
effacés & détruits , lorfque les amateurs en con- I
noîtront la valeur , qui n’eft pas ignorée aujour- I
d’hui , fur-tout des premiers artiftes. C ’eft en lui
voyant travailler un très-beau morceau de peinture
en émail, foit qu’on le confidère par le fujet, ou
par le deffin, ou par la compofition , ou par l’ex-
prefiion , ou même par le coloris , que j’écrivois ce
que je détaillerai de la peinture en émail, après
que j’aurai fait connoître en peu de mots le morceau
de peinture dont il s’agit.
C ’eft une plaque deftinée à former le fond d’une
tabatière d’homme, d’une forme ronde, & d’une
grandeur qui paffe un peu l’ordinaire. On voit fur
le devant un grand amour de dix-huit ans, droit,
l’air triomphant & fatisfait, appuyé fur fon arc ,
& montrant du doigt Hercule qui apprend à filer
d’Omphale : .cet amour femble dire à celui qui le
regarde, ces deux vers : 4
Qui que tu fois , tu vois ton maître ,
Il le f l , le fut , ou le doit être.
ou
Quand tu ferois Jupiter même ,
Je te ferai filer aujfi.
Hercule eft renverfé nonchalamment aux pieds ;
d’Omphale , fur laquelle il attache les regards les
plus tendres & les plus pafîionnés. Omphale efl
occupée à lui apprendre à faire tourner un fufeau
dont elle tient l’extrémité entre fes doigts. La
dignité d efonvifage , la finefle de fon fouris , je
ne fais quels vefliges d’une pafîion mal celée qui
s’échappe imperceptiblement de tous fes traits ,
font autant de chofes qu’il faut voir & qui ne
peuvent s’écrire. Elle efl affife fur la peau du lion
de Némée ; un de fes pieds délicats efl pofé fur la
'tête de l’animal terrible ; cependant trois petits
amours fe jouent de la maffue du héros , qu’ils ont
mife en balançoire. Ils ont chacun leur caraélère.
Un payfage forme le fond du tableau. Ce morceau,
vu à l’oeil nu , fait un grand plaifir ; mais regardé
à la loupe, c’efl toute autre chofe encore ; on en
efl enchanté.
C ’efl l’orfèvre qui prépare la plaque fur laquelle
©n fe propofe de peindre. Sa grandeur & fon
épaiffeur varient, félon l’ufage auquel on la def-
tine. Si elle doit former un des côtes d’une boîte
il faut que l’or en foit à vingt-deux karats au plus ;
plus fin, il n’auroit pas affez de foutien ; moins fin,
il feroit fujet à fondre. Il faut que l’alliage en foit
moitié Blanc & moitié rouge, c’efl-à-dire , moitié
argent & moitié cuivre ; l’émail dont on la couvrira
, en fera moins expofé à verdir, que fi l’alliage
étoit tout rougè.
Il faudra recommander à l’orfévre de rendre
fon or bien pur & bien net , & de le dégager
exaélement de pailles & de vent ; fans ces précautions
, il fe fera immanquablement des fouffiurcs •
à l’émail, & ces défauts feront fans remède.
On réfervera autour de la plaque un filet qU’0!î
appelle aufli bordement. Ce filet ou bordement retiendra
l’émail, & l’empêchera de tomber lorf-
qu’étant appliqué ou le preffera avec la fpatule. On
lui donnera autant de hauteur qu’on veut donner
d’épaiffeur à l’émail ; mais l’épaiffeur de l’émail
variant félon la nature de l’ouvrage, il en efl de
même de la hauteur du filet ou bordement. On
obfervera feulement- que quand la plaque n’eft
point contre-émaillée, il' faudra qu’elle foit moins
chargée d’émail, parce que l ’émail mis au feu tirant
l’or à fo i, la pièce deviendroit convexe.
Lorfque l’émail ne doit point couvrir toute la
plaque , alors il faut lui pratiquer un logement.
Pour cet effet, on trace fur la plaque les contours
du deffin : on fe fert de la mine de plomb , enfuite
du burin. On champlève tout l’efpace renfermé dans
les contours du deffin, d’une profondeur égale à la
hauteur qu’on eût donnée au filet , fi la plaque
avoit dû être entièrement émaillée.
