
en affnjettiffant bien le chapeau , le calfeutrant
avec de la cendre, & prenant dans la fuite garde à
ménager fon feu : c’eft pourquoi il faut bien
vifiter la ferpentine & le chapeau , pour voir s’il n’y
a point de trou ; car s’il y en avoit un , quelque petit
qu’il put être, cela cauferoit de la perte par l’écoulement
de l’eau-de-vie, & expoferoit aux accidens
du feu, qu’il faut éviter.
Quand la chaudière eft en bon train, que le baf-
fiot pour la réception de l’èau-de-vie eft bien pofe,
on laiffe venir l’eau-de-vie tout doucement, jufqu’à
ce qu’il n’y ait plus d’efprit fupérieur dans le vin ;
car il faut lavoir que dans le vin il y a trois fortes de
chofes, un efprit fort & fupérieur, un efprit foible
ou infirme, & une partie épaiffe, compare & flegmatique.
L’efprit for* & fupérieur, eft celui qui
forme l’eau-de-vie, qui eft inflammable, évapora-
b le , fort, brûlant, fayoureux, brillant comme du
criftal, qui avec fa force a de la douceur, qui eft
agréable à l’odorat & au goût, quoique violent : cet
efprit, quand le feu le détache par fon aéhvité des
parties groflières qui l’enveloppent, forme une liqueur
extrêmement claire, brillante, vive & blanche
; ce que nous appelions eau-de-vie, la bonne &
forte eau-de-vie.
L’efprit foible & infirme , eft celui qui s’exhale
des parties épaiffes, après que l’efprit fort, comme
plus fubtil, eft forti : cet efprit foible eft aflfez clair, ■
blanc, tranfparent ; mais il n’a pas, comme l’ef-
prit fort, cette vivacité, cette inflammabilité, cette
faveur, ce bon goût & cette bonne odeur qu’a l’ef-
prit fort. Cet efprit n’eft dit foible & infirme, que
parce qu’il eft compofé de quelques parties d’efprit
fo r t, & de parties aqueufes & flegmatiques, lef-
quelles étant fupérieures de beaucoup à celles de
î’efprit fort, l’abforbent & le rendent tel qu’on vient
de le dire; & comme il y a encore dans ce mélange
des particules de l’efprit fort que l’on veut avoir,
& qui feront, comme le pur efprit fort, de bonne
eau-de-vie , c’eft ce qui fait qu’après la bonne eau-
de-vie tirée, on laifle venir jufqu’à la fln cet efprit
foible, pour le repaffer dans une fécondé chauffe.
On appelle cet efprit foible, en terme de fabrication
d’eau-de-vie, la fécondé, c’eft-dire, la fécondé eau»
âe-vie.
La troifièmo partie du v in , qui eft le refte du
dedans de la chaudière, après que ces deux efprits
en font fortis, eft une matière liquide, trouble &
brune, qui n’a aucune propriétépour tout ce qui
regarde l’eau-de-vie : aufïi la laifle-t-on couler dehors
par des canaux faits exprès, où elle fe vuide
par un tuyau de cuivre long d’un pied & de deux
pouces de diamètre, qui eft joint & foudè à la chaudière
fur le côté près^du fond, afin que tout puiffe fe
bien vuider; lequél tuyau eft bien & folidement
bouché pendant toute la chauffe. On appelle cette
derniçre partie du vin , la déchargé, c èft-a-dire,
cette partie groffière qui chargeoit les efprits du
v in , & que le feu a iéparée oc divifée.
On laifle yenir ççttç eap-dç-yie d.ps le bafliot juf
qu’à t e qu’il n’y ait plus d’efprit fort; & pour le
connoître , on a une bouteille de criftal bien tranf-
parente, longue de quatre à cinq pouces, d’un
pouce de diamètre dans fon milieu, & d’un peu
moins dans fes extrémités : on l’appelle une preuve y
parce qu’elle fert à éprouver ; avec laquelle bouteille
on reçoit du tuyau même de la ferpentine,
cette eau-de-vie qui en vient ; on emplit cette bouteille
jufqu’aux deux tiers ; & en mettant le pouce
fur l’embouchure, & frappant d’un coup ou deux
ferme dans la paume de l’autre main, ou fur fon
genou, & non fur une'matière dure, parce qu’on
cafferoit la bouteille, on excite cette liqueur, qui
devient bouillante, & qui forme une quantité de
globules d’air dans le haut de cette liqueur.
