18 2 7 .
Décembre
^ VOYAGE
le sont beaucoup d ’officiers du commerce dans sa
nation, et curieux sans doute de développer tout son
talent aux yeux des étrangers, s’obstina à conduire
immédiatement la corvette au mouillage, assurant
que nen ne lui serait plus facile. Comme notre gréement
et notre voilure étaient en fort bon é ta t, et que
je pouvais compter dessus, je laissai M. K e llj maître
de la manoeuvre. Il couvrit la corvette de toile, et
de temps à autre elle donnait une bande très-consi-
erable, son plat-bord de dessous le vent entrait
meme quelquefois dans l’eau. Toutefois ses efforts
furent mutiles; à onze heures du soir, nous n ’avions
pas gagné la valeur d’un mille dans le vent, après
avoir couru une vingtaine de bordées, et il fallut
laisser tomber l’ancre près de la rive occidentale du
fleuve, par [quatorze brasses fond de vase, et à trois
milles au S. E. de la ville.
Le pilote Mansfield, ayant appris que notre mission
avait pour objet de faire des découvertes et des explorations
dans la mer du Sud, me demanda si j ’avais eu
des nouvelles de M. de Lapérouse. Sur ma réponse
négative, il m’apprit d’une manière confuse que le
capitaine d’un navire anglais avait dernièrement trouvé
les restes du vaisseau de M. de Lapérouse, dans une
des des de l’Océan-Pacifique, qu’il en avait rapporté
des débris, et même qu’il avait ramené l’un des matelots
de cette expédition, qui était Prussien d’origine. Il
ajoutait que ce capitaine marchand, renvoyé par le
gouverneur du Bengale pour aller chercher les autres
naufrages, avait touché à Hobart-Town, six mois
DE L’ASTROLABE. 9
avant mon arrivée, et que le Prussien en question se
trouvait encore à son bord.
Ce r é c it, fait d’une manière peu correcte, ne me
parut d’abord qu’un conte fait à plaisir et devant être
relégué au rang de tous ceux qui, depuis une quarantaine
d’années , s’étaient succédés sur le compte de
M. de Lapérouse. Toutefois le ton d’assurance du
pilote m’engagea à questionner M. Kelly sur cet objet.
Cet officier, qui avait jadis commandé des navires de
commerce, et qui ne manquait pas d’une certaine ins-
Iruction dans son métier, reprit d ’une manière plus
claire et plus positive le récit du pilote.
J appris alors que M. Dillon, capitaine d’un petit
bâtiment du commerce, avait effectivement trouvé à
Tikopia des renseignemens assurés sur le naufrage de
Lapérouse a Yanikoro, et qu’il avait rapporté une
poignée d ’épée qu’il supposait avoir appartenu à ce
eapitaine. A son arrivée à Calcutta, M. Dillon avait
fait son rapport au gouverneur de la colonie, et celui-
ci l’avait renvoyé avec un navire armé aux frais de la
compagnie des Indes, afin de visiter le lieu même du
naufrage et de recueillir les Français qui pouvaient
avoir survécu à cette catastrophe. M. Kelly ajoutait
qu’il connaissait personnellement M. Dillon, et qu’il
avait une pleine et entière confiance en ses dépositions.
On doit juger avec quel intérêt j’écoutais ces rapports.
Il était enfin soulevé, le voile qui avait si longtemps
couvert la tragique destinée de Lapérouse et
de ses compagnons. Un heureux hasard avait mis