
les bornes de cet article ne permettent dë prendre
que la fleur.
Nous avons deux manières de communiquer nos
idées ; la première , à l’aide des fons ; la fécondé
par le moyen des figures. En effet, l’occafion de
perpétuer nos penfées , & de les faire connoître
aux perfonnes éloignées, fe préfente fouvent; &
comme les fons ne s’éténdent pas au-delà du moment
& du lieu où ils font proférés, on a inventé
les figures & les cara&ères après avoir imaginé les
fons , afin que ces idées puffent participer à l’étendue
& à la durée.
Cette manière de communiquer nos idées par
des marques & par des figures, a confifté d’abord
à deffiner tout naturellement les images des cho-
fes ; ainfi, pour exprimer l’idée d’un homme ou
d’un cheval, on a repréfenté la forme de l’un ou
de l’autre. Le premier effai de l’écriture a été, comme
on voit, une fimple peinture ; on a fu peindre
avant que de fa voir écrire.
Nous en trouvons chez les Mexicains une preuve
remarquable. Ils n’employoient pas d’autre méthode
que cette écriture en peinture, pour conferver leurs
loix & leurs hiftoires.
Il refie encore aujourd’hui un modèle très-curieux
de cette écriture en peinture des Indiens,
compofé par un Mexicain, & par lui expliqué dans
fa langue, après que les Efpagnols lui eurent appris
les lettres. Cette explication a été enfuite traduite
en efpagnol , & de cette langue en anglois. Pur-
chas a fait graver l’ouvrage qui eft une hifioire de
l’empire du Mexique, & y a joint une explication.
On croit que d’exemplaire original efi à la bibliothèque
du roi de France.
Voilà la première méthode , & en même temps
la plus fimple qui s’efi offerte à tous les hommes
pour perpétuer leurs idées.
Mais les inconvéniens qui réfultoient de l’énorme
grofièur des volumes dans de pareils ouvrages,
portèrent bientôt les nations' ingénieufes & eivi-
lifées, à imaginer des méthodes plus courtes. La
plus célèbre de toutes , efi celle que les Egyptiens
ont inventée , à laquelle on_ a donné le
nom d’hiéroglyphique. Par fon moyen , l’écriture,
qui n’étoit qu’une fimple peinture chez les Mexicains
, devint en Egypte peinture & cara&ère ;
ce qui conftitue proprement l’hiéroglyphe.
Tel fut le premier degré de perfection qu’xigeoit
cette méthode groflière de conferver les idées des
hommes. On s’en eft fervi de trois manières qui,
à confulter la nature des chofes, prouvent qu’elles
n’ont été trouvées que par degré , & dans trois
temps différens.
La première manière confiftoit à employer la
principale circonftance d’un fujet pour tenir lieu
du tout. Les Egyptiens vouloient-ils repréfenter
deux armees rangées en bataille ; les hiéroglyphes
d Horapoflo , cet admirable fragment de l’antiqui-
te 5 nous apprennent qu’ils peignoient deux mains ,
dont l’une tenoit un boucher , & l’autre un arc.
La fécondé manière , imaginée avec plus d’art
confifioit à fubftituer l’infirument réel ou métaphv-
fique de la chofe à la chofe même. Un oeil & J
fceptre repréfentoient un monarque ; une épée
peignoit le cruel tyran Ochus, & un vaiffeau avec
un pilote défignoit le gouvernement de l’univers.
Enfin , on fit plus : pour repréfenter une chofe *
on fe fervoit d’une autre, où l’on voyoit quelque
reffemblance ou quelqu’analogie ; & ce fut la troisième
manière d’employer cette écriture. Ainfi l’univers
étoit repréfenté par un ferpent roulé en forme
de cercle, & la bigarrure de fes taches défignoit
les étoiles.
T e premier objet de ceux qui imaginèrent la peinture
hiéroglyphique, fut de conferver la mémoire
des événemens , & de faire connoître les loix, les
réglemens, & tout ce qui a rapport aux matières
civiles.
