
Une des premières fois que je commençai àadou- j
cir le fer en grand, celle même où je'fus dérangé j
par les écailles, il y eut un événement qui me paroît
bien mériter d’être rapporte, & dont 1 explication
eût été embarraffante, fi elle n eut été précédée
des obfervations dont nous venons de parler, j
Parmi les ouvrages qui étoient dans le fourneau ,
il y avoit plufieurs grands marteaux de porte cochère.
Ces marteaux étoient pefans , v comme il
convenoit à leur grandeur & à leur èpaiffeur. Lorsque
je les retirai du fourneau, je ne fus pas peu
furpris de les trouver légers': auffi, de maffits que
je les y avois mis, ils étoient devenus creux ; ce
ai étoient plus que des tuyaux contournés j tout leur
intérieur étoit vide j ils avoient pourtant conferve
leur forme extérieure ; ils n’avoient perdu que
quelques feuillages qui s’en étoient allés avec les
écailles. Regardés attentivement, on remarquent
quelques petits trous , par ou la matière de 1 intérieur
s’étoit écoulée après être devenue fluide. Il
n’eft pas merveilleux que ces marteaux fuffent devenus
plus légers , une partie de la matière dont
ils étoient compôfés s’étant ecoulee mais il le
paroît que ce foit la matière qui occupoit 1 intérieur
& même le centre, qui eût été rendue plus
fluide pendant que les couches extérieures avoient
cônfervér leur folidité : il eft contre l’ordre que la
fufion commence par l’intérieur. Les couches intérieures
n’ont de chaleur que- celle qu’elles reçoivent
des couches extérieures ; elles peuvent au plus
en avoir autant, mais elles ne fauroient en avoir
davantage. Pour le dénouement de ce fait , il fuffit
néanmoins de fe foiivenir que le fer forgé ne fau-
roit être mis en fufion par le feu ordinaire, & concevoir
que la chaleur n’a été affez violente^ dans
notre fourneau pour rendre la fonte fluide, qu’après
qu’une certaine èpaiffeur de nos marteaux a été
adoucié au point d’être convertie en fer forgeable,
ou en acier. La chaleur a eu beau alors augmenter
les marteaux ont -confervé leur forme extérieure
; leur intérieur étoit de la fonte qui fe trou-
voit renfermée dans une forte de creufet de fer
non fufible , à clos de toutes parts ; elle s’eft liquéfiée
dans ce creufet ; après avoir ramolli fes parois
dans les endroits où elles étoient le plus minces,
le plus foibles, elle les a forcées à céder ; elle s’eft
ouvert des paffages par lefquels elle a coulé dans
le fourneau , ou dans le creufet commun à toutes
les pièces. J’ai trouvé cette fonte dans le bas du
fourneau en maffe informe.
Pour m'affurer que cette expérience n’étoif point
l’effet d’un hafard fingulier, ou , pour parler plus
exa&ement, d’un concours de caufes difficiles à
raffembler , j’ai cherché à changer des cylindres
maffifs en des tuyaux creux. Pour cette expérience,
j’ai pris des morceaux de ces mêmes baguettes que
nous avons employées pour les épreuves. J’ai mis
de ces morceaux de baguettes dans de petits creti-
fets, où ils étoient entourés de la compofition propre
Peut-être mettra-t-on cette obfervation à profit,
pour donner de la légèreté à certains ouvrages de
fer fondu qui feroienttrop pefans. S i, après avoir
amené leurs premières couches à être acier ou fer
forgé , on pouffe le feu plus violemment, leur intérieur
fondra affez vite. Il n’arrivera pas même
pour cela à la furfaçe de s’écailler, s’il y a de la
poudre de charbon mêlée avec la poudre d’os. La
poudre d’os étoit feule lorfque le fait précédent
jajriva.
à adoucir. Ces creufets étant expofés au feu
d’une forge ordinaire, & entièrement couverts de
charbons , je leur ai fait donner d’abord un feu
modéré propre à les adoucir. Quand j’ai eftimè que
ce feu avoit fuffifiuiiment produit d’effet, qu’il avoit
tiré les premières couches de nos cylindres de l’état
de fonte de fe r , j’ai fait augmenter le feu au point
néceffaire pour rendre liquide de la fonte. Celle
qui occupoit le centre de nos cylindres l’eft devenue
auffi ; & , devenue liquide, elle a abandonné le
milieu du cylindre , qui a été transformé , comme
j’avois travaillé à le faire, dans un tuyau cylindrique.