C’eft par ce moyen , & la difpofition, groffeur
& ftabilité de ces globules, que les connoiffeurs
favent qu’il y a encore, ou qu’il n’y a plus de cet
efprit fort à venir; & même avant qu’il foit tout
v en u, c’eft-à-dire quand il eft proche de fa fin, ces
globules de la preuve commencent à n’avoir plus le
même oeil v if, la même groffeur, la même difpofition,
& la même ftabilité; & quand tout cet efprit
fort eft venu, il ne fe formé plus ou prefque plus
de globules dans la preuve ; & quoique l’on frappe
comme ci-devant^ elle ne forme plus qu’une petite
écume, qui eft prefqu’auflitôt paffêe qu’apperçue.
Les ouvriers d’eau-de-vie appellent cela , la perte;
ainfi on d it, la chaudière commence à perdre , ou ejl
perdue , c’eft-à-dire, qu’il n’y a plus d’efprit fort &
de preuve à venir : & ce qui vient enfuite eft h
j fécondé.
Quand on veut avoir de l’eau-de-vie très-forte,1
on lève le bafliot dès qu’elle perd; on n’y laifle
entrer aucune partie de fécondé : on appelle cela,
couper à la ferpentine , ou de l’eau-de-vie coupee a U
ferpentine. Et pour recevoiruenfuite la fécondé, on
place un autre bafliot où étoit le premier, qui reçoit
cette fécondé , comme le premier avoit reçu la
bonne eau-de-vie.
Mais comme cette eau-de-vie coupée à la ferpentine
n’eft pas une eau-de-vie de commerce, ou on
ne la demande pas fi forte, quoiqu’on l’y reçoive
bien quand on la vend telle, les brûleurs marchands
vendeurs y laiflent venir une partie de la
fécondé , qui tempère le feu & la vivacité de cette;
première eau-de-vie, ' '1; . . •
Il y a eu dans une province du royaume (l’Au-
nis) où l’on fabrique beaucoup d’eaü-de-yie, des
conteftations au fujet de ce mélange de la fécondé
avec la bonne eau-de-vie, ou de l’eau-de-vie forte}
les acheteurs difoient qu’il y avoit trop de fécondé,
& que cela rendoit l’eau-dé-vie extrêmement foible
au bout de quelques jours, fur-totLt après quelque
* tranfport & trajet fur mer : les vendeurs de leur
côté difoient que non , & qu’ils fabriquoient l’eau-
de-vie comme ils ayoient toujours fait, & que s il y
avoit de la fraude, elle ne venoit pas de leur part :
en forte que cela mettoit dans le commerce deau-
dç-yie des çonteftatiops qui le ruffioient* ÇwM
crioit à la fttauvaife fo i , chacun fe plâîgttoit,
peut-être les deux parties avoient ràifon de fe plaindre
l’une de l’autre. o ' c m *
Sur ces conteftations, & pour rétablir & taire
refleurir cette branche du commerce, le roi, par
les foins & les attentions de M. de Boifmont, intendant
de la province, a interpofé fon autorité; &
par fon arrêt du confeil du io avril 1753 , fa majefté
a ordonné , article Ier, que les eaux-de-vie feront
tirées au quart, garniture comprife, c’eft-à-dire
que fur feize pots d’eau-de-vie forte, il n’y aura que
quatre pots de fécondé. Pour entendre ceci, il faut
fe rappeller ce que l’on a ci-devant dit ; que la forte
eau-de-vie venoit dans le bafliot ; qu’elle étoit forte
jufqu’à ce quelle eût perdu ; que pour favoir ce qui
en étoit venu, & combieritil y en avoit dans le baf-
fiot, on avoit un bâton fait exprès, fur lequel il
y avoit des marques numérotées, qui indiquoient
la quantité de liqueur qu’il y avoit dans le bafliot.
Ainfi , fuppofant qu’en fondant avec le bâton , il
marque qu’il y a dè la liqueur jufqu’au n°. 20, cela
veut dire qu’il y a vingt pots d’eaü-de-vie dans le
bafliot : ainfi, y ayant vingt pots d’eau-de-vie forte,
on peut la rendre & la conferver bonne , marchande
, & conforme à l’arrêt du confeil , en y
laiffant venir cinq pots de fécondé, qui fe mêlant
avec les vingt pots d’éau-de-vie forte, en compo-
fent vingt-cinq : c’eft ce qu’on appelle lever au quart,
parce que le quart de vingt eft cinq, & que l’on ne
-lève le bafliot qu’après que ces cinq pots de fécondé
font mêlés avec les vingt pots d’eau-de-vie
forte : & ainfi, foit qu’il y ait plus ou moins d’eau-
de-vie forte de venue dans le bafliot , on prend le
quart de ce qui eft venu pour la laiffer venir en
fécondé. Ces pots de fécondé font appellés la garniture,
par l’arrêt du confeil.