Par cette raifon , on imagina des fymboles relatifs
jiux befoins & aux produirions particulières
de l’Egypte. ^ Par exemple, le grand intérêt des
Egyptiens, étoit de connoître le retour ou la durée
du vent Etéfien qui amonceloit les vapeurs en
Ethiopie, & caufoitl’inondation enfoufüant, fur
la fin du printemps, du nord au midi. Ils avoient
enfuite intérêt de connoître le retour du vent de
midi , qui- écouloit les eaux vers la Méditerranée.
Mais comment peindre le vent ? Iis choifirent
pour cela la figure d’un oifeau ; l’épervier, qui étend
fes ailes en regardant le midi pour renouveller fes
plumes au retour des chaleurs, fut le fymbole du
vent Etéfien quifouffle du nord au fud, & la huye
qui vient d’Ethiopie pour trouver des vers dans le
limon à la fuite de l’écoulement du N il, fut le fym-
• bole du retour des vents de midi propres à faire
écouler les eaux. Ce feul exemple peut donner une
idée de Xécriture fymbolique des Egyptiens.
Cette écriture fymbolique, premier fruit de l’af-
tronomie, fut employée à infiruire le peuple de
toutes les vérités, de tous les avis, & de tous les
travaux néceffaires. On eut donc foin , dans les
commencemens, de n’employer que les figures dont
l’analogie étoit le plus à portée de tout le monde ;
mais cette méthode fit donner dansée rafinement,
à mefure que les philofophes s’appliquèrent aux
matières de fpéculation. Auflîtôt qu’ils crurent avoir
découvert dans les chofes-des qualités plus abf-
traites, quelques-uns, foit par Angularité, foit pour
cacher leurs connoiffances au vulgaire , fe plurent
à cheifir pour caractères des figures dont le rapport
aux chofes qu’ils voüloient exprimer n’étoit
point connu. Pendant quelque temps, ils fe~bornèrent
aux figüres dont la nature offre des modèles
; mais dans la fuite, elles ne leur parurent ni
fuffifantes, ni affez commodes pour le grand nombre
d’idées que leur imagination leur fourniffoit.
Ils formèrent donc leurs hiéroglyphes de l’affem-
blage myftérieux de chofes differentes , ou de parties
de divers animaux ; ce qui rendit ces figures
tout-à-fait énigmatiques.
Enfin, l’ufage d’exprimer les spenfées par des
figures analogues , & le deffein d’en faire quelquefois
un-fecret & un myftère , engagea à repréfenter
les modes mêmes des fubftances par des images
fenfibles.
On exprima la franchife par un lievre -, 1 impureté
par un bouc fauvage , l’impudence par une
mouche, la fcience par une fourmi. ; en un mot,
on imagina des marques fymboliques pour toutes
les choies qui n’ont point de formes. On fe contenta
, dans ces occafions , d’un rapport quelconque
; c’eft la manière dont on s’étoit déjà conduit
quand on donna des noms aux idées qui s’éloignent
desfens.-.
Jufques-là l’animal ou la chofe qui fervoit à repréfenter
, avoit été defliné au naturel ; mais lorf-
que l’étude de la philôfÔphie , qui avoit occafionnè
Xécriture fymbolique, eut porté les favans d’Egypte
à écrire fur beaucoup de fujets, ce deflin, ayant
trop multiplié les volumes, parut ennuyeux. On
fe fervit donc par degré d’un autre cara&ère que
l’on peut appeller Xécriture courante des hiéroglyphes. ]
Il reffembloit aux caraéfères chinois ; & après avoir
été formé du feul contour de la figure, il devint
à la longue une forte de marque.
L’effet naturel que produifit cette écriture courante
, fut de diminuer beaucoup de l’attention qu’on
donnoit au fymbole, & de la fixer à la chofe lignifiée.
Par ce moyen , l’étude de Xécriture fymbolique
fe trouva fort abrégée, puifqu’il n’y avoit alors pref-
qu’autre chofe à faire qu’à fe rappeller le pouvoir
de la marque fymbolique ; au lieu qu’auparavant
il falloit être inftruit des propriétés de la chofe,
ou de l’animal qui étoit employé comme fymbole.
En un mot, cela réduifit cette forte d ''écriture à
l’état où eft préfentement celle des Chinois.
