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1S28. On sait qu’à l’Ile-de-France on nomme en général
22 Oclobre. ijè d e s Ics jcuncs feuilles de diverses plantes cuites
dans un jus de viande. Les créoles aiment beaucoup
ce mets, et j’avoue que j ’y pris goût sur-le-champ.
Les brèdes les plus communes sont celles qui se font
avec les jeunes pousses du solanam nigriim ou du
solanum villosum, plantes que l’on croit en général
malfaisantes en Europe. Les noirs mangent avec délices
les brèdes de cleome p en taph ylla, que leur
odeur fétide a fait nommer brèdes caga.
On m’avait souvent assuré qu’on pouvait faire de
très-bonnes brèdes avec les jeunes pousses de la fougère,
que les naturalistes nomment asplénium nidus-
avis, et qu’à Maurice on appelle langue de boeuf;
cependant je n ’avais eu aucune occasion d’en goûter.
J ’avais prié vivement Adam de me mettre à même
d ’en juger; il envoya un de ses noirs dans la forêt, et
au dîner on servit des brèdes de langue de boeuf,
et même une salade de ces feuilles. J ’ai trouvé ces
deux mets excellens, et j ’ai regretté singulièrement
de n ’avoir pas connu ce ragoût qui m’eût été si utile
dans ma longue campagne ; je n’aurais point été réduit
à la dure nécessité de passer des mois entiers
privé de toute nourriture végétale fraîche, attendu
que toutes les forêts de la Polynésie sont remplies de
plantes ÿasplénium nidus-avis. On prend les jeunes
pousses encore roulées en crosse, on les fait bouillir,
on jette la première e a u , puis on les assaisonne en
soupe avec du lard, ou bien en salade avec de l’huile.
Il en est de même des brèdes de songe ou arum esculenlum,
qui sont aussi fort agréables au goût. J e dois
recommander l'emploi de ces végétaux aux capitaines
appelés à faire des voyages comme celui de l’Astrola
b e , tant pour leur usage que pour celui de leurs
officiers et de leur équipage. Sur le désir que j ’exprimai,
on me montra aussi des feuilles àe, fa h am ,
plante fort recherchée des créoles pour son agréable
odeur, et regardée comme un excellent spécifique
contre diverses maladies. Sur-le-champ je reconnus
qu’elles appartenaient à une espèce à'epidendrum, et
j ’ai vu à mon retour que cette plante avait été décrite
par M. Du Petit-Thouars sous le nom à'angroecum
fragrans. Il n ’y avait que quelques années qu’on
l’avait trouvée à Maurice; jusqu’alors on la croyait
exclusivement indigène de Bourbon.
J ’ai appris avec surprise cjue les noirs ont, au sujet
des anguilles monstrueuses que nourrit le grand bassin,
des idées toutes semblables à celles de quelques
peuples de l’Océanie, touchant les mêmes animaux.
Ils sont persuadés que ce sont des diables ou esprits,
ce qui leur inspire pour eux une te rreur respectueuse.
Quelques-uns de ces poissons parviennent à
des dimensions monstrueuses, ce qui suffirait pour
les rendre redoutables à des hommes nus, indépendamment
de toute idée religieuse.
De bon malinje quittai la Savane, et je fus de retour
au port à quatre heures du soir. Dans cette course,
j ’eus encore l’occasion d’observer la différence extraordinaire
qui existe entre la température des quartiers
élevés de l’Ile-de-France et celle du mouillage.
1828.
Octobre.
23.
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