Ils montèrent à bord d’un air incertain, s'avancèrent
près de moi avec un maintien respectueux, et
m’abordèrent en me baisant le dos de la main. J e fis
en sorte de les rassurer de mon mieux, el par l’organe
d ’Hambilton je leur assurai que nous n ’étions
nullement irrités contre eu x , que si nous voulions
sérieusement leur déclarer la guerre, nous pourrions
les exterminer tout d’un coup ; mais que les canons
n ’avaient point été chargés à boulet, et que les coups
qu’ils avaient entendus avaient été seulement tirés
en l’honneur de VAtoua Papalangui, dieu des Européens,
que nous venions de placer sur le récif. Je
les priai d’engager leurs compati’iotes à respecter la
maison de notre Dieu, el à ne point chercher à la
détruire. Si les navires qui viendraient après nous
dans leur île voyaient cette maison debout, ce serait
pour eux un gage de notre amitié avec les habitans de
Manevai, et ceux-ci n’en seraient que mieux traités
par leurs hôtes. Si le monument était ren v e rsé , les
blancs seraient irrité s, et, s’ils étaient de notre nation,
ils vengeraient sans doute sévèrement cet attentat.
Pour bannir toute inquiétude de leur part, je leur
fis entendre que c’était là l’unique vengeance que
nous eussions à tirer du meurtre des Maras tués
long-temps auparavant, attendu que le Dieu que
nous venions de placer sur le brisant protégerait désormais
les esprits des Maras; que cette cérémonie
nous suffisait, et que maintenant il ne nous restait
pas le moindre sujet de guerre contre le peuple de
Vanikoro. J e leur fis observer cependant que, pour
ne pas provoquer la colère des Atouas de Vanikoro,
le notre avait été placé sur le récif au milieu des
eaux, tandis que les Atouas du pays, Banie et Loubo,
étaient établis sur te rre ; précaution qui éviterait toute
collision de pouvoirs entre ces divers dieux.
Enfin, pour achever de nous rendre, ajoutai-je, ces
deux Atouas plus favorables, je remis à Moembe’une
herminette et un morceau de drap rouge pour l’offrir
de ma part à Loubo, et autant à Kalaï pour le redoutable
Banie. Bien que mes deux Arikis parussent déjà
souscrire très-volontiers à toutes mes propositions,
le dernier argument fit sur eux la plus vive impression.
Après m’avoir écouté avec la plus grande attention,
ils jurèrent par ce qu’ils avaient de plus sacré
que Y Atoua Papalangui serait respecté à l’égal de
Loubo et de Banie, qu’ils veilleraient à la conservation
de sa maison, f a r e A to u a , et qu’ils traiteraient
en ennemi quiconque tenterait d ’y faire quelque dégradation
>.
Certes, je suis persuadé qu’en ce moment Kalaï
et Moembe étaient de bonne foi, mais l’humeur de ces
sauvages est bien variable; d ’ailleiirs, ces deux chefs
ne pouvaient pas répondre des dispositions de tous
leurs compatriotes. J ’aurais donc peu compté sur la
parole de ces hommes grossiers el stupides, si nous
n avions eu le soin de n’employer que des matériaux
peu susceptibles de tenter leur cupidité, de sorte que,
pour détruire notre ouvrage, il faudrait qu’ils se don
■ 828.
Mars.
I Voyez noie 12 .