
Hiver, & il y tombe beaucoup de neige, parce
que la mer Noire ne peut arrêter les vents qui
descendent du Nord ; cela n’empêche cependant
pas que les Chèvres ne Soient nourries toute
l ’année dans la campagne ; elles y trouvent une
efpèce de gramen que nous ne connôiflons point
encore , qui s’élève au-deffus de la neige, &
préfente en tout tems aux Chèvres une nourriture
Saine & Suffisante. »
u On a fouvent Sait venir de ces animaux
dans quelques-unes de nos contrées, mais Seulement
par pur motif de curiofité. Cependan t il
n’eft pas permis de douter qu’ils ne puiflènt
réuffir aiSément dans d’autres climats que celui
d’Angora. Une tradition confiante dans ce pays
porte que ces Chèvres n’en Sont point originaires
; mais quelles y ont été amenées du fond
de l’Afie.Ne pourroit-on pas conjecturer quelles
viennent originairement de Cachemire, où toute
production animale eft fi parfaite, & qui, fitué
vers le 34.®'degré, Se trouvé fous le plus beau
climat du monde. »
« La laine des moutons y eft fi belle qu’il eft
difficile de difiinguer les étoffes qu’on en fait,
des étoffes de foie. Les premières, connues fous
le nom tâchaHes,font fi parfaites & fi eftimées,
qu’une ceinture Turque ou un turban fabriqué
dans- ces contrées avec cette laine, Se tiennent
aiSément dans la main, '& Se vendent jufqu’à
6co liv. Ces étoffes, deftinées à l’habillement des.
Sultanes ou des femmes de la plus haute diftinc-
tion, font très-recherchées dans toute l’Inde. Or
n’eft-il pas probable qu’une efpèce d’animal auffi
rapprochée du mouton que l’éfi la Chèvre, aura
profité des avantages de ce pays, qui confîfte
en une plaine immenfe , entourée^ par- tout
de hautes montagnes berceau naturel des
Chèvres.
cc On pourroit objeder que ces contrées font
très - éloignées d’Angora -, mais on n’en connoît
pas de plus voifines on les Chèvres analogues à
celles-ci, Se retrouvent. 11 y en a bien en Perfe,
mais on les a tirées du même endroit.»
« On les a vu vivre & Se Soutenir en Suède ,
où elles furent transportées par les foins de
M. Alfiroemer. D’un autre côté , M. le “Marquis
Ginori efl le premier à q u i, entre plufieurs Spéculations
utiles , on eft redevable d’avoir cherché
à naturaliser ces animaux en Tofcane.* Il en
fit venir dans Ses terres, près de Florence , un
nombre Suffisant pour en compofer un troupeau,
qui a multiplié, & qui eft aéluellement
de quatre cents bêtes* » ,
u M. le Marquis G inori, voulant en même-
tems connaître les moyens de tirer parti de leur
toifon fit venir une famille turque pour peigner
ëè poil , le filer , & en fabriquer des camelots.
Cette expérience a très-bien rêuffi-, &
Ton ne doit point douter qu’on ne puifle avoir
ailleurs les mêmes avantages. »
« Adonné depuis environ vingt ans à l'Agriculture
& à l’Economie rurale, je-fis venir dans
le tems des Chèvres d’Angora. 11 ne m’en refte
aéluellement que quelques individus, parce que
des Soins étrangers m’ont empêché de leur donner
l’attention néceflaire. Cependant je puis
affurerque cette efpèce de Chèvre n’eft point
délicate, qu’elle vit plus aiSément dans nos contrées,
que celles même du pays , & qu’à nourriture
égale, les premières , toujours bien portantes
, ont été plus en chair que les nôtres. »
çi Je les ai nourries dans la chaîne du Lébe-
ron, au Midi de laquelle mes terres font Situées ;
cette montagne eft affez élevée, & forme lin des
pjeds des Alpes. Mes Chèvres, fans y recevoir
jamais aucun traitement particulier, s’y font toujours
Soutenues en bon état, s’accommodant fort
bien du climat & des pâturages »
a Je n’ai point remarqué quelles fuffent Sujettes
à aucunes maladies -, elles y ont péri ordinairement
de vieilleffe, car je les ai laifle vivre, &
particuliérement les. mères. Ces animaux'ont
cependant un moment à redouter, celui de leur
arrivée, à caufe du changement de climat. Je
perdis de ces bêtes à l’entrée du premier Hiver,
lorfqu’en les Sortant de la bergerie pour être
conduites aux champs, elles furent Surprifes par
un vent du Nord-Oueft, connu en Provence
fous Je nom de Mifiraou , qui amène un froid
vif & pénétrant. Dans ce cas, elles tombent, &
meurent Sur-le-champ , à moins qu’on ne les
porte auffi - tôt près du feu , comme je l’ai fait
heurèufement pour d’auttes. »
cc Les mâles, les chevreaux nés dans le pays,
& les Chèvres une fois revenues ne font point
expofés à cet inconvénient 3 on peut d’ailleurs
le prévenir aiSément, avec un peu d’attention,
dans le premier Hiver, après leur arrivée.»
