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 sorte de barrière entre la partie méridionale de l’ile et  
 les  quartiers  du  nord.  Les  Anglais  y  ont  fait ouvrir  
 une route  commode  qui  est  presque terminée,  et qui  
 sera  de la plus grande importance pour  l’exploitation  
 des  propriétés  de  cette  partie  de  l’île. 
 Api-ès avoir traversé l’habitation de M. Prudhomme  
 et  en avoir  salué le maître,  nous  arrivâmes  vers midi  
 à la  propriété  d’Adam,  dans le quartier de la Savane.  
 Elle est  tout  entière consacrée a la  culture du su c re ,  
 et n ’offre d’agrémens que le bon  air qu’on  y respire et  
 la  grande  tranquillité  dont  on  y  jouit.  Adam  voyait  
 toujours  avec un nouveau  plaisii-  tourner  son moulin  
 et couler son  vezou  (nom  du  suc de la canne à  sucre),  
 et c’était assez naturel.  Pour  lui  c’était  l’eau  du  Pactole, 
   puisque ce vezou devait se  convertir en piastres.  
 Mais  cela  m’ennuya  bientôt ;  j ’aimais  mieux  aller  
 respirer  le  frais  dans  les  jolis  bois d’alentour,  et observer  
 les beaux  végétaux  qui  les  peuplent. 
 Quelquefois  aussi  j ’aimais  à  converser  avec  un  
 vieux marin  de  la  connaissance  de  madame  Adam,  
 qui  a long-temps habité File Rodrigue,  et a servi sous  
 les  ordres  de  Baudin  qui  commanda  au  commencement  
 de  ce  siècle  l’expédition  aux  Terres  australes,  
 dont Péron et  Freycinet  firent  partie.  Je  me  plaisais  
 à lui  faire  raconter  ses  aventures,  particulièrement  
 celles  qui  pouvaient  fixer  mon  jugement  sur  le  caractère  
 et  les  moyens de Baudin.  Les  documens  que  
 j ’obtins  par  cette  voie  me  confirmèrent  dans  l’opinion  
 que  j ’avais  toujours  eue  de  ce  marin.  C’était 
 un homme de tête et  de caractère ;  sa navigation  courageuse  
 le long  des  côtes  de  la Nouvelle-Hollande le  
 prouve  assez,  surtout  quand  on  la  compare avec les  
 travaux  hydrographiques  de  ses  deux  successeurs  ;  
 mais  il  fut  mal  secondé.  L’esprit  des  savans  qu’on  
 entassa  sous  ses  ordres  ne  pouvait sympathiser avec  
 le  ton  d’un  marin  accoutumé  au  despotisme  des  
 b ords;  ils  se  liguèrent  avec  les  officiers pour résister  
 de  tout  leur  pouvoir  aux  prétentions  du  commandant. 
   Celui-ci  de  son  côté,  animé  par  une  morgue  
 malentendue,  ne  sut  pas  faire  à  ses  compagnons  les  
 concessions  indispensables  dans  la  position  où il  se  
 trouvait.  11  crut  pouvoir  les  mettre  à  la  raison  par  
 des  actes  d’autorité  déplacés  et  qui  tenaient  tout-à-  
 fait de  l’arbitraire.  De là ce hourra  d’imprécations et  
 de  récriminations  qui  ont  retenti  contre  lui,  et  qui  
 ont même couvert sa mémoire d’une sorte de déshonneur. 
   Toutefois il faut convenir que,  s’il eût vécu,  les  
 choses  eussent  tourné tout  autrement;  à son retour,  
 Baudin  eût  obtenu  l’avancement  et  le  crédit  qui  lui  
 étaient dus,  et ceux qui ont tant déclamé contre lui se  
 seraient  tu s ,  et  se  seraient  même  empressés  de  lui  
 faire  la  cour,  comme  cela  s’est  vu  depuis en d’autres  
 circonstances  toutes  pareilles.  Mes  compagnons  de  
 voyage  comprendront  parfaitement  ce  que  je  veux  
 dire;  je  n’ai  pas  la  moindre  crainte  qu’ils  me  soupçonnent  
 ici de faire allusion au voyage de l’Astrolabe,  
 tant  il  serait  difficile de  trouver  aucun  point de comparaison  
 entre celle  dernière  expédition  et  celles  qui  
 Font  précédée!...