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 1828. 
 Mars. 
 funeste événement, et à ceux, qui, plus jeunes, paraissaient  
 avoir plus d’intelligence,  être doués d’une mémoire  
 plus lucide, et parla susceptibles d’avoir mieux  
 retenu  ce  qu’ils  avaient  appris  de  la  bouche de leurs  
 pères. 
 Dans ma  narratio n ,  j’ai  donné  les résultats  de  ces  
 divers entretiens,  et  l’on  a vu qu’au  nombre  des premiers  
 figurent Valiko , premier chef du village de Vanikoro  
 ,  un  chef  très-âgé  de Manevai,  et Moembe,  
 chef  religieux  du  même  village.  Parmi  les  autres,  
 les plus remarquables  ont été Tangaloa et Kava-Liki,  
 jeunes  chefs très-intelligens ,  qui  se disaient  avec  orgueil  
 issus d’un  père de Tikopia et d’une  mère de Vanikoro  
 ,  origine  qui  les  rapprochait  de  la  vraie  race  
 polynésienne. En  comparant,  analysant  et  discutant  
 leurs  différens  ré c its ,  voici  la  version  la  plus  vraisemblable  
 que j ’ai pu  adopter. 
 A la suite  d’une nuit très-obscure,  durant  laquelle  
 le vent  du  S.  E.  soufflait  avec  violence,  le matin  les  
 insulaires  virent tout-à-coup sur la côte méridionale,  
 vis-à-vis le district  de Tanema,  une immense  pirogue  
 échouée.sur les récifs.  Elle  fut promptement démolie  
 par  les  vagues,  et  disparut  entièrement  sans  q u ’on  
 en  pût  rien  sauver par  la suite.  Des  hommes  qui  la  
 montaient, un petit nombre seulement put s’échapper  
 dans  un  canot et  gagner  la terre.  Le jo u r  suivant,  et  
 dans  la matinée  au s si,  les  sauvages  aperçurent  une  
 seconde pirogue,  semblable  à  la  première,  échouée  
 devant  Païou.  Celle-ci  sous  le  vent  de  l’ile,  moins  
 tourmentée  par le vent et  la mer,  d’ailleurs assise  sur 
 un fond régulier de douze ou quinze pieds,  resta longtemps  
 en place  sans  etre  détruite.  Les  étrangers  qui  
 la montaient  descendirent  à Païou ,  où ils  s’établirent  
 avec  ceux  de  l’autre  navire,  et  travaillèrent  sur-le-  
 champ à construire  un  petit  bâtiment  des  débris  du  
 navire qui n ’avait point  coulé. 
 Les  Français,  que les  naturels nommèrent Mar'as,  
 fu re n t,  disent-ils,  toujours  respectés  p a r le s   indigènes  
 , et ceux-ci  ne  les  approchaient  qu’en  leur baisant  
 les mains, cérémonie qu’ils ont souvent pratiquée  
 envers les  officiers  de  l’A s ird a b e  durant surelàche.  
 Cependant  il  y eut  de  fréquentes rixes ,  et  dans  une  
 d entre  elles  les  naturels  perdirent  plusieurs  guerriers  
 dont  trois chefs,  et il y  eut  deux  Français tués.  
 Enfin,  après six  ou sept lunes de travail,  le petit bâtiment  
 fut terminé, et tous les étrangers quittèrent file,  
 suivant l’opinion  la  plus répandue. Quelques-uns ont  
 affirmé  qu’il  resta  deux  Maras,  mais  qu’ils  ne vécurent  
 pas  long-temps. A  cet  égard il  y a peu  de  sujets  
 de doute,  et leurs dépositions  unanimes attestent qu’il  
 ne  peut  exister  aucun  Français  ni  à Vanikoro,  ni  à  
 Toupoua, ni même à Nitendi,  ou dans les îles voisines.  
 Quant aux  crânes  des malheureux  Français  qui  succombèrent  
 sous  les coups  de  ces sauvages,  il est  probable  
 que ceux-ci les ont  long-temps conservés comme  
 des  trophées  de  leur  victoire;  mais,  s’ils  les  possédaient  
 encore  à l’époque  de notre  arrivée,  il est vraisemblable  
 qu’ils  se  seront empressés de les  cacher en  
 heu sûr pour les soustraire à toutes nos  perquisitions. 
 Tout  nous  porte  à  croire  que  Lapérouse,  après 
 1828. 
 Mars.