où il élève sa famille et doit finir ses jours; il souffre en pas-
.sant parmi d’autres terres cultivées à la hâte, pour rendre le
plus possible, par des espèces d’aventuriers, débarqués avec la
cape et Vépée, et ne sachant où donner de la tête. Faire leur
fortune et s’en aller est le but auquel ils tendent. Avec de tels
hommes, quel doit être le sort des esclaves? Je l’ai souvent dit
aux personnes que je fréquentais : Pourquoi, messieurs les
créoles, vrais babitans, ne cherchez-vous pas dans vos réunions
a vous distinguer de ceux qui ne viennent chez vous qu’en
passant, puisque vous faites des distinctions et que Port-Louis
a deux cercles? car, dans mon opinion, pour les agrémens de
la société, il serait mieux de ne point en établir.
Du reste, les Anglais et les Français ne se voient point; il
règne entre eux une sorte d’antipathie entretenue encore par la
différence des usages. Il est quelques exceptions pour ces heureux
caractères qui appartiennent plutôt au monde civilisé
qu’à telle ou telle nation. Je citerai à cette occasion M. Tel-
fair, ancien médecin en chef des armées navales anglaises,
qui réunit indistinctement chez lui des membres des deux
partis.
J’ai trouvé qu’à Maurice les mariages se contractaient bien
légèrement. Cela ne tiendrait-il point à la facilité qu’on a de
divorcer? On a vu des unions se faire avec des étrangers arrivés
depuis quelques mois, un mois, quinze jours, huit jours;
on me l’a assuré. Il est résulté de cette légèreté, dans une chose
aussi grave, des séparations, des délaissemens et un cas de
bigamie.
Le luxe de la table et des vêtemens pour les femmes est
poussé au plus haut point, et en raison des forts appointemens
des employés et de la richesse commerciale. L’Ile-de-France
sous ce rapport, ainsi que pour les manières et le bon ton, ne
peut être comparée qu’à la bonne société de Paris. La musique
fait le charme de toutes les sociétés; il n’y a point de maison
sans harpe ou piano, et je conseillerai à tout jeune homme qui
veut aller à l’IIe-dc-France d’apprendre cet art d’agrément;
c’est la meilleure lettre de recommandation qu’il puisse se
procurer.
Depuis notre dernier voyage à Port-Louis, car c’est la troisième
fois que j’y viens, il a fait de grandes pertes dans les personnes
de M. Mallac, digne de l’Académie française; M. Arri-
ghi était connu pour la bonté de son caractère ; M. Pitot était
l’ornement de la colonie. [Il ne sortait rien que de sage et de
sensé de la bouche de cet homme, mort jeune, et qui était au.ssi
poëte. Je crois qu’il ne reste plus de remarquable de cette
charmante société de la Table-Ovale, que MM. d’Épinay. Mais
il serait possible qu’à cette lueur de littérature locale en succédât
une autre tout aussi intéressante dans les sciences. Deux
jeunes habitans, MM. Desjardins et Bouton, animés d’un grand
zèle pour l’histoire naturelle, font tous leurs efforts pour créer
une société qui recueillît toutes les productions de cette intéressante
île, et les fit connaître par un bel ouvrage qui serait
comme un monument de ce que peuvent produire scs habitans.
Je ne doute pas qu’on ne vît réunis ensemble le talent de
l’observation et tout le brillant de l’imagination ; ce qui est
très-rare.
D’après l’obligeant usage dont j’ai parlé au commencement
de ce chapitre, mon ami Gaimard, en réunion chez le gouverneur,
fut invité, ainsi que moi, par M. Desjardins, à aller
passer quelques jours à la campagne dans le quartier de Flacq.
Nous ne nous connaissions point, seulement M. Desjardins
nous avait vus quelquefois à DAcadémie des Sciences à Paris.
En allant à l’habitation, nous déjeunâmes au bord de la rivière
du Rempart, dans le même lieu où M. Bory de Saint-
Vincent a écrit en avoir fait autant il y a vingt-six ou vingt-
sept ans. A 1 ombre des palmiers ra^a, dont les fruits pendent •
en longues guirlandes, nous bûmes à la santé et au bonheur
de ce voyageur.
Sans queje fusse précisément malade, ma santé était encore bien
affaiblie. Je ne pouvais faire une lieue à pied sans être excédé
de fatigue; aussi je me proposais dans la demeure de M. Ma