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Divinité , qui n’a jamais instruit
l’homme, que par le grand livre de
l’Univers. L ’Apocalypse de Jean , qui
est le titre de l’ouvrage que nous commentons
, fait partie des ouvrages de
la mysticité orientale , dont elle a tous
les caractères ; et c’est le seul ouvrage
d’initiation, qui soit échappé de
Eobscurité des sanctuaires. Ce qui
doit le rendre infiniment précieux aux
amateurs de ja science ancienne, et
à tous ceux qui sont curieux de recueillir
la doctrine des mystères et des
initiations, dont nous n’avons que quelques
fragmens épars dans les autres
ouvrages. Celui-ci est un traité complet
, puisqu’il conduit l’initié jusqu’à
l’Autopsie , o.u à la vue intuitive de
la Lumière incréée , au sein de laquelle
habite la Divinité , et dans laquelle
doivent être un jour transportés
les initiés, qui auront été marqués
du sceau de l’initiation , et qui en
auront fidèlement rempli tous les devoirs.
Le sort de eet ouvrage mystique
a été assez varié , dans les premiers
siècles de l’Ere Chrétienne, et
dans les différentes sectes du Christianisme.
( i ) Justin , qui écrivoit
vers l’an 170 de l’Ere Chrétienne, est
le premier des auteurs Chrétiens, qui
ait parlé de l’Apocalypse ; et il l’àt-
tribue. à Jean , un des douze Apôtres.
C’est dans son dialogue avec le Juif
Tryphon , qu’il en parle ; et c’est le
seul endroit de ses ouvrages, où il en
soit fait mention. Mais ce Justin n’é-
toit pas un excellent critique , non
plus que tous les autres Pères. C’est
lui, qui prétend,dans le même dialogue,
que lorsque Jésus-Christ descendit dans
le Jourdain, le feu s’y alluma.Il avoit
beaucoup de foi à la Sibylle de Cu-
mes, dont il prétendit avoir trouvé
le sépulchre ( 2 ). Il la croyoit trèsfort
inspirée de Dieu , et il exhorte
les Grecs à croire à ses prédictions!!
C’en est assez pourj-uger Phonune
qui le premier s’appuie de l’Apocs.'
lypse, comme d’un ouvrage inspiré'
et qui le cite pour étayer l’opinion des
Millénaires, sur le prétendu Règne de
1000 ans ; enfin d’un homme , qui
prend le Dieu Sabin Semo- San eus
dont on voyoit la statue à Rome
pour le fameux Simon le Magicien. Voilà
toute la critique des lumières de l’Eglise
Chrétienne.
Irenée (3) , qui avoit beaucoup de
foi, et qui jugeoit presque toujours sur
le témoignage d’autrui, cite sur la foi
d’un vieillard, qu’on ne connoît point,
l’âutorité de 1 Apocalypse , et cela
toujours pour appuyer la belle oâp
nion des Millénaires. C’étoit aussi un
homme d’esprit que cet Irenée , qui
prétend qu’il doit y avoir quatre Évangiles
, parce qu’il y a quatre parties
du Monde , et quatre vents Cardinaux.
La raison est admirable , pour
en démontrer la vérité. Voilà nos maîtres.
Il explique ingénieusement les
quatre animaux symboliques d’Ezé-
cbiel et de l’Apocalypse , par les quatre
états du fils de Dieu. Le Lion est la
dignité royale ; le Boeuf , son sacerdoce.
Faisons lui grâce du reste. A
ces quatre animaux , répondent quatre.
Evangiles , sur lesquels le Seigneur es}
assis. D’où St.-Irenée conclud , dans'
toute la rigueur de sa logique, que
ceux-là sont vains , ignorans et téméraires
, qui reçoivent plus ou moins
de quatre Evangiles. Le témoignage
d’un pareil homme , en faveur de
l’Apocalypse, ne peut manquer d’être
d’un très-grand poids aux,yeux d’un
philosophe et d’un critique.
Avant Irenée , Meliton avoit fait un
traité intitulé du Diable de l’Apoca-
(1) Nous avons extrait ce morceau , en cité de 1 Apocalypse.
grande partie, d’un manuscrit de M. Abauzi], (2) Just. Admonit. ad Gentes.
in tituié : Recherches critiques sur Vaulhçnti- (3) Irenée, 1. 5.
lypse (1). Comme cet ouvrage est perdu
, on ignore s’il en partait en bien,
ou en mal Elle a été en effet attaquée
dans des livres faits par quelques an-
I ciens. Peut-être Meliton étoit-il de ce
inombre. Avant tous les auteurs, dont
nous avons parlé, avant Justin , on ne
voit dans tous les écrits des Chrétiens,
jou qui leur sont attribués , aucune
trace de l’Apocalypse. Ce qui feroit
croire,qu’ellene remonte pas au temps,
où l’on fait vivre Jean l’Evangéliste.
