
Nous avons fuppofé tous nos ouvrages de fonte j
blanche ; ceux de fonte grife, Ou même noire,
limables avant le radouciffement, fembleroient promettre
encore un adouciffement plus confidêrable ;
tout au plus craindroit-on pour eux, qu’étant déjà
de couleur brune , & qui le devient encore davantage
par le premier recuit, ils ne fùffent des fers
d’une vilaine couleur : il eft vrai aufli que, quoiqu’au-
tant limables que des ouvrages de fonte blanche
adoucie, ils n’ont pas la blancheur de ceux de
cette fonte. Mais fi l’on pouffe leur recuit jufqu’à
un certain point, & que ces fontes grifes foient
d’une bonne qualité, & telles que nous les emploierons
ailleurs, quand elles auront été fuflifam-
ment recuites, elles ne le céderont, ni pour l’éclat,
ni pour la blancheur, aux fontes blanches. Je l’ai
déjà dit, la couleur naturelle des fontes blanclies
m’avoit trop prévenu en leur faveur ; j’en ai été
plus facile à déterminer par les expériences qui
leur ont femblè favorables , & par celles qui ont
paru contraires aux fontes grifes. J’avois même
autrefois avancé que les ouvrages de fonte grife
ne prenoient jamais autant de corps que ceux de
fonte blanche. Mais des expériences que j’ai faites
depuis, & qui m’ont engagé à multiplier les effais
des fontes grifes, m’ont appris qu’il y en a des ef-
pèces qui peuvent acquérir beaucoup de corps par
radouciffement , autant & plus qu’aucune fonte
blanche, qui deviennent desfers-très-aifés à forger
à chaud & flexibles à froid, & dont la couleur
ne laiffe rien à defirer. On .pourra donc hardiment
entreprendre d’adoucir des ouvrages de ces fontes
qui ont été coulées en moule en fortant du fourneau
où la mine a été fondue, comme font les
marmites, les chaudrons, &c. les vafes à fleurs, & c.
& quantité d’autres.
Au refte , toute fonte , foit grife, foit blanche ,
ne fera pas capable d’acquérir un égal degré de
flSxibilité , quoiqu’elle prenne au recuit la même
nuance ; ii y en a qui doivent l’emporter beaucoup
fur les autres de ce côté-là: il y a.des fersforgés incomparablement
plus flexibles les uns que les autres;
il eft probable que les fontes qui donnent les fers
forgés les pluslians, donneront aufli des ouvrages
de fer fondu .qui auront plus de corps. J’ai trouve
des fontes qui font devenues flexibles à un point
qui m’a furpris ; il n’y a point de fer qui fe laiflat
mieux plier , que les morceaux des fontes dont je
veux parler : mais malheureufement jÜgnorois le
fourneau d’où ils étoient venus. Aufli eft-ce une fuite
d’expériences qui reftent à faire, que d’éprouver les
fontes de différens pays , qui prendront le plus de
corps, par les recuits; & ce font des expériences
qui fe feront néceffairement à mefure que notre art
s’étendra : mais la préemption eft actuellement pour
les fontes qui donnent des fers fibreux.
Nous avons"diftingué différens degrés d’adoucif-
femens, qui conviennent à différentes efpèces d’ouvrages
: mais- il n’eft prefque pas poflible d’entrer
dans le détail dé la durée du feu qu’iîs demanderont ;
car elle doit être proportionnée à leur épaîffeurj
Pour donner pourtant quelque idée des frais, nous
dirons .que fi l’on chauffe avec du bois un fourneau
dont les'crèufets auront les dimenfions de celui
qui eft repréfenté, une voie de bois y adoucira
prefque tous les ouvrages au point de pouvoir être
bien' réparés, de quelque grandeur que foient ces
ouvrages, & quoiqu’ils aient un pouce & demi
d’épaiffetir en quelques endroits ; ce qui fait des
pièces de fer épaifles. Tout'le fournnau ne doit
pourtant, pas être rempli de pièces fi épaifles,. il y
en aura de beaucoup plus minces dans les endroits
où la chaleur eft moins violente. Cette voie de
bois V doit être brûlée dans trois jours & deux nuits
au puis, & même dans un temps plus court. Si on
la fait durer plus long-temps , la chaleur ne fera pas
affez vive. Si le fourneau eft conftruit furies mêmes
mefures que celui de la pl. // , l’on y brûlera environ
deux voies de bois. Nous abrégeons bien ■
l’opération, s’il eft v ra i, comme les ouvriers qui
ont travaillé à l’établiffément, il y a vingt & tant
d’années , m’en ont affuré , qu’on tenoit en feu dix-
huit & vingt jours le fourneau où l’on aàouciffoit.
