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» arrêté à chaque ’pas par des doutes
» et des objections. Cette différence
» dans notre jugement ne vient point
»de la nature des faits; elle vient de
» l’opinion que nous avons de Moyse,
» que nous croyons inspiré ». '
Et en effet, toiity choque par l'invraisemblance.
L’idée d’un Dieu, c’est-
à-dire., d’un Etre; par sa nature invisible
à l’oeil , incompréhensible à l’esp
r itq u i se promène dans un jardin,
et qui donne des préceptes à l’homme •
celle d’une, femme qui fait la conver-
satioa avecàm serpent, l ’écoute parler
, et en îeçoit des conseils ; celle
d’un homme et d’une femme organisés
pour se régénérer, et cependant destinés
à être immortels , et à produire à
l’in fini d’autres êtres immortels comme
eux , qui se reproduiront aussi , et se
nourriront des fruits du jardin , qui va
les contenir durant l’éternité ; une
pomme cueillie, qui va devenir le crime
de tant de millions d’hommes, qui n’y
ont eu aucune part, et qui ne sera pardonné
, que quand les hommes se seront
rendus coupables du plus grand
des forfaits , d un déicide , crime lui-
même impossible ; la femme , depuis
cette époque , condamnée à engendrer
avec douleur , comme si les douleurs
de l’enfantement ne tenoieet point à -
son organisation, et ne lui étoient point'
communesavec tous lesautres animaux,
qui n’ont point goûté de la pomme fatale
; tant d’absurdités et de folles idées,
réunies dans un seul chapitre de cette'
Cosmogonie, ne-nous permettent pas
de les admettre comme des faits historiques.
La raison et le bon sens, cette
lumière que la Nature a donnée, à
l’homme pour guider ses jugemens ,
comme celle du soleil pour éclairer ses
pas , rejettent avec indignation de pareils
contes, lorsqu’on veut les lui donner
pour des faits historiques, i l n’y a
que le prestige de l’éducation, la force
de l’autorité , l’empire de l’habitude et
de l’exemple, qui puissent nous farnÿliâriser
avec dès idées aussi exfrava- I
gântes, et qui révoltent tout homme, I
qui n’a pas absolument éteint le flam- I
beau, sacré de la raison dans la ' fange I
des préjugés, Nous [conclurons donc , I
d’après l’exposé de ces fictions reli- I
gteuses, qu’on ne peut’en aucune ma- I
nière les classer dans l’histoire', qu’on I
ne peut y reconjaoître des. faits réels et I
des aventures humaines ; bien loin d’y I
trouver l’ouvragé de la raison divineét. I
de l’intelligence éternelle.
S il est quelqu’un parmi nos lecteurs, I
dont la crédulité courageuse puisse eu- I
core 4es admettre comme des faits , d$t I
en digérer toutes les absurdités, nous I
l’avertissons qu’il peut s’arrêter ici : I
nous n’écrivons que pour l’homme rai- I
Sonnable. S’il s’en trouvé d’autres, qui I
11e pouvant se résoudre à admettre des I
fables aussi monstrueuses , et que la I
saine raison rejette, persistent néan- I
moins à croire à la missiorïdo Christ I
ét à seS. miracles presqu’aussi absur- I
des , il peut encore s’arrêter ici, puis-' I
qu’il ajoute à la plus stupide crédulité la I
plus' ridicule inconséquence , le répa- I
rateur'n’étant plus qu’un être imagi- I
naire , si la chute de ’ l’homme h’est I
qu’une chimère:. 1
Quel parti reste-f-il donc à prendre I
pour l’homme raisonnable et consé- I
quent ? de tout rejeter , ou de tout ex- I
pfiquer d’une manière qui s’accorde I
avec la droite raison. Le premier I
parti ésfr fort aisé à prendre ; il ne I
faut que- du bon sens. Mais il paroi t I
hardi et _ téméraire de rejeter sans I
examen une doctrine a-ussi ancienne, I
aussi répandue, et que nos ancêtres ont I
pris faut de soin de perpétuer. Les li- I
vres où sent consignées ces histoires I
forment la base du code religieux de I
plusieurs nations, et ont toute Pautlien- I
licite qu’un peut exiger dans les: mo- I
simiens de la croyance- humaine:
line noüsres texfone d’e i r! re ressource, I
que de chercher à les entendre et à les I
concilier avec-le bon- sens, dont ils sont I
î ’ouvrage. Ce dernier parti, qui est le
plus sage , n’est pas le plus facile : èt
ce sont les difficultés mêmes que ce travail
présente, c’est le désespoir d’y réussir
et l’impossibilité apparente d’ y trou-
! ver de la raison, qui ont déterminé les
Philosophes à aller au plus court et au
; plus aisé, et à les rejeter tout simplement,
comme un tissu de contes ab-
jsurdes , sans but ni fondement quelconque
, indignes de l’attention du philosophe
, et l ’opprobre de la raison humaine
, aussi outragée par ceux qui les
croyent que par ceux qui les ont faits.
