
Mais peur qu'elle produife le bon effet qu’on en
attend , il faut la faire avec des foins & des attentions
qui font indifpenfablement néceffaires.
Le tan eft fait avec des écorces de jeunes branches
d’arbres, defféchées & réduites en poudre. La bruyère
, le fuftet, les faumacs de plufieurs efpèces ; l’aune
, le noyer, le faule, font employés à cet ufage :
mais aucune écorce n’eft autant eftimée que celle
du jeune chêne. Pour faire le meilleur tan, on enlève
durant la faifon de la fèv e, vers la fin d’avril
ou au commencement de mai, l’écorce claire 8c
vive des jeunes chênes qui font vigoureux.
Quand ces arbres font en pleine lè ve , & que leur
écorce fe détache aifément du bois, on fait avec une
ferpe, au bas du tronc, & immédiatement fous les
branches, une entaille circulaire qui coupe l’écorce
, & qui s’étend jufqu’au bois. On joint enfuite
les deux entailles par une autre coupe longitudinale
qui s’étend depuis l’entaille du haut jufqu’à celle du
bas ; & en introduifant entre l’écorce 8c le bois un
coin fait de quelque bois dur, ou d’un gros o s ,
on enlève toute l’écorce, qui, à mefure qu’elle fe
deffèche, fe roule fur elle-même, & reffemble affez
à des bâtons de cotterets. On abat fur le champ les
arbres écorcés , pour en faire cette efpèce de bois
qu’on nomme pelard. Et quand les écorces fe font
defféchées à un certain point, ©n en forme des
bottes , qu’on peut conferver long-temps à couvert
de la pluie , fans crainte que le tan perde de fa
qualité.
Pour difpofer ces. écorces à être employées en
tan , il faut les réduire en poudre affez fine. Quel-'
ques pêcheurs qui tannent eux-mêmes leurs filets ,
fe contentent de battre ces écorces avec des fléaux ;
mais ils n’en tirent qu’un parti médiocre : ils perdent
ainfi beaucoup de pouflière fine qui s’évapore
, & le reffe eft pulvérifé trop groffiérement ; le
mieux eft de les porter, à des moulins. Il y en a
de deux fortes. Les uns font de groffes meules verticales
, comme celles dont on fe fert pour faire le
cidre, & pour broyer les graines & amandes qui
fourniffent de l’huile. Après avoir rompu groflié-
rement les écorces fur une pièce de bois qui forme
comme un tranchant, on les met fous la meule
qu’on fait tourner, & qui écrafe affez bien l’écorce
fans qu’il s’évapore beaucoup de pouflière.
L’autre moulin, qui eft le meilleur, quoiqu’il
caufe un peu plus d’évaporation, eft formé d’un
nombre de pilons qui retombent dans une grande
auge, où l’on met les écorces groffiérement rompues.
Quand les écorces ont été affez bien pulvé-
rifées, on les paffe par une efpèce de crible, qui eft fait avec du fil d’archal, & qu’on établit fur un
grand cuvier. Ce qui paffe par le crible eft mis
dans des tonnes, & vendu aux tanneurs : ce qui eft
srefté fur le crible repaffe au moulin.
Le tan des autres écorces dont nous avons parlé,
imprime aux filets une couleur quelquefois plus
fatisfaifante que celle du tan de chêne. Ces tans
produifent en général un bon effet, mais jamais
auffi avantageux que le tan du jeune chêne : àü
moins eft-ce le fentiment des pêcheurs.
Nous avons dit qu’il y a des pêcheurs qui tannent
eux-mêmes leurs filets ; mais comme aucuns
n’ont de chaudières affez grandes pour cette opération
, ils en louent pour deux fois vingt-quatre
heures,- ou plus de temps, de ceux qui ont des
tanneries en règle , dont nous allons parler.
Les tanneries font ordinairement voûtées & établies
au rez-de-chauffée , où font montées trois
grandes chaudières fur des maflifs de maçonnerie
qui excèdent la hauteur des chaudières , de même
' que le font celles des braffeurs. Les fourneaux font
fous les chaudières, & ils s’allument par des bouches
qui répondent à un caveau conftruit derrière & plus
bas que les chaudières. Les tanneurs ont des chaudières
de différentes grandeurs, pour fe fervir des
unes ou des autres, fuivantla quantité de filets qu’ilç
ont à préparer.