cc- Cependant cette variété de Chèvres eft confiante,
& quoiqu’elles procréent avec- les nôtres,
l’on ne doit point efpèrer de pouvoir jamais les
multiplier par le croifement des races. Le vice
de la mère eft conftamment. vifible. 'Si quelques
individus approchent, plus ou moins, de la race
du père , Son poil fera toujours- plus court &
trop groftîer pour pouvoir être travaillée »
«.Comme je Suis le Seul qui nourrifie des boucs
dans ma contrée, on envoie des Chèvres de cinq
ou Six lieues à la ronde pour les faire couvrir
par mes boucs. Il eft provenu de ces accouple-
mens un grand nombre de bâtards-, on n’y voit
' plus qu’une race blanche approchant, plus ou
moins de l’Angora, par Sa longueur & la frifure
de la toifon. Mais-je n’ai jamais apperçu aucune;
bête qui pût même me donner la moindre ef-
pérance d’avoir de vraies Chèvres- d’Angora „
quelques Soins- que je me fois donnés pour me
procurer des mères pourvues de toifons les plus
analogues. Aicfi, la Chèvre diffère, à,cet égaraj,
des moutons, parmi lefquels le père a une fi J
grande influencé Sur fa progéniture ».
6 « Le poil des Chèvres d’Angora , celui du
moins dont on tireparti , éft confiamment blanc ;
quelquefois, & Sur-tout dans les femelles , le
poil court qui recouvre immédiatement leur
peau en tout tems, eft de couleur de ventre-de-
biche -, il ne varie ni en Eté ni en Hiver *, mais
la toifon qui le recouvre, & qui devient Si longue
dans le courant de l’année, efl toujours du
plus beau blanc. » • 1 v ' •;
« Les différentes parties de la toifon donnent,
fans doute , différentes qualités de p o il, comme
dans les moutons, où les blancs fourniffent les
plus belles toifons. Auffi, lorfqu’il s’agit de les
travailler, on commence toujours par faire un
triage exaél, chaque partie formant différentes
qualités de f i l , par conséquent différens prix.
Il y a des fils depuis quarante écus Ypcgue, dont
le poids eft d’un peu plus de deux livres, juf-
qffà huit livres Socque. »
« Comme la toifon entière renferme deux
qualités de poil, il faut néCeflâirement les Séparer.