<
Cette expérience faits, pour ainfi dire, a tâtons ) I
ne m’a pas pourtant toujours réuffi ; quelquefois
j’ai fait agir trop tard le feu violent, dans le temps
que les cylindres avoient été adoucis jufques au
centre ; alors ils ont confervé leur folidité. Quelquefois
j’ai fait donner trop tôt ce feu„, & alors
tout s’eft fondu ; la couche adoucie eft dèvenue
fer commun j étant trop mince , elle a été un creu- j
fet trop foible pour contenir le métal fondu. Mais
veut-on une manière immanquable de reuflir?
qu’on retire du fourneau ces baguettes qu’on y
a mifes pour épreuves ; qu’on les caffe, & quon
voie fur leur caffufe quelle partie de leur èpaiffeur
eft adoucie ; fi cette èpaiffeur paroît fiiffifante,
qu’on donne à ces baguettes un feu violent, comme
nous venons de l’expliquer, & on les rendra creufes.
L’expédient que nous propofons pour ces baguettes
, fera général pour toutes les efpèces d ouvrages
; on peut y laiffer des jets de fonte, qui étant
caftes inftruiront de l’état du refte. Mais lé fuccès
fera d’autant plus fur, que les pièces feront plus
épaiffes : cela même eft une çirconftance heùreufe ;
car ce ne fera guère que pour les pièces, épaiffes
qu’on pourra tirer avantage de cette obfervation.
Avant de la quitter, remarquons encore qu’on
pourra faciliter la fortie de la matière qui fe fondra
au milieu d’une pièce, & donner à. cette matière
fluide iffue par quel endroit on -voudra ; on
fera l’un & l’autre en couvrant cet endroit d’un
petit induit de fable, ou de quelque matière moins
propre à avancer l’adouciffement, que ne le font j
nos compofitions. | v -j c
Entre les ouvrages que l’on peut faire de ter
fondu, il y en a qui ne demandent à avoir que leurs
premières couches adoucies ; tels font ceux ç1}1
n’ont befoin que d’être travaillés à la lime , aux ci-
feaux & cifelets, qui font deftinés à des ufages ou
ils fatiguent peu, ou qui, étant très-épris, font par
leur èpaiffeur fuffifamment en état de réfifter ; car
quoique le fer fondu foit naturellement caffant, il
peut réfifter par la groffeur de fa maffe. On iait ac- *
tuellement fans aucune préparation des enclumes
de fer fondu qui foutiennent les coups des plus
pefans marteaux ; on poucroit frapper rudement de
groffes maflès de verre fans les cafter. Il feroit inutile
de donner un recuit long aux pièces qui ne demandent,
que ce léger •adpuciffement.
i. D’autres ouvrages de fer fondu veulent être
adoucis,jufqu’aucentre;tous ceux qu’on doit percer
de part en part avec le foret font dans ce cas , &
de même tous ceux où il faut tailler -des écrous ;
la durée du feu les amènera toujours à ce point
quand on voudra..
Enfin d’autres ouvrages ont non-feulement befoin
d’être adoucis, mais ils ont befoin de devenir
moins caffans , d’acquérir de la foupleffe jufqu’à un
certain point ; c’ eft ce que nous appellerons ici prendre
du c o r p s comme nous Savons fait en parlant dé
l’acier. Ceux qui demandent à acquérir une forte de
flexibilité , doivent être flexibles , ou à chaiid ou à
froid. Comme'on ne jette des ouvrages en moule
que pour n’avoir pas la peine de les forger , la foupleffe
qu’on doit exiger des ouvrages de fer fondu,
pour être travaillés à chaud § n’eft pas qu’ils fe
Jaiffent forger entièrement, que l’on puiffe changer
tout-à-fait leur figure ; ce feroit perdre les avantages
de notre art : mais il y a des circonftances où une
pièce , pour être ajuftée dans la place où on la veut,
pour être affembléeaveç une autre , a befoin d’être
courbée ou redreffée , d’être quelque part un pey
applatie : des fleurons, ou d’autres ortfèinens qu’on
veut placer dans des grilles , font quelquefois dans
ce cas. Les ouvrages de fer fondu qui auront pris
jufqu’au centre le grain de fer forgé , peuvent être
chauffés couleur de cerife ; & alors , pourvu qu’ôn
les traite doucement , ils fe laifferont plier & ap-
platir. Mais nous donnerons dans la partie fuivante
la manière de plier & de contourner ces fortes d’ouvrages,
, s’il eft néceffaire', fans qu’ils aient befoin
d’être autant adoucis que nous venons de le fup-
pofer.
