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■M
1828.
Juillet.
le résidenl veut faire passer quelque ordre à un chef,
il charge un de ses pions de porter sa canne avec
l’ordre verbal ou par écrit : à la vue seule de ce signe
redoutable de l’autorité, le pauvre insulaire s’empresse
d’obéir, comme s’il était en présence même du
superbe Européen. Quoique ces hommes soient très-
paresseux, et que leur principal bonheur, comme
celui des lazzaroni de Naples, consiste à ne rien
faire quand ils sont une fois rassasiés, l’influence
des Hollandais a obtenu d ’eux de cultiver le riz et
le ca fé, dont ils fournissent annuellement une certaine
quantité à la Compagnie à un taux fixé par elle.
M5I. Merkus et Pietermat me racontaient ce fait
comme un des plus beaux résultats de la conquête.
Je les écoutais en silence, mais je pensais en tnoi-
meme quil avait fallu sans doute bien des violences
et bien des vexations pour contraindre ces insulaires
à un travail réglé, et je ne pensais pas qu’il y eût beaucoup
de profit pour ceux-ci à cultiver des produits
dont leurs vainqueurs s’étalent arrogé le monopole.
Ces réflexions me prouvaient que là aussi quelques
individus abusaient de leur supéiiorité pour s’approprier
les fruits des sueurs et des fatigues de plusieurs
milliers de leurs semblables. C’est, il est vrai, la triste
histoire du genre humain sur presque tous les points
du globe; mais l’homme qui a une ame s’afflige toujours
d’en rencontrer des preuves nouvelles.
A Paoun-Nereng nous étions à dix milles de Manado
et a mi-chemin environ de ce dernier lieu au but
de notre voyage. Peu après avoir quitté Paoun-Neren
g , nous entrâmes dans d’épaisses et sombres forêts
que la main de l’homme n’a touchées que pour y
frayer la largeur de la route. Les arbres gigantesques
qui peuplent ces forêts, les arbrisseaux, et les plantes
plus faibles qui croissent sous leur ombrage, me
rappelaient parfaitement la végétation de la Nouvelle-
Guinée; il ne parait pas qu’il existe de différence notable
entre Célèbes et celte contrée, soit pour les productions
du so l, soit pour la température, soit même
pour les oiseaux. Ceux-ci seulement m’ont semblé
plus rares et moins variés dans leurs espèces qu’à la
Nouvelle-Guinée, tandis qu’au contraire les mammifères
offrent déjà près de Manado de grandes races
qui paraissent être étrangères aux terres des Papous,
comme le babiroussa et le sapi-outang.
Oulre le palmier-sagouer ou gomotou [sagaerus
gómalas Rumph.) d’Amboine, ces forêts produisent
en abondance un superbe palmier épineux seulement
au sommet et aux aisselles des feuilles. 11 ressemble
beaucoup au sagoutier, mais son tronc, haut de trente
à quarante pieds, est n u , lisse, trè s-d ro it, et surmonté
par une belle touffe de feuilles comme le dattier.
On remarque encore un bel aréquier, dont la
cime élancée atteint souvent soixante et quatre-vingts
pieds d’élévation, et ressemble singulièrement à celle
du cocotier. Le lingoa ou pterocarpus se rencontre à
chaque p a s , ainsi que le varingni, arbre sacré des
Javans. C’est, je pense, la même espèce de ficus que
celle dont nous avons signalé un individu monstrueux
à Tonga-Tabou, oû il est aussi l’objet d’une
1828.
Juillel.