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 ou quatre jours.  M.  Gressien,  qui observait depuis  le  
 matin  leurs mouvemens,  avait  cru voir  les guerriers  
 des  deux tribus  se réunir sur la plage,  et  avoir entre  
 eux une longue conférence. 
 De pareilles manoeuvres  annonçaient les  plus  perfides  
 dispositions , et je jugeai  que  le  danger était imminent. 
   A  l’in s tan t, j’intimai  aux  naturels  l’ordre  de  
 quitter  la corvette et  de rentrer  dans  leurs pirogues.  
 Ils eurent l’audace  de me regarder d’un air  fier et menaçant  
 ,  comme  pour me défier de  faire  mettre  à exécution  
 mon  ordre. Je me  contentai  de  faire  ouvrir la  
 salle d’armes ordinairement fermée  avec soin,  et  d’un  
 front  sévère je   la montrai  du  doigt  à mes  sauvages,  
 tandis que  de  l’autre je désignais leurs  pirogues ; l’aspect  
 subit  de  vingt  mousquets  élincelans,  dont  ils  
 connaissaient la  puissance,  les  fit tressaillir,  et nous  
 délivra  de leur sinistre présence. 
 11 est plus essentiel qu’on ne pense de contenir  ces  
 hommes  grossiers  par  la  seule  te rreur  des  armes  à  
 feu ;  elle  est  presque  toujours  plus  salutaire  pour  
 l’Européen que  leur  effet même.  La  vue  seule  d’un  
 pistolet- pourra mettre en  fuite vingt sauvages,  tandis  
 qu’ils  seraient  capables  de  se  ru er  comme  des  bêtes  
 féroces  sur  un  détachement  entier  qui  viendrait  de  
 faire feu sur  eux. 
 Du reste, nous venions, pour ainsi dire,  de rompre  
 la  paille avec  ces  barbares,  et  notre  départ  devenait  
 plus  indispensable que jamais.  J ’exhortai  donc l’équipage  
 à redoubler de courage  et d’efforts,  et je pressai  
 le  moment  de l’appareillage,  autant  que  le  permettaient  
 mes  faibles moyens.  Les  malades  eux-mêmes  
 prêtèrent  leurs  débiles  mains  à  l’ouvrage,  et  nous  
 pûmes  enfin  élonger  une  ancre  à je t  dans  l’E .,  par  
 trente brasses  de fond;  quoiqu’elle fût surjâlée, nous  
 fumes assez heureux  pour  qu’elle  tînt ju sq u ’au bout. 
 Ce  fut  donc  sur  ce  frêle  appui  q u e ,  le  17  mars  
 1828,  à onze heures  quinze minutes  du matin,  /’Astrolabe  
 déploya  ses  voiles  et  prit  définitivement  son  
 essor pour quitter Vanikoro.  Nous  serrâmes  d ’abord  
 le  vent le  plus  près  qu’il  nous  fut possible,  avec  une  
 bonne brise d’E.  S.  E.  assez  fraîche  ;  puis nous  laissâmes  
 porter sur la passe ;  mais  au moment même où  
 nous  donnions  dans  l’endroit le plus scabreux,  celui  
 où elle est semée d ’écueils,  un grain subit vint un moment  
 borner notre  horizon à  un rayon  de  soixante  à  
 quatre-vingts toises. 
 Accablé par la fièvre, je pouvais à peine me soutenir  
 pour commander la manoeuvre,  et mes yeux affaiblis  
 ne  pouvaient  se  fixer  su r  les  flots  d ’écume  qui  
 blanchissaient les deux bords  de la passe. Mais je fus  
 secondé  par  l’activité  des  officiers,  surtout par l’assistance  
 de M.  Gressien,  que j’avais chargé de diriger  
 notre route.  Il nous servit de pilote,  et le fit avec tant  
 de sang-froid,  de  prudence et d ’habileté,  que la corvette  
 franchit sans  accident la passe  étroite et difficile  
 par où nous  devions gagner  le  large.  Ce moment décidait  
 sans retour du sort de l’expédition,  et  la moindre  
 fausse  manoeuvre  la  jetait  sur  des  écueils  d ’où  
 rien  ne  pouvait  la  retirer.  A u ssi,  malgré  notre détresse, 
   après quelques minutes  d ’une pénible anxiété, 
 TOME  V . 
 18 28 . 
 Mars. 
 il