Quoique très-adoucis, ils peuvent ne l’avoir été
que jufqu’à un point tel que , fi on leur donnoitune
chaude filante , ils creveroient fous le marteau ; ils
relieraient pleins de fentes. Par l’adouciffement ils
deviennent d’abord aciers ; mais ils commencent
par être aciers intraitables , aciers des plus difficiles
à forger ; enfin on les ramène à être des aciers de
qualité approchante de celle des aciers ordinaires ,
& même à la nature du fer forgé, fi l’adouciffement
eft pouffé plus loin.
J’en ai pourtant trouvé qui, ramenés même à l’état
du fer forgeable, ne fe laiffôient quelquefois forger
que comme des aciers difficiles à travailler , & cela
n’eft pas étonnant : il y a des fers ordinaires difficiles
a forger : les parties de notre fer , qui doit fon état
a l’adouciffement, font plus écartées les unes des
autres ; elles laiffent entre elles plus de vides :
4 rts & Métiers. Tome II. Partie II.
chauffe-t-on ce fer à un grand degré de chaleur,
& le veut-on forger rudement ? ou écarte des parties
mal unies, quelques-unes fe détachent, il fe fait
des crevaffes. En réitérant les chaudes , on parviendront
réunir ces endroits gercés, comme on
réunit ensemble deux différens morceaux de fer ;
mais, nous le répétons , nos ouvrages de fer fondu
ne demandent pas d’être façonnés au marteau : on
ne moule point le fer pour avoir la peine de le forger.
Ils peuvent au plus demander à y être un peu
redreffés, & il fera facile de les mettre en cet étatt
Par l’adouciffement , j’ai pourtant mis du fer
fondu en état de fe lâiffer travailler à chaud, comme
on eût fait du fer en barres : après avoir-été forgé j
il ne laiffoit voir aucune fente, aucune gerçure ;
mais pour l’amener à ce point, il faut continuer le
recuit bien plus long-temps qu’il ne feroit nécef-
faîre pour donner au fer fondu la molleffe qui donne
prife aux cifeâux & aux limes.
On fera plus fi les' pièces font minces ; fi on réitère
les recuits affez de fois, & que les fontes foient
de certaines efpèces , après avoir ramené ces pièces
à la condition du fer forgé , on leur fera acquérir
une foupleffe qui à froid furpaffe celle de certains
fers. J’ai fouvent fi bien adouci des pièces minces ,
comme font des gardes d’épées , des deffus de tabatières,
que je les ai conduites aii point de fe laiffer
plier en deux à froid & à coups de marteau. Il y a
bien des pièces qui, étant faites de diverfes fortes
de fer forgé , n’auroient pas eu une fi grande foupleffe.
Des recuits pouffes plus loin donneront auffi
une forte de flexibilité dii corps , jufqu’à un certain
degré , aux pièces épaiffes, fur-tout fi elles font de
certaines efpèces de fonte.' La méthode de donner
du corps à nos ouvrages a pourtant encore befoin
d’être perfectionnée nous nous étendrons dans
la fuite^ fur les vues qui femblent propres à y contribuer.
Outre l’avantage du corps que le fer fondu retire
des recuits pouflés plus loin que le travail de la'
lime ne le demaiideroit, il en retire un autre. Nos
obfervations nous ont appris que le,fer commencé
à adoucir, & même devenu très-limable , a une
couleur terne , grife ; mais que fi le recuit eft continué
, cette couleur s’éclaircit, & qu’enfin la couleur
la plus blanche & la plus vive que le fer puiffe
prendre , lui fuccède. Si l’on a ôté le fer du fourneau
dans le premier état d’adouciffement, les ouvrages
réparés , avec-quelque foin qu’ôn les poliffe,
n’auront pas une couleur fi blanche que fi le fer eût
•été pris dans l’état du fécond adouciffement. Si cependant
les ouvrages qu’on veut adoucir, n’ont befoin
, après l’adouciffement, que d’être réparés,
qu’il ne faille pas les percer ni en emporter des couches
épaiffes, il ne fera nullement néceffaire que
le recuit donne de la blancheur à tout l’intérieur du
fer : c’eft alors à la furface qu’on a affaire , &
nous favons qû’heureufement l’adouciffement, &
par conféquent les nuances de blanc j commencent
par là. .