« Une de ces femmes, qui s’était attachée durant
plusieurs années à un marin d’une famille h onnête,
mais d’un caractère léger et aventureux, s’étant un
jo u r écartée, avec son enfant au sein, de la société de
pêcheurs avec qui elle vivait, tomba par hasard au
milieu d’une troupe de naturels. Ceux-ci se jetèrent
sur elle, la menacèrent de la maltraiter, arrachèrent
son enfant de ses bras et le jetèrent dans un grand
brasier. Cet affreux spectacle anima la pauvre femme
d ’un courage surnaturel. Avec la rapidité de l’éclair,
elle s’élança à travers la horde de barbares qui l’environnaient,
arracha sur-le-champ son enfant du milieu
des flammes, et s’enfuit dans les bois de la rive opposée
en l’emportant dans ses bras. Les sauvages la poursuivirent
, mais la frayeur jointe à la tendresse maternelle
lui donna des ailes, elle échappa à ses oppresseurs,
et favorisée par les ombres de la nuit, elle
réussit à se cacher ainsi que son enfant derrière le
tronc épais d ’un arbre abattu. Les naturels la cherchèrent
long-temps, mais n ’ayant pu la trouver , ils
retournèrent près de leur feu et finirent bientôt par se
coucher et s’endormir. La pauvre femme s’en étant
aperçue, et voyant qu’elle pouvait se retirer sans
crainte, quitta tout doucement sa cachette, et prenant
la fuite, avant le jour elle atteignit la ville de Launcesto
n , éloignée de dix milles environ. L à , elle trouva
un asile agréable chez un gentleman et sa dame qui
avaient déjà eu la complaisance de se charger de la
fille aînée de cette femme. Cette derniè re, qui est aujo
u rd ’hui une belle fille de onze anS environ, avait
eu pour père un Anglais de Van-Diemen’s-Land. On
lui a donné le nom de miss Dalrymple , et, comme
tous les enfans qui résultent du commerce des naturels
avec les Européens, elle est fort jolie; son teint
est légèrement cuivré, ses joues sont rosées ; ses yeux,
grands et noirs, ont le blanc légèrement azuré, et les
paupières longues et bien dessinées ; ses dents sont
excessivement blanches et ses membres admirablement
bien formés. Sa pauvre mère, par suite de l’aventure
que l’on vient de conter, souffrit grièvement de
la fatigue, ainsi que des blessures qu’elle s’était faites
en se précipitant dans le feu pour sauver son enfant;
l’enfant lui-même avait été si maltraité, qu’il s’ensuivit
une inflammation qui le mit à deux doigts du tombeau.
»
Il arrive souvent que les pêcheurs, occupés de
leur tâche, sont obligés de laisser pour quelques jours
leurs compagnes derrière eux. En ces occasions , ces
tendres créatures adressent une espèce de chant à
leur divinité imaginaire, pour attirer sur leurs maris
ou sur leurs protecteurs la bénédiction divine, et surtout
pour leur procurer un retour heureux et prompt.
« Ce chant, dit M. Jeffreys, est accompagné d’un
genre d’action assez agréable, et récité avec des in-
tonnations qui ne manquent point de grâce : la pureté
de leur voix , la douceur des n o te s, leur cadence
assez juste, et leur précision parfaite, forment une
espèce d’harmonie que l’oreille la plus délicate ne
saurait entendre sans plaisir. »
Nous répéterons ici que ces sauvages évitent toute