Ce cara&ère courant eft proprement celui que
les anciens ont appelle hié$ographique , & que l’on
a employé, par fucceffion de temps, dans les ouvrages
qui traitoient des mêmes fujets que les anciens
hiéroglyphes. On trouve des exemples de
ces cara&ères hiérographiques dans quelques anciens
monumens ; on en voit à prefque tous les
compartimens de la table Ifiaque, dans les intervalles
qui fe rencontrent entre les plus grandes figures
humaines.
L’écriture étoit dans cet état, & n’avoit pas le
moindre rapport avec l’écriture aétuelle. Les caractères
dont on s’étoit fervi, repréfentoient des objets;
celle dont nous nous fervons repréfente des
fons : c’eft un art nouveau.
Un génie heureux ( on prétend que ce fut le
fecrétaire d’un des premiers rois de l’Egypte , appelé
Thoït, Th o o t, ou Thot ) fentit que le discours
, quelque varié & quelqu’étendu qu’il puiffe
etre pour les idées , n’eft pourtant compofé que
dun affez petit nombre de fons, & qu’il ne s’agif-
ioit que de leur afligner à chacun un cara&ère re-
prefentatif. Il abandonna donc 1’ écriture repréfen-
tative ^es êtres, qui ne pouvoit s’étendre à l’infini,
pour s’en tenir à une combinaifon qui, quoique
tiès-bornée, ( celle des fons ) produit cependant le
même effet.
Si on. y réfléchit ( dit M. Duclos, le premier qui
ait fait ces obfervations qui ne font pas moins juf-
tes que délicates ) , on verra que cet art ayant été
une fois conçu , dut être formé prefqu’en même
temps , & c’eft ce qui relève la gloire de l’auteur.
En effet, après avoir eu le génie d’apperçevoir que
les fons d’une langue pouvoient fe décompofer &
fe diftinguer , l’énumération dut en être bientôt
faite. Il étoit bien plus facile de compter tous les
fons d’une langue, que de découvrir qu’ils pouvoient
fe compter. L’un eft un coup de génie,
l’autre un fimple effet de l’attention. Peut-être n’y
a-t-il jamais eu d’alphabet complet, que celui de
l’inventeur de l'écriture. Il eft bien vraifemblable
que s’il n’y eut pas alors autant de cara&ères qu’il
nous en faudroit aujourd’h u i, c’eft que la langue
de l’inventeur n’en exigeoit pas davantage. L’orthographe
n’a été parfaite qu’à la naiffance de l’écriture.
Quoi qu’il en foit, toutes les efpèces d’écritures
hiéroglyphiques, quand il falloit s’en fervir dans les
affaires publiques pour envoyer les ordres du roi
aux généraux d’armée, & aux gouverneurs des provinces
éloignées, étoient fujettes à l’inconvénient
inévitable d’être imparfaitement & obfcurèment entendues.
Th oo t, en faifant fervir les lettres à exprimer
des mots & non des chofes , évita tous les
inconvéniens fi préjudiciable^ dans ces occafions,
& l’écrivain rendit fes inftruétions avec la plus
grande clarté & la plus grande précifion. Cette
méthode eut encore cet avantage, que comme le
gouvernement chercha fans doute à tenir l’invention
fecrète , les lettres d’état furent,. pendant du
temps, portées avec toute la fureté de nos chiffres
modernes.
C ’eft ainfi que Xécriture en lettres , appropriée
d’abord à un pareil ufage, prit le nom d'épifloli-
que j du moins je n’imagine pas , avec M. War-
burthon , qu’on puiffe donner une meilleure raifon
de cette dénomination.
Le le&eur apperçoit à préfent que l’opinion commune,
qui veut que ce foit la première écriture hiéroglyphique
, & non pas la première écriture en
lettres qui ait été inventée pour le fecret, eft pré-
cifément oppofée à la vérité ; ce qui n’empêche pas
que dans la fuite elles, n’aient changé naturellement
leur ufage. Les lettres font devenues l’écriture
commune , & les hiéroglyphiques devenoient
une écriture fecrète & myftérieufe.
En effet, une écriture qui, en repréfentant les
fons de la v o ix , peut exprimer toutes les penfées
& les objets que nous avons coutume de défigner
par ces fons, parut fi fimple & fi féconde, qu’elle
fit une fortune rapide. Elle fe répandit par-tout,
elle devint l’écriture courante, & fit négliger la
fymbolique dont on perdit peu à peu l’ufage dans