On chfamplève à l’échope, & cela le plus également
qu’on peut ; c’efl une attention qu’il ne faut
pas négliger. S’il y avoit une éminence , l’émail fe
trouvant plus foible en cet endroit, le verd pourroit
y pouffer. Les uns pratiquent au fond du eham-
plevé des hachures légères & ferrées, qui fe croi-
fent en tous feris ; les autres y font des traits ou
éraflures, avec un bout de lime caffé carrément.
L’ufage' de ces éraflures ou hachures , efl de
donner prife à.l’émail, q u i, fans cette précaution,
pourroit fe féparer de la plaque. Si l’on obfervoit
de tremper la pièce champlevée dans de l’eau
régale affoiblie, les inégalités que fon aélion for-
meroit fur le champlevé, pourroient remplir mer-
veilleufement la vue de l’artifle dans les hachures
qu’il y pratique ; c’efl une expérience à faire. Au
refie, il efl évident qu’il ne faudroit pas manquer
de laver la pièce dans plufieurs eaux, au fortir de
l’eau régale.
Quoi qu’il en foit de cette conjeélure, lorfque
la pièce efl champlevée , il faut la dégraiffer. Pour
la dégraiffer, on prendra une poignée de cendres
gravelées , qu’on fera bouillir dans une pinte d’eau
ou environ, avec la pièce à dégraiffer. Au défaut
de cendres gravelées , on pourroit fe fervir de
celles du foyer , fi elles étoient de bois neuf; mais
les cendres gravelées leur font préférables.
Au fortir de cette leffive , on lavera la pièce
dans de l’eau claire, oîi l’on aiira mis un peu de
vinaigre ; & au fortir de ce mélange d’eau & de
vinaigre, on la relavera dans de l’eau claire.
Voilà les précautions qu’il importe de prendre
fur l’or ; mais on fe détermine quelquefois, par
économie , à émailler fur le cuivre rouge ; alors on
efl obligé d’emboutir tontes les pièces, quelle que
foit la figure qu’elles aient , ronde , ovale , ou
carrée. Les emboutir, dans cette occafion, c’efl les
rendre convexes du côté à peindre, & concaves
du côté à contre-émailler. Pour cet effet, il faut
avoir un poinçon d’acier de la même forme qu’elles,
Svec un bloc de plomb ; on pofe la pièce fur le
bloc ; on appuie deflus le poinçon, & l’on frappe
fur la tête du poinçon avec un marteau. Il faut
frapper affez fort pour que l’empreinte du poinçon
fe taffe d’un feul coup. On prend du cuivre en
feuilles, de l’épaiffeur d’un parchemin. Il faut que
le morceau qu’on emploie foit bien égal & bien
nettoyé ; on paffe fur la furface le grattoir, devant
& après qu’il a reçu l’empreinte. Ce qu’on fe propofe
en l’emboutiffant, c’efl de lui donner de la
force, & de l’empêcher de s’envoiler.
Cela fait , il faut fe procurer un émail qui ne
foit ni tendre , ni dur ; trop tendre , il efl fujet à
fe fendre ; trop dur, on rifque de fondre la plaque.
Quant à la couleur, il faut que la pâte en foit d’un,
beau blanc de lait. Il efl parfait, s’il réunit à ces
qualités la fineffe du grain. Le grain de l’émail
fera fin , fi l’endroit de la furface d’où il s’en fera
détaché un éclat, paroît égal, liffe & poli.
On prendra le pain d’émail , on le frappera à
petits coups de marteau, en le foutenant de l’extrémité
du doigt. On recueillera tous les petits
éclats î dans une ferviette qu’on étendra fur foi ;
on les mettra dans un mortier d’agate,- en quantité
proportionnée au befoin qu’on en a. On verfera
un peu d’eau dans le mortier ; il faut que cette eau
foit froide & pure : les artiftes préfèrent celle de
fontaine à celle de rivière. On aura une molette
d’agate; on_broyera les morceaux d’émail, qu’on
arrofera à mefure qu’ils fe pulvériferont : il ne faut
jamais les broyer à fec. On fe gardera bien de
continuer le broyement trop long-temps. S’il eft à
propos de ne pas fentir l’émail graveleux, foit au
toucher, foit fous la molette , il ne faut pas non
plus qu’il foit en boue : on le réduira en molécules
égales ; car l’inégalité fuppofant des grains plus
petits les uns que'les autres, les petits ne pourroient
s’arranger autour des gros, fans y laiffer des vides
inégaux, & fans occafionner des bulles. Oh peut
en un bon quart-d’heure broyer autant d’émail qu’il
en faut pour charger une boîte. :
Il y a des artiftes qui prétendent qu’après avoir
mis l’émail en petits éclats, il faut le bien broyer
& purger de fes ordures avec de l’eau-forte; le
laver dans de l’eau claire , & le broyer enfuite
dans* le mortier. Mais cette précaution eft fuperflue
quand on fe fert d’un mortier d’agate ; la propreté
fuffit.