L’opération fera plus prompte , & adoucira le fer
plus profondément, fi au lieu de bois on emploie
le charbon, & fl fur-tout on excite fon ardeur par
! un foufflet : mais aufli fera-t-on. plus attentif alors à
j voir jufqu’où va la chaleur des ouvrages ; ils pour-
roient fondre ; pourvu qu’ils ne fondent pas , ils
ne fauroient chauffer trop vivement : mais on fera’
inftruit de leur degré de chaleur , comme du fuccès
de l’opération, par les baguettes d’effai, dont nous
avons affez&jpàrlé. Enfin le charbon ,de bois allume
feuleiftent pH l’air qui entre librement dans le fourneau
, rendra l’opération affez prompte. Des pra*
lâtres de ferrures & 'd’autres ouvrages plus épais
pourront y être adoucis dans un jour, fi le feii eft
bien ménagé.
Quelque attention qu’on ait à donner aux pièces
les places qui leur conviennent le mieux par rapport
à leur épaiffeur , il arrivera fouvent que quelques
unes , pour être ellès-mêmes en différens
endroits d’épaiffeuf très-inégale , ne feront pas fuf-
fifamment adoucies. II y a: des épaiffeurs qui peuvent
être adoucies dans dix à douze heures , &
d’autres qui demandent plufieurs jours... Ces differentes
épaiffeurs peuvent fe ..trouver dans le même
ouvrage. Le remède qui fera plus facile, ce fera
de trier celles-là, & de les garder pour une fécondé
fournée où elles feront remifes , comme on
y remettra généralement toutes les pièces qui n’auront
pas été rendues affez traitables.
La première fournée, celle où l’on n’auroît brûlé
qu’uhe voie de bois , ne procurera pas non plus un
adouciffement fuffifant aux ouvrages épais qui demandent
à être adoucis jufqu’au centre, au point de
pouvoir être pércés, ni même à ceux des- ouvrages
minces qui doivent être adoucis au point de fe laiffet
plier à froid. On les recuira une fécondé & une
troiftème fo is , jufqu’à ce qu’on les ait amenés au
àeerè où on lés veut.il y auroit encore plus d’cpargiïe |
à mettre dans différentes fournées- lés ouvrages qui
demandent différens degrés d’adouciffement ; l ’on
profiteroït de la chaleur acquife , en ne les laiffant
point refroidir, & continuant le feu jufqu’à ce qu’ils
fuffent adoucis à fond.
Ce n’eft pas qu’il en foit i c i , comme pour nqs
aciers, que la durée du feu puiffe nuire au fer
adouci au point où il a befoin de l’être ; radouciffement
ne fauroit rien gâter , qué pouffé par-delà les
bornes où l’on ne s’avifera pas de le pouffer. Ce fe-
rôit après un trop grand nombre de recuits répétés,
mais il eft dommage de confumer du bois pour
produire un effet inutile : aufli doit-on fe munir de
plufieurs fourneaux ; ils ne reviendront pas chacun
tort cher. On fe fervira des uns ou des autres,
felon lès q/pèces d’ouvrages qu’qu aura à adoucir :
on mettra dans les petits fourneaux tous les ouvrages
minces.
Quoique nous ne puillions entrer dans un jufte
détail de la dépenfe des recuits, on peut vouloir
en prendre une idée groflière ; on peut craindre
qu’outre les frais du recuit, le fer adouci ne coûtât
davantage à réparer que les autres métaux. Pour
donner quelque idée de l’épargne, je citerai feulement
deux ouvrages du même genre, que je fis
faire d’abord pour m’inftruire moi-même. Le premier
eft le marteau de la porte de l’hôtel de la Ferté, que
nous avons cité dans le premier mémoire ; j’en fis
prendre le modèle ; les frais du modèle ne dévoient
pas entrer en ligne de compte , parce qu’ils y entrent
pour très-peu de chofe, le même modèle fer-
vantà faire une infinité d’ouvrages femblables : ce
qu’il a coûté fe diftribuè fur eux tous. Ayant donc
lemodèle_de ce marteau, j’en ai fait jeter plufieurs en
moule, que j’ai enfuite fait adoucir & réparer. Ces
marteaux très-beaux & très-finis ne me font pas revenus
chacun à vingt livres, pendant que l’original en
avoit coûté 700. Pai fait faire en plomb le modèle
d’un autre marteau; je l’ai préfenté à divers ouvriers
, pour favoir ce qu’ils demanderoient pour
le faire en fer forgé. Quelques-uns en ont mis la
façon à 1500 livres, & aucun ne l’a laiffée au-
deffous de 1000 livres. Plufieurs de ces marteaux
très-beaux & très-finis, ne m’ont coûté en fer fondu
que a 5 livres chacun. Il ne faut pourtant pas croire
que les premiers ouvrages, fe donnent à fi bon marché:
on voudra faire payer les .premiers modèles ,
& dans tout établiffement, il y a à confidéreV des
dépenfes que je n’ai pas calculées pour moi, comme
de loyers d’atelier & de maifons , de frais de commis
, &c. & ajouter les profits qu’on doit faire.'
