
enfuite ; il approuve les deux procédés de Neri:
il ajoute feulement qu’il importe pour ces deux
couleurs de retirer du feu à propos ; obfervation
générale pour toutes les autres couleurs.
Ces émaux viennent de Venife ou de Hollande ;
ils font en petits pains plats de différentes grandeurs.
Ils ont ordinairement quatre pouces de diamètre
, & quatre à cinq lignes d’éparffeur. Chaque
pain porte empreinte la marque de l’ouvrier :
cette empreinte fe donne avec un gros poinçon ;
c’eft ou un nom de Jefus , ou un foleil, ou une
fyrène, ou un fphinx, ou un linge , &c.
Art de peindre fur Vémail.
L’art d’émailler fur la terre eft ancien. Il y avoir
au temps de Porfenna, roi des Tofcans , des vafes
émaillés de différentes figures. Cet art, après avoir
été long-temps brut, fit tout-à-coup des progrès
furprenans à Faenza & à Caftel-Durante , dans
le duché d’Urbin. Michel-Ange & Raphaël florif-
foient alors : aufli les figures qu’on remarque fur
les vafes qu’on émailloit, font-elles infiniment plus
frappantes par le deflin , que par le coloris. Cette
efpèce de peinture étoit encore loin de ce qu’elle
devoit devenir un jour; on n’y employoit que le
blanc & le noir, avec quelques teintes légères de
carnation au vifage & à d’autres parties : tels font
les émaux qu’on appelle de Limoges. Les pièces qu’on
faifoit fous François Ier, font très-peu de chofe
fi on ne les eftime que par la maniéré dont elles
font coloriées. Tous les émaux dont on fe fervoit,
tant fur l’or que fur le cuivre, étoient clairs .&
tranfparens. On couchoit feulement, quelquefois
des émaux épais, féparément & à plat,, comme
on le pratiqueroit encore aujourd’hui fi l’on pro-
jettoit de former un relief. Quant à cette peinture
dont nous* nous propofons de traiter, qui confifte
à exécuter avec des couleurs métalliques, auxquelles
on a donné leurs fondans, toutes fortes de fu-
jets , fur une plaque d’or ou de cuivre qu’on a
émaillée, & quelquefois contre-émaillée, elle étoit
entièrement ignorée.
On en attribue l’invention aux François. L’opinion
générale eft qu’ils ont les premiers exécuté
fur l’or des portraits aufli beaux, auffi, finis, &
aufli vivans que s’ils avoient été peints ou à l’huile
ou en miniature. Ils ont même tenté des fujets
d’hiftoire, qui ont au moins cet avantage que l’éclat
en eft inaltérable.
L’ufage en fut d’abord confacrê aux bijoux. Les
bijoutiers en firent des fleurs & de la mofaïque
où l’on voyoit des couleurs brillantes, employées
contre toutes les règles de l’a rt, captiver les yeux
par le feul charme de leur éclat.
La connoiffance de la manoeuvre produifit une
forte d’émulation , qui, pour être affez ordinaire ,
n’en eft pas moins précieufe ; ce fut dé tirer un
meilleur parti des difficultés qu’on avoit furmon-
tées , en produifant des ouvrages plus raifonna-
bles & plus parfaits. Quand il n’y eut plus de mérite
à émailler purement & Amplement, on fongea
à peindre en émail; les joailliers fe firent peintres
d’abord copiftes des ouvrages des autres, enfuite
imitateurs de la nature.
Ce fut en 1632, qu’un orfèvre de Châteaudun
qui entendoit très-bien l’art d’employer les émaux
clairs & tranfparens , fe mit à chercher l’autre peinture
, qu’on appellera plus exaélement peinture fur
l'émail qu’en émail ; & il parvint à trouver des
couleurs, qui s’appliqùoient fur un fond émaillé
d’une feule couleur, & fe parfondoient au feu. H
eut pour difciple un nommé Gribalin : ces deux
peintres communiquèrent leur fecret à d’autres ar-
tiftes qui le perfectionnèrent , & qui pouffèrent
la peinture en émail jufqu’au point où nous la pof-
fédons aujourd’hui. L’orfèvre de Châteaudun s’ap-
pelloit Jean Toutin.
