VOYAGE
lui paraissait très-difficile d’obtenir désormais de leur
part aucun renseignement satisfaisant. Ce qu’il y
avait de plus fâcheux, c’est que M. Gaimard revenait
de son voyage avec des furoncles très-douloureux
, accompagnés d’une fièvre assez violente. Toutefois
, chacun de nous pensa que son mal n’aurait
point de suite, et qu’il avait été occasioné uniquement
par les désagrémens et les privations qu’il avait
essuyées durant son séjour avec les sauvages
A la vue des débris rapportés par la chaloupe,
nul de nous ne douta qu’ils n’eussent appartenu aux
frégates de Lapérouse. Toutefois , pour écarter toute
imputation d’avoir cédé aux illusions d’une imagination
prévenue, je rassemblai toutes les personnes de
l’état-major de F Astro la b e, et leur demandai tour à
tour quelle était leur opinion touchant cet événement.
Toutes déclarèrent d’une voix unanime qu’à leurs
yeux le naufrage de Lapérouse sur les brisans de
Vanikoro leur paraissait un fait établi, et qu’ils étaient
convaincus que les objets rapportés par la chaloupe
en étaient les restes.
Alors je leur fis part du projet que j ’avais depuis
long-temps conçu, d’élever à la mémoire de nos infoi’-
tunés compatriotes' un mausolée modeste , mais qui
suffirait du moins pour attester notre passage à Vanikoro,
nos efforts et l'amertume de nos regrets, en
attendant que la France pût un jour y consacrer un
monument plus durable et plus digne de sa puissance.
Cette proposition fut reçue avec enthousiasme, et
« Voyez note i i .
DE L’ASTROLABE. î s 7
chacun voulut concourir à l’érection du cénotaphe.
Sans doute, nous eussions désiré le placer à Païou
meme, le plus près possible du théâtre du naufrage et
du lieu où se réfugièrent les malheureux qui purent
échapper à la première catastrophe; mais l’exécu-
Uon de ce projet à une distance aussi considérable du
navire, et hors de sa protection, eût entraîné des
difficultés insurmontables et de grands dangers. En
o u tre , notre mausolée, placé à Païou, n’eût point été
en vue des navigateurs destinés à nous suivre à Vanikoro.
Tout bien considéré, nous arrêtâmes qu’il serait
placé au milieu d’une touffe de mangliers situés sur le
recif qui cerne en partie notre mouillage du côté du
nord. Sur-le-champ, accompagné de plusieurs officiers,
je descendis sur le récif, je désignai le local que
Ion commença à déblayer, et je chargeai 31. Lottin
de la surveillance particulière des travaux relatifs au
mausolée. Sa forme devait être celle d’un prisme qua-
drangulaire de six pieds sur chaque arête , surmonté
par une pyramide quadrangulaire de même dimension.
Des plateaux de corail, contenus entre quatre pieux
solides fichés en te rre , devaient former le corps de
l’édifice, et sa cime était recouverte par un chapiteau
en bois peint. ,Ie destinai à cet emploi les planches de
koudi, achetées l’année précédente à Korora-Reka.
Je donnai l’ordre de n’employer ni clous, ni fe rru re s,
pour assembler ces pièces, afin de n ’offrir aux naturels
aucun objet qui pût les porter à détruire notre ouvrage,
pour satisfaire leur cupidité.
1828.
Mars.