Après toutes ces additions, ce même marteau qui
avoit été payé 700 livres, eft aujourd’hui donné
à- 3 y livres.
Nous n’avons rien à ajouter ici fur la manière
de piler le charbon , de lè mêler avec les os ; il n’y
a pas fur cela de pratiqués différentes à fuivre de
celle dont nous avons parlé àToccafion de notre
compofifton à acier ; nous ne ferions aufli que répéter
ce que nous avons dit tant de fo is , en parlant
de la néceffité de bien Juter toutes les jointures.
La flamme eft capable d’empêcher radouciffement,
& qui plus eft, de reridurcir même ce qui a été
adouci ; elle rend' au fer ce qui lui a été ôté : mais
ce n’eft que dans des cas où fon aftion fera très-
forte & longue. \
En voici une preuve qui ne doit pas être oubliée.
Je me. fuis fouvent lervi, pour les recuits de
nos ouvrages, de plaques de fonte. Le côté de ces
plaques , qui étoit touché par les matières propres
à adoucir les ouvrages, devoit donc être adouci
lui-même après l’opération finie ; & il l’étoit, ce
• qui eft dans l’ordre ; & de même il étoit dans l’ordre
que la face, qui étoit du côté du feu, reftât dure.
Dans la fournée fuivarire , chaque plaque ayant
été retournée de façon que la face qui étoit en
dehors du creufet devînt en dedans, elle fe trouva
à fon tour en place de s’adoucir , & elle s’adoucit.
Mais la furface qui avoit été adoucie ci-devant,
celle fur laquelle la flamme agiffoit, reprit fa première
dureté ; le foret 11e. pouvoit plus la percer :
de forte que chaque fois qu’on retourne les plaques ,
on adoucit un côté , & au moins les premières
fois on rendurcit celui qui étoit devenu doux.
Le côté des plaques, qui eft expoféau feu , re-
deviendroit dur, quand ces plaques feroient de fer
forgé ; tout fer brûlé , tout fer réduit en écailles.,’
ou près d’y être réduit, prend une dureté prefqu’à
l’épreuve des limes & des fotets , ou une dureté approchante
de celle du verre : le fer brûlé eft du fer
vitrifié, au moins en partie.
Aufli, quand, par quelque accident, la furface
des ouvrages de fer fondu fe fera’ un peu brûlée ,
qu’elle fe fera écaillée , î’écaille fera toujours dure :
mais fi l’on fait tomber l’écaille, fouvent on trouvera
le deffous très limable. Ces écailles pourroient
quelquefois faire croire que le fer n’eft point adouci,
quoiqu’il le foit très-bien ; & cela dans certaines
circonftances où cette écaille , cette portion de
l’épaiffeur qui a été brûlée , ne s’eft nullement détachée
de deflùs le fer. Elle y paroît quelquefois Ci
bien appliquée, qu’on ne foupçomieroit pas qu’il
y a une partie de ce fer qui peut être facilement fé-
* parée du refte ; qu’on tâte alors l’ouvrage à la lime,
il y réfiftera. Mais qu’avec la panne d’un marteau ,
on le frappe doucement, la partie brûlée, la partie
écaillée fe détachera par parcelles ; en donnant
fucceftivement de femblables coups par-tout, on
fera tomber la feuille brûlée dont il étoit enveloppé,
& au-deffous de cette feuille il fera limable.
Le fer fondu qui, au fortir du recuit où il a refté
affez long-temps pour être adouci, a une couleur
bleuâtre , ou qui paroît parfemé de petits brilians ;
enfin le fer qui n’a pas cette couleur d’un brun café ,
dont, nous avons parlé au commencement de ce
mémoire, ce fer a fûremnnt fa furface brûlée : il eft
eft recouvert d’une écaille dure que les coups de
marteau feront tomber.
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