Pour faire une bonne tannée, on met ordinairement
deux parties & demie d’eau fur une de tan
ou cinq parties d’eau fur deux de tan ; c’eft-à-dire,
deux barrils & demi d’eau fur un de tan ; & les bar-
rils de tan • fe mefurent comble. Ainfi, dans une
chaudière qui tient trente barrils d’eau , on met
douze barrils de tan. ‘
Quand on a jeté l’eau & le tan dans la chaudière ^
on allume le feu du fourneau qui eft deffoùs. Comme
il faut beaucoup d’eau, on la tire avec une pompe,
& on la conduit dans les chaudières par des dalles
en gouttières..
Les chaudières font ordinairement cinq à fix
heures, depuis que le feu eft allumé, fans commencer
à bouillir, quoique l’on ait foin de les cou-,
vrir avec des planches pour augmenter la chaleur.
Quand le bouillon commence à fe former, le tan
fe gonfle & s’élève avec tant de force, qu’un feul
bouillon pourroit en faire perdre un ou deux barrils,
qui contiennent chacun environ cent trente
pintes , mefure de Paris. Pour prévenir cet accident
, les tanneurs tirent avec des efpèces de cuillers
, une partie de la liqueur, qu’ils mettent dans
des tonnes ; & ils foutiennent le bouillon pendant
quatorze, feize ou dix-huit heures. A mefure que
la tannée diminue, ils remettent dans la chaudière
celle qu’ils ont dépofée dans les tonnes.
Après que l’eau a bien tiré la fubftance du tan }
& que le tanneur juge que fa tannée eft bien faite,
il retire avec un lanet tout le tan qui eft dans la chaudière.
L’ouvrier qui eft occupé à ce travail, met ce
tan dans une manne. Quand elle eft pleine , il la
tranfporte fur la tonne, pour ne pas perdre la liqueur,
qui eft la partie précieufe. Pendant cette
opération, l’on continue toujours le feu fous la
chaudière, afin d’entretenir la tannée bouillante ,
jufqu’à ce. qu’on y plonge les- filets : ce qu’on juge
néceffaire pour qu’ils fe pénètrent bien de cette
tannée.
On place dans le fond les filets neufs, & les autres
par deffus, jufqu’à enfaîter les filets les uns fur.
les autres. Mais le tanneur a foin de former fur le
devant de la chaudière ,• une cloifon de planches,
pour pouvoir puifer continuellement de la tannee,
qu’il verfe fur les filets, ce qu’il continue jufqu à ce
que toute la tannée foit confommée.
On tanne différemment les cordages. Quand la
tannée a bouilli quelques heures, on met a-vec une
gaffe les pièces de cordage roulées dans la chaudière
, où on les tient une couple d’heures dans la
tannée bouillante. On les tire enfuite avec la gaffe,
pour en mettre d’autres à leur place ; ce que l’on
continue jufqu’à ce que la tannée foit epuifee. On
paffe auffi les cordages dans le gaudron ; 8c cela peut
fe faire de différentes manières.
On peut faire bouillir dans de nouvelle eau le
tan qu’on a retiré de la chaudière, & qu on a mis
égoutter dans des mannes fur des futailles. Cette
fécondé tannée peut fervir à donner une petite im-
preflion de tan aux filets & aux cordages neufs qu’on
fe propofe de tanner, ce qu’on nomme, débouillir.
On fe fert encore de cette foible tannée pour redonner
une impreffion de tan aux filets précédemment
tannés, & qui ont blanchi par lejervice. Enfin ces
foibles tannées, qu’on fortifie quelquefois avec du
tan n eu f, fervent à tanner de la toile pour les
’ voiles-
On étend & l’on fait fécher les filets, les cordes
& les toiles qui ont été tannés. Il eft important de
les garantir de la pluie, jufqu’à ce qu’ils foient fecs ;
& encore plus de la gelée, qui les endommageroit
beaucoup. Mais heureufement on peut les conferver
long-temps en tas, lorfqu’ils font imbibés de
tan, fans craindre qu’ils s’échauffent & qu’ils fe
corrompent. On affure même que des filets bien
.tannés ont refté des temps considérables, comme
fix mois, au fond de la mer, fans avoir été confi-
dérablement endommagés. -
Les inftrumens dont fe fervent les tanneurs, font
des cuves de cuivre, des barrils pour contenir le tan
en poudre , lefquels doivent-contenir environ cent
vingt-huit ou cent trente pintes, mefure de Paris ;
des tonnes qu’ils nomment gonnes, pour y mettre
l ’eau qu’on retire des chaudières ; les mannes pour
égoutter le tan qu’on tire des chaudières ; des la-
nets , qui font dés filets de ficelle montés fur un
cercle de fer, où eft foudée une douille qui reçoit
un manche de bois; un pucheux ou puifeux, forte de
grande cuiller de bois, qui tient cinq a fix pintes
d’eau ; une gaffe ou crochet, pour mettre dans la
chaudière les pièces de cordages, & pour les en
retirer; des fourgons de differentes formes, pour
attifer le feu ou pour changer la fituation des filets
■ dans la chaudière : ils font de fer, avec des manches
de bois reçus dans des douilles.