Lorfque cette eau-de-vie eft venue avec fa garniture
, on lève le bafliot fur le champ pour y.en
placer un autre, afin de recevoir tout le refte de la
fécondé ; & l’on peut dès ce moment vuider ce premier
bafliot, & mettre cette bonne eau-de-vie
dans un tonneau ou futaille, appellée barrique ou*
pièce ; & l’on peut dire qu’il y a dans cette barrique
vingt-cinq pots de bonne eau-de-vie marchande
, & faite conformément aux intentions
du roi.
Cette futaille, pièce ou barrique, doit être fabriquée
fuivant le réglement porté par l’arrêt du
confeil du 17 août 1743, rendu aux inftances de
M. de Barentin, intendant alors de la province ,
qui vouloit foutenir ce commerce , où il voyoit
dès-lors naître des conteftations qui le ruineroient
infailliblement, fi l’on n’alloit.au-devant par l’inter-
pofition de l’autorité fouveraine. Ces futailles doivent
donc'être faites conformément à ce réglement,
pour qu’elles puiffent jauger jufte & velter jufte, en
terme de commerce, ce qu’elles contiennent; ce
que j ’on fait par le moyen d’une jauge ou velte
numérotée & graduée fuivant toutes les propor-
tions géométriques , & approuvée par la police
des lieux, laquelle velte l’on gliffe diaognalement
dans la barrique par la bonde d’icelle.
Il y a pour ce commerce d’eau-de-vie des courtiers
auxquels on peut s’adreffer : ces gens-là font
chargés de la part des marchands commiffionnaires,
ou autres , de l’achat de cette liqueur; & comme
dans les . .conteftations réglées par l’arrêt du confeil
de 1753 , les courtiers avoient été'compris dans
les plaintes refpeétives., le roi par fon édit a établi
dans la ville de la Rochelle des agréeurs , pour
l’acceptâtiQp & pour le chargement des eaux-de-
vie : enforte que fur le certificat des agréeurs à l’acceptation
, les eaux-de-vie font réputées bonnes ;
& fur le certificat des agréeurs au chargement,
les eaux-de-vie ont été embarquées & chargées
bonnes, & cela afin de faire ceffer les plaintes
des marchands commettans des provinces éloignées,
qui fe plaignoient qu’on leur envoyoit de
l’eau-de-vie trop foible.
C ’eft ainfi que fe fabrique & fe commerce l’eau-
de-vie , qui a -un flux & reflux continuel dans le prix.
Comme l’on veut conferver tout ce qui eft efprit
dans le vin que l’on brûle, on fait l’épreuve à la
fin de la chauffe, pour favoir s’il y a encore quelque
efprit dans ce qui vient de la chaudière ; & pour
cela l’ouvrier brûleur reçoit du tuyau de la fepen-
tine dans ,un petit vafe, un peu de la liqueur qui
vient; & une chandelle flambante à la main, il
verfe de cette liqueur fur le chapeau brûlant de la
. chaudière, & préfente la flamme de la chandelle au
courant de :cette liqueur verfée : fi le feu y prend,,
& qu’il y ait encore quelque peu de flamme bleuâtre
qui s’élève, c’eft une marque qu’il y a encore
de l’efprit dans ce qui vient, & on attend qu’il n’y
en ait plus. Quand la flamme de la chandelle n’y
prend point, ce n’eft plus qu’un flegme inutile r
alors on lève- le chapeau de la chaudière, & on
laiffe échapper par le tuyau qui eft au bas de la
chaudière , toute la décharge , c’eft-à-dire, toute
cette liqueur groffière, impure, & inutile qui refte
dans la chaudière, qui s’écoule dehors ,. ou dans
des trous ou foffés faits exprès, où elle fe perd dans
les terres ; après quoi on recharge la chaudière avec
de nouveau v in , on y met la fécondé, que l’on a
reçue, & on fait la chauffe comme la première fois.
Il faut vingt-quatre heures pour les deux chauffes ;
la fimple & la double.
Lorfque l’on a deux chaudières, on les accolle
l’une contre l’autre ; mais il faut autant de façon
à chacune , c’eft-à-dire, il faut ..les mêmes uften-
files, un fourneau à part, une cheminée à part, &
une conduite & un gouvernement à part. Si on a
plufieurs chaudières, on peut les conftruire dans le
même endroit, mais toujours chacune doit être
garnie de fes •uftenfiles particuliers.
Procédé pour tirer de l’eau-de-vie du marc des rai fins»
Voici le procédé que l’on fuit dans la partie de
la Suiffe qui produit du v in , pour tirer l’eau-de-viQ
du marc des raifins.