Le premier qui fe diftingua entre ces arfiftes,
fut l’orfèvre Dubié , qui logeoit aux galeries du
louvre. Peu de temps après Dubié , parut Mor-
lière : il étoit d’Orléans. Il travailloit à Blois. Il
borna fon talent à émailler des bagues & des boîtes
de montre. Ce fut lui qui forma Robert Vou-
quer de Blois , qui l’emporta fur fes prédéceffeurs
par la beauté des couleurs qu’il employa, & par
la connoiffance qu’il eut du deflin. Vouquer mourut
en 1670. Pierre Chartier de Blois lui fuccéda,
& .peignit des fleurs avec quelque fuccès.
La durée de la peinture en ém a i l , fon luftre permanent,
la vivacité de fes couleurs , la mirent
alors eri grand crédit : on lui donna fur là peinture
en miniature une préférence , qu’elle eût fans
doute confervée , fans les coniioiflânces qu’elle
fuppofe , la patience qu’elle exige , les accidens du
feu qu’on ne peut prévoir, & la longueur du travail
auquel il faut s’affujettir. Ces raifons font
fi fortes , qu’on peut affurer fans craindre de fe
tromper, qu’il y aura toujours un très-petit nombre
de grands peintres en émail ; que les beaux ouvrages
qui le feront en ce genre, feront toujours
très-rares & très-précieux, & que cette peinture
fera long-temps encore fur le point de fe perdre ;
parce que la recherche des couleurs prenant un
temps infini à ceux qui s’en occupent, & les fuccès
ne s’obtenant que par des expériences coûteufes
& réitérées , oji continuera d’en faire un fecret.
G’eft pour cette raifon que nous invitons ceux qui
aiment les arts , & que leur état & leur fortune ont
élevés au deffus de toute confidération d’intérêt ,
de publier fur la compofition des couleurs propres
pour la peinture de l’émarl & de la porcelaine * ce
qu’ils peuvent en eonnortre ; ils fe feront beaucoup
d’honneur, & ils rendront un fervice. important à
la peinture. Les peintres fur l’émail, ont une peine
incroyable à compléter leur palette ; & quand elle
eft à peu près complète , ' ils craignent toujours,
qu’un accident ne la dérange , ou que quelques
couleurs dont ils ignorent la compofition, & qu’ils
emploient avec beaucoup de fuccès, ne viennent
à leur manquer* Il m’a paru , par exemple, que
des ronges de mars qui enflent de l’éclat & de la
fixité étoient très - rares. Comment un. art fe per-
feélionnera-t-il, lorfque les expériences d’un artifle
ne s’ajouteront point aux expériences d’un autre
artifle , & que celui qui entrera dans la carrière
fera obligé de tout inventer, & de perdre , à chercher
des couleurs , un temps précieux qu’il eût
employé à peindre b
On vit immédiatement apres Pierre Chartier ,
plufieurs artiftes fe livrer à- la peinture en émail.
On fit des médailles : on exécuta un grand nombre
de petits ouvrages : on peignit des portraits. Jean
Petitot & Jacques Bordier en apportèrent d’Angleterre
de fi parfaits & de fi parfaitement "coloriés,
que deux bons peintres én miniature, Louis Hance
& Louis de Guernier , tournèrent leur talent de
ce côté. Ce dernier fe livra à la peinture en émail
avec tant d’ardeur & d’opiniâtreté, qu’il l’eût fans
doute portée au point de perfeâion qu’elle pouvoit
atteindre , sfil eût vécu davantage. Il découvrit
cependant plufieurs teintes , qui rendirent fes carnations
plus belles que fes prédéceffeurs ne les
avoient eues. Que font devenues ces découvertes ?
Mais s’il eft v ra i, clans tous les arts , que la distance
du médiocre au bon eft grande , & que celle
du bon à l’excellent eft prefque infinie, ce font des
vérités fingulièrement frappantes dans la peinture
en émail. Le degré de perfe&ion le plus léger dans
le travail, quelques lignes de plus ou de moins fur
le diamètre d’une pièce j conftituent au-delà d’une
certaine grandeur des différences prodigieufes.
Pour peu qu’une pièce foit grande, il eft prefque
impoffible de lui confêryer cette égalité de fuper-
ficie, qui permet feule de jouir également do là
peinture de quelque côté que vous la regardiez. Les
dangers du feu augmentent en raifon des fiirfaces.
