1828.
Octobre.
Pl.
un luxe que les plus hautes fortunes soutiendraient
difficilement en France, s’exhaler en plaintes amères
sur leur situation, et verser des larmes de sang sur
la nécessité qui les soumet au joug de l’Angleterre. J e
doule pourtant que, sous le gouvernement français,
ils pussent jouir d’une liberté aussi complète, et que
leur situation commerciale fût aussi florissante.
A sept heures et demie du matin, MM. Depinay
frères sont venus me chercher à bord de l’Astrolabe,
et m’ont conduit dans leur voilure vers le quartier
des Pamplemousses. Là nous avons déjeuné chez
M. Blackburn, grand-juge de la colonie, homme ins-
ccxxviii. (mit el d’une très-agréable société. Nous avons ensuite
visité le beau jardin de la colonie, qui fut naguère si
florissant sous les soins de M. Géré, et dont Péron
traça une description si brillante. Il a bien déchu
depuis cette époque; cependant le directeur actuel,
M. Neuman, se donne beaucoup de peine pour le remettre
dans un état prospère. J ’ai admiré la singulière
plante nommée Stratiotesfeneslrata. Le Lodoi-
cea des îles Séchelles y vient aussi, mais rabougri, et
ne porte jamais de fruils.
Le soir nous nous rendîmes à Beaa-Séjour, jolie
campagne habitée par M. Desfonlaines, beau-frère de
M. Depinay, qui nous donna l’hospitalité pour la
nuit. Cette habitation est située dans la plus agréable
exposition ; elle domine toute la partie septentrionale
de l’île, les récifs et les îles du large. On me montra
la passe du Sainl-Géran, ainsi nommée du navire qui
y fit naufrage. M. Adrien Depinay nous fit observer.
et j ’avais déjà vu ce fait consigné quelque part, qu’une
personne périt effectivement dans ce naufrage pour
avoir refusé de quitter ses vêtemens; ce ne fut point
l’aimable et chaste Virginie, mais bien un homme,
ce qui était beaucoup moins romantique.
Tout en rendant justice au talent de Bernardin de
Saint-Pierre, comme écrivain, les colons de Maurice
lui reprochent d’avoir à chaque instant blessé dans
son drame les règles de la vraisemblance, en employant
maladroitement divers noms de localités. Ils
ne peuvent pas surtout lui pardonner ses déclamations
philanthropiques en faveur des esclaves ; ils rappellent
qu’il se montrait tout aussi exigeant envers eux
que le plus difficile des colons, lors de son séjour
dans l’île : à tel point qu’aucun habitant n ’était disposé
à lui confier ses esclaves, tant il prenait peu de
soin d’e u x , et les chargeait de fardeaux accablans
dans ses courses.
A sept heures du matin , nous avons quitté Beau-
Séjour pour nous rendre à l’Amitié, habitation de
M. Edouard P ito t, fort agréable et très-bien tenue.
Nous avons encore été accueillis en cet endroit avec
cette aimable cordialité, qui a rendu de tout temps
le séjour de THe-de-France si enchanteur pour les
étrangers. Dans le cours de la conversation, j’ai
appris que M. de Lapérouse avait épousé dans cette
colonie, en 1784, mademoiselle Broudou, et l’avait
emmenée en France à son retour de la Chine, lorsqu’il
commandait la frégate la Seine. A son retour
de son voyage autour du monde, il devait aussi em-
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