Voilà jusqu’où sont arrivés de nos
jours les Philosophes. Ils sont moins crédules
que le peuple, mais ils ne sont pas
:plus instruits. Il leur restoit encore un
pas à faire. C’étoit de pénétrer le sens
[de ees cosmogonies , au lieu, de les rejeter
avec dédain. Ce pas nous allons le
paire. Nous considérerons donc ce récit
fbisârre de la Genèse, sur lequel s’ap-
jpuie essentiellement tout le système
[religieux des Chrétiens , comme une
[allégorie assez ingénieuse sur la nature
jet sur l’ordre cosmique , qui nous est
[tracé dans cette Cosmogonie. En. effet,
[on ne peut y voir des faits historiques :
Ba raison s’y refuse. On ne peu t fa rejeter
comme un tissu de rêveries et de
[pures chimères. L ’authenticité du livre
[et le respect qu’on a toujours eu pour
pui , ne le permet pas. Donc il faut
[l’admettre , mais comme allégorique.
Nous sommés d’autant plus autorisés
tà le faire , que nous savons que les an-
Iciens Sages , et sur-tout les Orientaux.,
[qui nous ont donné ces livres, aimoient
[le langage Sguté , la parabole et l’allégorie.
Les Philosophes de ces siècles-là
et de ces climats se proposoientdesénig-
nies savantes, et mettaient leur gloire
à les résoudre. Les Perses (i) en particulier
aimaient à eacher leur philosophie
sous des fables mystérieuses.
Sfrabon dit formellement (2) , que }a
Mythologie chez eux se rapportait toujours
à un but utile.
Tout le monde sait que les Egyptiens
usoient de ce même moyen. Quelques
interprètes du'Timée Ont pensé, que
toute la prétendue guerre des Athéniens
contre les Atlantes n’étoit qu’un
roman philosophique sur le débrouillement
du chaos. Le génie oriental en
général semble , dans tous les temps ,
avoir imprimé ce caractère à ses ouvrages.
Les fables de Lockman et d’Esope ,
les Contes Arabes en sont une preuve
sans réplique.
La Cosmogonie Phénicienne de San-
choniaton , qui, comme la Genèse et
comme toutes les'théogonies anciennes,
nous présente pour premier tableau Ura-
nus et Ghè, ou IJaschamatrn ci;, lïarcts,
le ciel et la terre, et qui met sur la scène
le soleil etle temps personnifiés, ne contient
que la théorie cosmogonique de
la Nature écrite dans le style de l’Histoire,
Afin qu’on ne s’y laisse pas
tromper, l’auteur, comme nous Pavons
déjà observé , finit son écrit en disant:
«téls sont les objets que l’Hiérophante
»tournoit en allégories , dans lesquelles
»étoient décrits les phénomènes de la
»Rature et l’ordre cosmique, et que l’on
»enseignoit dans les orgies et les initia-
»tions. Les Hiérophantes,cherchant .à
.»exciter l’étonnement et l’admiration
»des mortels, transmirent fidèlement ces
»choses à leurs successeurs et aux initiés.
Ge passage, que nous rappelons ici ,
peut nous donner une idée du génie des
Cosmogonies anciennes, dèl’usagequ’an
y fit de l ’allégorie pour enseigner aux
initiés les vérités religieuses, et voiler les
grands tableauxque présente la nature,
pour les dérober à l’oeil profane, piquer
la curiosité de l’homme par la
singularité des images, et subjuguer
son respect par l’étonnement et l’adt.
O Beausobre, T . a. > P301, {2) Strabon, Jj. j5 , p. 733.