M. Rouquet , dont je ne penfe pas que qui que
ce foit récufe le jugement dans cette matière, prétend
même, dans ion ouvrage de U état des Arts en
Angleterre, que le projet d’exécuter de grands morceaux
en émail, eft une preuve décifive de l’ignorance
de l’artifte ; que ce genre de peinture perd
de fon mérite , à proportion qu’on s’éloigne de
certaines limites ; que l’artifte n’a plus au-delà de
cesiimites la même liberté dans l’exécution , &
que le fpe&ateur feroit plutôt fatigué qu’amufé par
les détails , quand même il arriveroit à l’artifte de1
réuflir.
Jean Petitot, né à Genève en ï 607 , mourut à
Vevay en 1691. Il fe donna des peines incroyables
pour perfectionner fon talent. On dit qu’il dut fes
belles couleurs à un habile chimifte avec lequel il
travailla , "mais on ne nomme point ce chimifte.
Cependant c’eft l’avis de M. Rouquet : Petitot ,
dit-il , n’éût jamais mis dans fes ouvrages cette
manoeuvre fi fine & fi féduifante, s’il avoit opéré
avec les fubftances ordinaires. Quelques heureufes
découvertes lui fournirent les moyens d’exécuter
fans peine des chofes furprenantes, que , fans le
fecours de ces découvertes , les organes les plus
parfaits avec toute l’adreffe imaginable , n’au-
roient jamais pu produire. Tels font les cheveux,
que Petitot peignoit avec une légéreté dont les inf-
trumens & les préparations ordinaires ne font
nullement capables. S’il eft vrai que Petitot ait eu
des moyens, méhaniques qui fe foient perdus ,
quel regret pour ceux qui font nés avec un goût
v if pour les arts, & qui fentent tout le prix de la
perieétion !
Pétitot copia plufieurs portraits d’après les plus
grands maîtres : on les conferve précieufement.
Vandeik fe plut à le voir travailler, & ne dédaigna
pas quelquefois de retoucher fes ouvrages.
Louis XIV & fa cour employèrent long-temps
fon pinceau. Il obtint une penfion confidérable &
un logement aux galeries , qu’il occupa jufqu’à la
révocation de l’édit de Nantes. Ce fut alors qu’il fe
retira dans fa patrie.
Bordier, fon beau-frère , auquel il s’étoit affocié ,
peignoit les cheveux , les draperies, & les fonds ;
Petitot fe chargeoit toujours des têtes & des mains.
Ils traitèrent non-feulement les portrait , mais
encore l’hiftoire. Ils vécurent fans jaloufie , &
amafsèrent près d’un million, qu’ils partagèrent fans
procès.
On dit qu’il y a un très-beau morceau d’hiftoire
de ces deux artiftes dans la bibliothèque de Genève.
M. Rouquet fait l’éloge d’un peintre Suédois ,
appellé M. Zink. Ce peintre a travaillé en Angleterre.
Il a fait un grand nombre de portraits, où
l’on voit l’émail manié avec une extrême facilité ,
l’indocilité des matières fubjuguée , & les entraves
que l’art de l’émail met au géni.e entièrement bri-
fees. Le peintre de Genève dit de M. Zink ce qu’il
a dit de Petitot, qu’il a poffédé des manoeuvres &
des matières qui lui étoient particulières, & fans
lefquelles fes ouvrages n’auroient jamais eu la
liberté du pinceau, la fraîcheur , la vérité, l’empâtement
qui leur donnent l’effet de la nature.
Les mots par lefquels M. Rouquet finit l’éloge de
M. Zink, font remarquables : r> Il eft bien humi-
n liant, dit M. Rouquet, pour la nature humaine ,
» que les génies aient la jaloufie d’être feuls. «
M. Zink n’a point fait d’élève.
Nous avons aujourd’hui quelques hommes habiles
dans la peinture en émail ; tout le monde con-
noît les portraits de ce même M. Rouquet que nous
venons de citer, ceux de M. Liotard, & les com-
pofitions de M. Durand. Je me fais l’honneur d’être
l’ami de ce dernier, qui n’éft pas moins eftimable
par l’honnêteté, de fes moeurs & la modeftie de fou
caraétère , que par l’excellence de fon talent. La
poftérité, qui fera cas de fes ouvrages en émail,
recherchera avec le plus grand empreffement les
morceaux qu’il, a exécutés fur la nacre , & qui
auront échappé à la barbarie de nos petits maîtres.
Mais je crains bien que la plupart de ces bas-reliefs
admirables , roulés brutalement fur des tables de
marbre , qui égratignent & défigurent les plus
belles têtes , les plus beaux contours, ne foient