquefois au point de
rendre l’hain hors de fervice. On préviendroit cet
accident, en donnant un peu de recuit feulement à
l’endroit qu’on veut applatir, ce qui ne feroit fujet
à aucun inconvénient.
A la plupart des autres côtes où l’on fait des hains,
tous font palletés, même les plus gros.
De Vétamage des hains.
Les hains feroient bientôt détruits par la rouille,
fi l’on ne prenoit la précaution de les étamer. Ce
n’eft pas que l’étamage puiffe les en défendre abfo-
lument, ni pendant long-temps ; mais il prolonge
leur durée fuffifamment, pour qu’il y ait une économie
certaine à en faire ufage. C ’eft pour cette
raifon que ceux qu’on fait pout la mer font étamés.
Il fe rencontre quelquefois dans les ports de mer,
des épingliers coureurs qui étament les hains par le
procédé dont on fe fert pour les épingles de fer.
Mais les ouvriers en hains prétendent que cet étamage
n’eft point folide à la mer ; ils m’ont dit l’avoir
eflayé, & que les hains étamés à leur façon durent
beaucoup plus long-temps;
On fait que l’étamage ne peut prendre que fur
les métaux avivés ; & comme les hains ont pafle
«ombre de fois par les mains fort fales des ouvriers,
il faut commencer par les décraffer. On les met donc
dans un long fac de toile forte & ferrée , avec du
fable fin : deux hommes tiennent- ce fac chacun par
un bout, & faffent les hains pendant dix à douze
minutes , comme on le voit dans Y Art de l Êpinglier.
Le fable mord fuffifamment par cette manoeuvre fur
le fer pour le bien décaper, & le rendre parfaitement
clair.
On met pendant ce temps fur le feu le pot à
étamer. C ’eft une marmite de fer coulé, à anfe ,
montée fur trois pieds, de douze pouces de diamètre
intérieur, & d’environ huit pouces de profondeur,
dans laquelle on entretient toujours environ un
pouce de hauteur d’étain le plus fin , couvert d’environ
cinq pouces de hauteur de fuif. Ce même pot
fert très long-temps à cet ufage , & de père en fils ;
ainfi le fuif qu’il contient, à force d’aller fur le feu,
eft totalement noir, & en partie brûlé, comme celui
dont parle M. de Rèaumur dans fon mémoire fur
le fer-blanc, & n’en eft que meilleur pour faciliter
l’étamage. On entretient un feu de bois clair fous
ce pot pendant tout le temps du travail de l’étamage
, mais en évitant foigneufement que la flamme
ne s’en élève au point d’allumer le fuif, qui jette
beaucoup de fumée. Si cet accident arrive , faute
d’attention de la part des ouvriers , il fuffit ordinairement
de fouffler fur le pot avec la bouche pour
éteindre le feu, couvrir le pot, & diminuer le feu.
L’excès du feu fait aufli quelquefois monter la graifle
comme du lait prêt à bouillir : à quoi il faut apporter
le même remède, ou retirer promptement le pot
du feu.
Au bout d’une heure d’un feu médiocre, l’étain
du pot eft bien fondu & le fuif allez chaud. On s’en
aflùre au moyen de la fourche à étamer. Comme
cette fourche qui eft de fer, a fes dents étamées à
force de fervir ; lorfqu’en la retirant du pot, fes dents
font luifantes , & ne confervent plus le noir de la
graifle, c’eft preuve que l’étain eft bien chaud, &
rend le fuif trop coulant pour qu’il s’attache à la fur-
face de l’étain.
Cette fourche eft de vingt-quatre pouces de longueur
, développée ; elle a pour manche une garniture
de ficelle : fes trois dents, qui ont deux pouces
de longueur, font recourbées ; elles font enfemble
une largeur de trois pouces.
Quand la fourche fort brillante du fuif, on verfe
doucement dans le pot une portion des hains à
étamer, & un peu d’étain neuf Pour ne point faire
rejaillir le fuif, on met les, hains fur une efpèce de
gouttière de tôle, d’où on les fait tomber doucement
dans le fuif ; ce qu’on nomme couler. On y tourne
& retourne ces hains en tout fens avec la fourche ,
on les fait par ce moyen palier de l’étain dans Le
fuif, & du fuif dans Pétain; ce qui leur fait prendre
le degré de chaleur le plus convenable pour fe
charger de l’étain. Il faut environ quinze minutes
aux plus petits hains pour être bien étamés ; cependant
l’ouvrier fait à chaque potée, des eflais; il tire
avec fa fourche trois ou quatre hains qu’il jette à
terre *, il les ramafle , & en eflùie la palette entre fes
doigts. Comme cette partie a été comprimée par le
marteau, c’eft l’endroit de l’hain où le fer eft le plus
dur & le plus difficile à étamer. Quand il voit donc
les palettes en bon état, il eft temps de jetter les
hains 9 c’eft-à-dire, de les tirer du p o t, & de les
étendre promptement fur le plancher , pour que
l’étain ne les foude pas enfemble.
L’étameur ramafle alors dans le pot fur fa fourche
autant d’hains qu’elle en peut porter ; il les egoutte
un inftant fur le bord du pot ; & tenant de l’autre
main un bâton , il lance les hains contre le mur de
la chambre, en frappant du bâton le manche de fa
fourche, afin que ce coup les fafle heurter plus
rudement le mur & fe fèparer davantage fur le plancher.
Ceux qui demeurent foudès enfemble malgré
cette manoeuvre, font ramaffés & remis dans le pot.