Lorfque l’émail eft broyé , on verfe de_ l’eau
deffus; on le laiffe dépofer; puis on décante par
inelinaifon l’eau , qui emporte avec elle la teinture
que le mortier a pu donner à l’émail & à l’eau.
On continue-ces lotions jufqu’à ce que l’eau pa-
roiue pure , obfervant à chaque lotion de laiffer
dépofer l’émail.
On ramaflera dans une foucoupe les différentès
eaux de lotions-, & on les y laiffera dépofer. Ce
dépôt pourra fervir à contre-émailler la pièce , s’il
en eft befoim
Tandis qu’on prépare l’émail, la plaque champlevée
trempe dans de l’eau pure & froide : il faut
l’y laiflér au moins du foir au lendemain ; plus elle
y reliera de temps, mieux cela fera.
Il faut toujours conferver l’émail broyé couvert
d’eau , jufqu’à ce qu’on l’emploie; & s’il y en a
plus de broyé qu’on n’en emploiera, il faut le tenir
couvert d’eau fécondé.
Pour l’employer , il faut avoir un chevalet de
cuivre roüge ou jaune. Ce chevalet n’eft autre
chofe qu’une plaque repliée par fes deux bouts.
Ces replis lui fervent de pieds ; & comme ils font
de hauteurs inégales , la furface du chevalet fera
en plan incliné. On a une fpatule avec laquelle on
prend de l’émail broyé, & on le met fur le chevalet
, où cette portion qu’on en veut employer
s’égoutte d’une partie de fon ea u , qui s’étend le
long des bords du chevalet. Il y a des artiftes qui
fe paffent de chevalet. On reprend peu à peu avec
la fpatule l’émail de deflus le chevalet, & on le
porte dans le champlevé de la pièce à émailler,
en commençant par un bout & finiffant par l’autre.
On fupplée à la fpatule avec un cure-dent ; cela
s’appelle charger. Il faut que cette première charge
rempliffe tout le champlevé, & foit au niveau de
l’o r ; car il s’agit ici d’une plaque d’or. Nous parlerons
plus bas de la manière dont il faut charger •
les plaques de cuivre; il-n’eft pas néceffaire que
l’émail foit broyé pour cette première charge, ni
aufli fin , ni aufti foigneufement que pour une
feconde-
Ceux qui n’ont point de chevalet, ont un petit
godet de faïence dans lequel ils tranfvafent l’émail
du mortier : le fond en eft plat ; mais ils le ‘tiennent
un peu incliné, afin de déterminer l’eau à tomber
d’un côté.
Lorfque la pièce eft chargée, on la place fur l’extrémité
des doigts , & on la frappe légèrement par
les côtés avec la fpatule, afin de donner lieu par
ces petites fecouffes aux molécules de l’émail b royé,
de fe. compofer entre elles , de fe ferrer , & de
s’arranger.
Cela fait, pour retirer l’eau que l’émail chargé
peut encore contenir, on place-fur les bords un linge
fin, blanc & fe c , & on l’y laiffe tant qu’il afpire de
l’eau. Il faut avoir l’attention de le changer de côté:
Lorfqu’il n’afpire plus rien des bords, on y fait un
pli large & p lat, qu’on pofe fur le milieu de l’émail
à plufieurs reprifes ; après quoi on prend la fpatule,'
& .on l ’appuie légèrement fur toute la furtace de
l’émail, fans toutefois le déranger : car, s’il arrivoit
qu’il fe dérangeât, il faudroit l’hume&er de rechef,
afin qu’il fe difpofât convenablement, fans le tirer
du ehamplèvè.
Quand la pièce eft sèche, il faut l’expofer fur des
cendres chaudes, afin qu’il n’y refte plus aucune
humidité. Pour cet effet on a un morceau de tôle
percé de plufieurs petits trous, fur lequel on la place.
La pièce eft fur la tôle, la tôlé eft fur la cendre :
elle- refte en cet état jufqu’à ce qii’elle ne fume plus.
On obfervera feuleriiens.de la tenir chaude jufqu’au