Il y eut un certain Jea n , surnommé
le Prêtre , à qui quelques anciens ont
attribué l’Apocalypse, que nous avons.
Clément , d’Alexandrie, qui , à la
[fin du second siècle, s’appuie du té-
[moignage de l’Apocalypse , sans noos
[dire si ce livre étoit de Jean , nous
lapprend qu’il y avoit une Apocalypse
[de St.-Pierre. Cette seconde Apoca-
[lypse , qu’au rapport de So,zomène
Ion lisoit dans les- églises de Palestine,
létoit si fort, estimée de Clément, qu’il
[l’expliqùoit dans ses instructions, com-
Ime un livre sacré. Mais Clément avoit.
■ plus de science que de jugement.
1 De tous les anciens Docteurs , Ter-
jtullien est le plus formel, par cela mê-
Ime qu’il ajoutoit beaucoup de foi à
l l ’opinion des Millénaires, qu’il a dé-
Ifendue. Mais l’usage , qu’ il fait de l’au-
Itorité de ce livre , prouve combien peu
■ son témoignage mérite de confiance.
■ Il veut prouver, que l’arae est corpo-
■ relle , qu’elle tombe sous les sens (3) ;
■ et pour cela il allègue ce passage de
[ l ’Apocalypse. « Je vis sous l’autel les
[» âmes de ceux qui avoient été mis à
■ »raort pour la parole de Dieu ». Ter-s
[tnllien s’appuie encore de l’autorité
■ «e ce livre en combattant les Marcio-
■ nites, contre qui cette arme n’étoit pas
■ bien puissante , puisqu’ils rejettoient
■ Ce livre comme apocryphe.
I Tertullien parle d’une manière plai-
■ sante de la Sainte Jérusalem de l’A-
■ (r) Euseb. Hist. K ci 16.s. 1. 1. c. 26.
■ D) Tertull. de Aniin.
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pocalypse, et qui prouve, combien on
ajoutoit foi dans ces siècles-là aux rê-
yeries des visionnaires , nommés Prophètes
, qui s’snnonçoient pour avoir
des Théophanies, et combien en particulier
l’attente de la vision de la Ste.
Jérusalem étoit en vogue dans les sectes
Chrétiennes. C’étoit, à ce qu’il pa-
roît, la vision à la mode.
u Nous reconnoissons , dit Tertul-
» lien (3), que nous avons un règne
» promis sur la terre ; savoir , la
» résurrection pour xooo ans, dans la
» ville de Jérusalem, faite de la main
» de Dieu, et descendue du Ciel. Ezé-
» chiel la conuoissoit, et les nouvelles
» prophéties, auxquelles nous croyons,
» en ontmême représenté leplan,avant
» qu’elle fût construite, pour servir de
» signe quand elle paroîtroit. Enfin ce
» signe a paru depuis peu, dans une
»découverte faite en Orient ; et les
» Payens mêmes sont témoins , qu on
» a vu en Judée pendant 40 jours , au
» matin, une ville suspendue en l’air ,
» dont les murs diminuoient à mesure
» que le jour augmentoit, et qui dis-
» parut enfin ».
Ces paroles n’ont pas besoin de commentaire
, et la crédulité du docteur
nous apprend à connoître les hommes,
sur la foi desquels la Religion des Chrétiens
s’est établie. Rien ne coûtoit à
l'imposture alors , parce que rien ne
nianquoit à la crédulité des peuples
disposés à adopter toutes les fables.
Ces nouvelles Prophéties , que Tertullien
met à côté de l’Apocalypse,
étoient les révélations de rriscilla et
de Maximilla , deux Prophétesses de
la secte Phrygienne, qui tenoit ses assemblées
à Pepuza, et dont nous aurons
occasion de parler dans cet Ouvrage.
. ; .
La ville suspendue en l’air tous les
matins, pendant 40 jours , étoit une
bien belle chose ; il est dommage que le
<3) Tertul. 1. 3. Contr. Marcion.