Le premier eft beau & Soyeux, c‘ eft celui
qu’on recherche : l’antre eft' un poil , court,
ayant un coup-d’oeil terne-, il n’eft bon à rien;on
ne l’emplpie du moins qu’à remplir les oreillers <
des habitans. C’eft avec les peignés qu’on Sépare
ces deux fortes de poils. » /
« Ces inftrumens font au nombre de deux ;
on s’en Sert fuccefftvement , l’un étant plus fin
que l’autre*, l’on commence à jeter le poiTfur
le premier peigne qui eft compolé de deux rangs
de dents formés en cône; chacrïie dent a quatre
pouces & demi de hauteur, fur une ligne &
demie de groffeur dans le ,bas ; l’efpace des dents
eft d’environ une demi-ligne ; leur intervalle
entre les deux rangs, de huit lignes franc, leur
nombre eft de trente-fix par rangées , ce qui
forme la longueur à-peu-près de Sept pouces & •
demi;» . *
« Ce peigne eft fixé par deux écrous Sur un
banc incliné ; la peigneufe affife le place de- :
vaut elle, en jetant, par un mouvement circulaire
des deux mains, le poil de Chèvre quelle
enfonce jufqu’au bas du peigne , & faififfant par
les deux côtés les extrémités de la poignée qu’elle
tient, elle en Sépare les poils longs & utiles, recommençant
cette opération jufqù’à ce quelle
voie que toute la bourre eft reftée dans le peigne,
& que le poil en eft entièrement privé.;
De ce peigne , la matière paffè à un Second, où
die reçoit le dernier degré de ’ perfection. Les
proportions de celui-ci Sont auffi de Sept pouces
& demi de longueur; l’écartement des deux
rangées de dents eft de huit lignes & demie ;
1 éloignement des dents n’eft que d’une ligne,
& leur hauteur de trois pouces Sept lignes, ce
qui achève de retenir tous les poils trop courts
pour pouvoir être filés. »
« Chaque poignée de poils étant peignée, on
les applatit, on les pofe les uns fur les autres
dans des boîtes, après en avoir ramafl'é & ferré
les bouts, pour qu’ils reftent toujours Séparés
jufqu'à ce qu’on en charge les quenouilles.»
« Celles-ci font montées fur des pieds que la
fileufe , affife , place devant elle ; leur forme
Supérieure eft celle d’üne cloche renverfée, ou
d’un minaret, pour procurer le plus de Surface
poffible, & affiner par ce moyen l’union confiante
du nombre de poils que la fileufe doit
employer félon leur qualité; ce qui donne l’égalité
du fil. »
u Alors on prend a fiez de ces plaques, forties
des mains des peigneufes, pour en entourer la
quenouille , de 4’épaiffeur de deux ou trois
lignes ; l’on ferre & l’on arrête le tout avec une
bande très-fouple de marroquin , garnie à Son
extrémité d’un cordon de foie & d’une petite
pièce de monnoie, ou d’un jeton un peubomb.’ ;
ce qui Suffit pour l’affurer. »
u Ce p o il, lorfqu on l’emploie , doit être
mouillé , non avec de l’eau , mais avec de la
Salive, qui feule eft propre à cet ufage, parce
qu’elle faffouplit ; auffi la fileufe humecte dans
fa bouche la partie quelle veut filer , & commence
à garnir Son tufeau ; une courte aiguillé*
de fil ou d’autre matière, lui fournit le moyen
de faifir lé premier poil. »
« L e fufeau doit' être parfaitement rond, Sc
par conféquent tourné avec attention'. On a
eu foin d’y faire à la pointe Supérieure un pas
de visalongé, & creufé dans le bois , où l’on
place le fil pour l’arrêter, & le rapprocher du
centre. Lorfquel’on commence à filer, on ajoute
à l’extrémité inférieure , comme à tout autre
fufeau, une petite boule que l’on Ôte, lorfque
le fufeàu Suffisamment chargé de f i l , eft affez
lourd pour conServer Ton mouvement. »
« Si l’on veut former des écheveaux, on dévide
le fil fur une planche longue de vingt-deux pouces,
& portant une ouverrufe pour la faifir avec
la main. A ces deux extrémités on conferve trois
angles faillans, & le quatrième ne s’y trouve
point-, pour donner plus de facilité de retirer
F écheveau lorfqu’il eft fini & préparé. »
a A Cet effet, & avant de l’ôter de' deffus le
dévidoir, il faut l’aflouplir, & en ôter le tors ;
on fait que cette matière conferve to u jours beaucoup
de roideur, & perd difficilement les plis
quelle a une fois contraétés,fur-tout lorsqu’elle
eft convertie en étoffe. Auffi faut-il que les fileu-
fes aient la plus grande attention de ne tordre
que très-peu le fil ; mais comme il eft néceflaire
quelles en aient affez pour fupporter le fufeau,
On ne peut le diminuer qu’après l’avoir mis fur
le ’dévidoir, ce qui s’opère par un alongemerifi
forcé , & qui en fépare les contours. »
“‘ " ’ù Pour y parvenir, on commence par mettre
le dévidoir & Son fil dans l’eau 3 celle des ri-
V ij