Chez les ouvriers bien outillés, & où 1 on ne veut
pas que les murailles & le plancher foient enduits
de ce fuif noir & très-puant, on drefle exprès une
grande table formée de planches bien jointes, avec
des joues ou ailes aux deux bouts ; & l’on feme fur
le plancher entre ces deux ailes une couche de^ fon
d’une ou deux lignes d’épaiffeur. L etameur jette
fes hains contre ces planches ; & comme ils ne
peuvent rebondir en tombant fur le fon , un autre
ouvrier fe tient là tout prêt avec un bâton ; & dès
que les hains arrivent à terre , il les difperfe à droite
& à gauche , en faifant aller & venir fon bâton de
plat, & le plus vite qu’il peut, fur le plancher ; ce
qui en effet les fépare prefque tous les uns des
autres. Pendant ce temps l’étameur en prend une
autre fourchée, & recommence la meme operation
tant que le pot lui fournit des hains ; puis il recharge
le pot d’une nouvelle quantité d’hains & d’un peu
d’étain.
Pendant que ceux-ci chauffent , on ramafle les
hains jetés de la première potée ; on les balaie en
tas avec le fon ; on pafle le tout dans un crible , ou
cuvier de bois à fond percé, pour en feparer le plus
gros fon. On étame de fuite tous les hains faits ; &
l’ouVrier a eu foin d’en préparer affez pour fournir à
l’étamage pendant toute une matinée, afin de ne
pas répéter trop fouvent les frais du feu. Quand la
matière eft chaude, 18 à 2.0 minutes fuffifent pour
étamer une potée de trois mille à trois mille & demi
des plus petits hains ; enforte qu’en quatre heures
de temps, on peut en étamer 28 à 30 mille en huit
potées. Comme il n’y a qu’un pouce de hauteur
d’étain dans le p ot, plus les hains font gros, moins
on peut y en étamer à-la-fois , parce qu un plus
grand nombre ne tremperoit pas totalement dans
l’étain ; enforte que fi les hains font des plus gros,
on ne peut en étamer enfemble que |p| ou fept. Du
refte, il n’y a aucune différence entre 1 étamage des
uns & des autres. :
Lorfque les hains font étamés , il* faut les de-
graifler. Pour cela , on met au feu, fur un trepied,
une marmite de fe r , qui contient du fon. Quand
ce fon, que l’on retourne avec un bâton, eft parfaitêment
fec, au point de ne plus s’attacher a la
main en le maniant, on y jette les hatms, en volume
à peu près égal à celui du fon ; puis avec une plaque
de tôle , on mêle & retourne le tout enfemble pendant
quelques minutes. L’étameur qui fait cette
opération pft afîis bas , tout auprès de la marmite :
un autre ouvrier lui préfente l’orifice du fac a iafler ;
alors il prend la marmite par les deux-oreilles , &
verfe dans le fac les hains & le fon tout chauds.
Deux ouvriers les faflent pendant quelques minutes,,
& les paffent au crible. L’étameur remet d’autre fon
dans la marmite ; on y rejette les mêmes hains, que
l’on chauffe, fafle & crible encore une fois : & alors
ils font finis. Il ne refte plus qu’à les compter, pour
mettre les petits par paquets de cent, de cinquante ,
ou d’une douzaine , pour les débiter aux pécheurs.
On réferve ce fon gras pour femer fur le plancher
quand on veut jeter les hains ; après qu il a fervi.à
cet ufage , il n’eft plus bon même à brûler, à cauie
de fa puanteur. On prétend cependant qu’il fournit
le meilleur moyen de préferver le fer de la rouille,
à laquelle ce métal eft 11 fujet fur les bords de la nier.
Les ferrures polies on autres que l’on y met, fe
confervent, dit - on , plufieurs années fans en etre
attaquées ; au lieu qu’en paquets dans les boutiques,
elles font bientôt rongées, quelque autre précaution
que l’on puifle y employer. . . .
Plufieurs fabricans d’hains m’ont dit avoir etame
des mords de brides précifément de la même façon
que. leurs hains; que ce procédé leur avoit pariai- '
tement réufli ; & que cet étamage étoit beaucoup
plus folide que celui des éperonniers. ,
Il arrive quèlquefois que les hains qui font dans,
le pot, au lieu de s’étamer & de blanchir, deviennent
noirs. Plufieurs de ces fabricans m’ont dit qu’alors
ils jetoient ces hains comme hors de fervice & im-
poflibles à étamer. Mais il y a grande apparence
- que cet accident doit venir de quelque paquet de
fuie tombé par hafard de la cheminée, dans le pot a
étamer, fans que les ouvriers s’en apperçoivent. On
voit dans le mémoire déjà cité de M. de Reaumur,
que la fuie à une certaine dofe, en s’attachant fur
le fer, eft capable d’empêcher l’étain de s’y appliquer
; mais qu’en écumant le fu if, on-peut en ôter
ce trop de fuie qui nuit à l’etamage. J ai trouve un
bon ouvrier en hains, qui m a en effet avoue qu en-
pareil cas , il laifloit refroidir fon p ot, féparoit e
fuif de .l’étain ; & faifant fondre le fuif feul, il le
paffoit à travers un gros linge, & le rendoit d aufli
bon fervice qu’auparavant. A l’égard des hains manqués
à caufe de la fuie, il eft évident qu en les faifant
au fable, on peut les décaper de nouveau , & les
remettre à l’étamage. Peur-être tous ces ouvriers le
font-ils : mais ils font en général très-jaloux du prétendu
fecret de leur étamage ; ce n’a été que par de
petites rufes , que j’ai pu réuflir à en connoitre tous
les détails. \ ~
Il n’y a guère de pêcheurs de morue a Dunkerque
, qui n’embarquent une douzaine d’hains à
leurres, ou faux appâts de plomb ou d’étain. Rie«
I i i u ij