VOYAGE
ailleurs. Mais cela ne faisait nullement mon compte,
et je n’avais précisément besoin de ses services que
pour Vanikoro; partout ailleurs il me devenait beaucoup
plus gênant qu’utile.
Huit heures et demie venaient de sonner, Bushart
n’arrivait p a s , et je ne voyais même aucune pirogue
cheminer de notre côté. Je m’informai des raisons qui
pouvaient le retenir ; les Anglais du Harriet me répondirent
que les chefs qui se trouvaient à bord lui
avaient dit que Bilo ( nom vulgaire donné par les naturels
à B u sh a rt, de Bill son nom de baptême en anglais
) ne viendrait p a s , attendu qu’il était malade ;
mais les Anglais ne me laissèrent pas ignorer que la
véritable raison était que son chef direct, le second
ariki de Tikopia, s’opposait à son départ, pour ne pas
voir sortir de l’île les effets et les armes que cet Européen
possédait.
J e fus indigné à l’idée que les naturels pouvaient
retenir malgré lui Bushart sur leur île, et je résolus
de lui rendre la liberté par un acte d’autorité. Après
avoir signifié d’un ton sévère aux chefs qu’aucun d’eux
ne retournerait à Tikopia, avant que Bilo se fut
lui-même présenté à bord, j ’expédiai sur-le-champ la
yole sous les ordres de M. Guilbert, avec la mission
de ramener Bushart.
Bien que la crainte se montrât sur leurs tra its, les
chefs déférèrent sans peine à ma volonté, et, pour
mieux me prouver leur bonne foi, ils consentirent à
renvoyer leurs pirogues à terre, en restant eux-mêmes
à bord au nombre de vingt-cinq ou trente naturels.
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Une brise très-faible du N. E. régnait et ne suffisait
pas pour me soutenir contre le courant cjui m’éloignait
peu à peu de l’île. J ’ai mis ce retard à profit, en
observant plus attentivement nos h ô te s, et en adressant
de nouvelles questions sur leur compte aux Anglais.
L’île entière de Tikopia ne contient que quatre ou
cinq cents babitans distribués sous l’autorité de quatre
chefs, dont le premier porte le titre à'Ariki Tabou;
les prérogatives de leur charge consistent particulièrement
dans les droits du Tabou et dans les tributs
sur la pêche que le peuple leur paie. En oulre il y a
un p rê tre , qui vint à bord et me fit un présent semblable
à celui des chefs.
Les hommes du peuple n’abordent ces chefs qu’ac-
croupis, et ils sont obligés de se prosterner devant
eux. Les chefs eux-mêmes, en se présentant devant
moi, parurent fort émus ; ils me prirent la main droite
et appliquèrent leur nez sur le dos de cette main. Les
babitans de Vanikoro donnèrent aux naufragés le nom
de M a ra , et dès qu’ils surent qne nous étions de la
même nation, ceux de Tikopia nous donnèrent le
même nom, jusqu'a ce qu’ils connussent celui de
Franki. Un des arikis, et c’était celui de Bushart,
souffrit cruellement du mal de mer; fait assez remarquable
chez des hommes habitués à passer leur vie
dans l’eau !...
Les naturels nous avaient apporté ce matin quelques
poissons volans ; mais à la vue d’une murène que
M. Quoy avait déposée sur le cabestan, ils s’écartè-
1828.
Février.
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