Les pêcheurs portent leurs filets à la tannerie,
& ils aident aux tanneurs à les étendre pour les faire
fecher. Les uns les portent à dos fur le fable, d’autres
les chargent fur des brouettes, & on les étend
fur le fable, ou bien on les tend fur des perches.
Les Catalans, pêcheurs de fardines , achètent
leurs filets de la couleur du f il, qui eft de lin ; & iis
les teignent d’une couleur tannée ou rougeâtre, en
les faifant bouillir dans de grandes chaudières avec
de l’écorce de pin fauvage. On ne fe fert point de
,1’écorce du pin cultivé. On réduit donc en poudre
l’écorce de pin fauvage : fur une. partie d écorce ,
on met fix parties d’eau , qu’on fait ^bouillir jufqu à
la rédu&ion de moitié; enfuite on ôte le marc, &
on verfe la décoâion dans une tonne. Quand elle
eft refroidie au point de pouvoir y tenir la main,
on met les filets dans cette teinture, en les faifant
entrer par un bout, & les tirant par l’autre., comme
font les teinturiers : on les arrange tout de fuite en
rond dans une futaille qui eft percée de quelques
trous. Au bout de quinze jours, ils font encore
chauds*; &. quoiqu’on les y laiffe long-temps, ils
n’y fouffrent aucune altération ; de forte que quelquefois
on ne les en retire que lorfqu’on veut s’en
fervir. Alors on les lave dans de l’eau douce, & on
les fait fécher à l’air ou au foleil. On paffe tous les
mois les fardinales dans cette teinture ; & comme
la couleur devient à chaque fois de plus en plus
brune, à la fin ces filets femblent teints en noir.
Moyennant ces attentions, ils durent plufieurs années.
Dans les pays où l’on ne peut pas fe procurer
du tan de chêne , on prend de l’écorce verte &
fraîche de racine de noyer ; on la coupe par morceaux
qui peuvent avoir un pouce en carré ; on les
met dans une cuve ; & fur deux boiffeaux de cette
écorce, on verfo deux féaux d eau, qu on fait bouillir
pendant une heure. On retire enfuite 1 écorce ,
on met les filets au fond de la cu v e , & on les recouvre
avec l’écorce qu’on avoit tirée de la cuve :
les ayant laiffé tremper pendant vingt-quatre heures
dans cette teinture , on les en retire, on les tord, 8c
on les étend pour les faire fécher.
Comme les filets font un objet eonfidérable de
dépenfe, les pêcheurs prennent une fingulière attention
à les conferver. Pour cela, ils les lavent
autant*qu’ils peuvent dans de l’eau douce, toutes
les fois qu’ils reviennent de la mer ; enfuite il les
étendent, ou fur la grève, ou fur des perches, pour
les faire fécher ; & avant de s’en fervir, ils les vi-
fitent pour rétablir les trous qui pourroient s’y trouver
: article très-important, puifque , comme nous
avons déjà eu occafion de le dire, quelques mailles
rompues deviennent bientôt un grand trou, fi on
néglige de les rétablir. Enfin, quand on s’apperçoit
qu’un filet perd fa teinture , on le repaffe dans la
tannée. Avec de pareilles attentions , les pêcheurs
font quelquefois durer très4 ong-temps leurs filets.
D e s H a i m s ou H a m e ç o n s .
Il s’agit ici de crochets qu’on attache à l’extrémité
des lignes, & qu’on a coutume d’appeller hameçons,
quoique ce terme foit impropre ; car les pêcheurs
nomment hairhs ces fortes de crochets, terme qui
paroît venir de hamus ; & ils appellent hameçon un
haim amorcé, ou garni de fon appât.