
On va voir jufqu’à quel point ces effets peuvent
devenir funeftes ,• lorfqu’unè mauvaife année
leçonde les efforts de l’avidité.
- Difétu de 1765 6* années fuivantes.
Une grande partie de la récolte de 1765 fut
faite par un te ms humide, & beaucoup de grains
germèrent. Les pluies de l’Eté de 1764 rédüi-
ïirent la moiffon à deux tiers d’une année
commune. L ’exportation avoit été très - forte
pendant lesdernières années de la guerre.L’Angleterre
fourniffoit à - la - fo is fes marchés étrangers,
ordinaires, les armées qui étoient en Allemagne
& plufieurs Provinces dans cette partie du Continent.
On exporte, année commune, fîx cens
quarante mille fetiers. L'exportation de 1764 fut
de douze cens mille fetiers, à caufe de lappro-
vifionnement de l’ Italie. Cependant, au mois de
Mars de la même année, les grains étoient à leur
prix moyen fix e, 25 livres le feptier. Le blé
diminua au commencement de Juin, parce que
la Cour de Naples avoit contremandé, vers la
fin de Mai, celui qu’on fe préparoit à lui envoyer.
Enfin , il monta, en Juillet,. jufqu’à
24 livres le fetier de Paris. Cette augmentation
v enoit, i.° de ce que le mois de Juillet eft le
tems où les gros Fermiers fpéculent fur la récolte
qui va fe faire, & qu’ils attendentpour lâcher
la main fur le prix, que leurs nouveaux grains
foient rentrés -, 2.0 de ce.qu’il fe répandit alors
un bruit j vrai ou faux, qu’il fe faifoit des e-nlè-
vemens confidérables de grains pour former des
greniers à la proximité de l’Italie.
La récolte s’étant trouvée médiocre, les prix
augmentèrent encore au mois d’Août. Plufieurs
vaifleaux chargés de grains pour l ’étranger, périrent
vers la fin de Septembre*, en conséquence
le froment fe,vendit, en Oélobre, 25 liv, 6 f.
le fetier. Il retomba à 23 livres au mois de Décembre,
tems où les petits Fermiers vendent
pour payer les Propriétaires -, mais il haufl'a de
nouveau au commencement de l’année 1765.
L’exportation étoit encore très-forte au mois
de Janvier de cette année. Comme on en publie
journellement les états, tout le monde fait à
quoi elle monte -, mais tout le monde ignore la
quantité de blé que renferment les magafins. Le
Peuple attribua la cherté à l’exportation, qui lui
étoit connue & ne longea nullement à l’attribuer
aux Magafiniers, dont les approvisionne-^
mens lui font inconnus, ou à la diftillation des
’eaux-de-vie, dont il ne connoît pas mieux la
quantité.
Le peuple demanda hautement que la gratification
fût retirée & qu’on dérogeât à la Loi de
‘ 1689, qui l’accorde, tant que le prix du fetier
_n excède pas 27 livres 12 fols. On alla plus loin
encore, le fetier de froment monta, le 25 Jan-
v i u - à 27 livres^ St le même jour le Parlement
^eçtït de la Ville de Londres, & prefquauffi
de plufieurs autres Villes, une requête, par |;t.
quel il étoitfupplié défaire arrêter l’exportation
Soitadrefle ou intérêt de la part des uns, f0jj
frayeur ou défautd’in fbr-u ètionde la part desautres
l’expérience du paft'é ne fuffit pas à tout le monde
pour reconnoître que les difettes les plus fortes fe
font fentir & ont été très-fiéquentes-, dans les
tems où l’exportation étoit interdite. En 1764 |
l’exportation étant libre,' a été feulement de
cent vingt mille fetiers, mefure de Paris.
Ces clameurs contre la gratification, ces requêtes
préfentèes au Parlement contre l’exportation
, n’augmentoient pas la fomme des fu]>
fiftances. Mais le bruit fe répandit que le Parlement
alloit rendre libre l’entrée du grain étranger
en l’affranchiflant de tout impôt. La crainte
de la concurrence fit le même effet qu’une abondante
récolte. Dès le 25) Janvier, les Magafiniers
réduifirent le prix du grain à 25 livres 6 fiels &
ne le vendirent que 24 livres dans le mois de
Février. Cette manoeuvre des monopoleurs détourna
de deffus eux l’attention du Parlement;
on crut, fur ces apparences^ que tout étoit rentré
dans l’ordre, & les Repréfentans de la Nation ne
prirent aucune mefure pout l’arracher au péril
dont elle étoit menacée.
L ’exportation continua & la gratification ne
cefla pas un inftant d’être payée. Bien-tôt le prix
du grain remonta aux 27 livres. Il s’y foutint
pendant un tems confidéràble, mais fans atteindre
le point de 27 livres 12 fols. Pendant cet intervalle;
on n’exporta aucune partie de grains parle
port de Londres. Les Magafiniers fentirent la né-
cellité de fe contenter du bénéfice qu’ils trou-
7 oient dans le lieu même, fur les grains dont
ils avoient rempli les greniers, & fur ceux qu’ils
a voient confervés en meules, à la faveur des
achats qu’ils avoient faits pendant l’Hiver. Enfin
le grain atteignit & paffa le taux de 27 livres
11 fols, & la gratification celfa le 2 Avril 17^.
11 n’y avoit pas d’apparence qü’on pût fortir
des grains depuis qu’ils étoient montés à ce prix,
Le peuple en conclut que les Magafiniers étant
bornés aux feuls marchés nationaux, ces marchés
aboient regorger de bled. Le monopole au contraire
conclut de l’état des chofes, qu’il de voit
trouver dans le Commerce intérieur, non-feulement
fes bénéfices ordinaires , mais encore
ceux qu’il ne pouvoir plus tirer du Commerce
extérieur. Une difiefte artificielle fe manifefta
fur-le-champ & devint de jour en jour plus
effrayante.
Des le 10 A v r il, le fetier de froment monta
à .28 livres 15 fols. Il fut porté , le 1 1 , à 29 liv.
7 fols. Pour appuyer cette manoeuvreon fit
courir le bruit que le Marquisde Sqitilace fongeoit
à en tirer une grande quantité pour l’Efpagne»
^opération qui pouvoit toujours, fe faire, parce
que, comme on l’a d it, l’exportation efl Ubr«>
i . rc même que le haut prix fait cefler la gratifi
' " " t e L i n monta à 50 livres 10 lo i s , le
S A v r il, & p a rv in t , le 2. Mai, ju fqu ’à 31 liv.
I l fols Pour arrêter les progrès d’augmentation
! orix fl rapides, on fit de, nouvelles reprélen-
tations au Parlement, qui enfin fe détermina à
é Alf premier bruit de cette réfolution les Magafiniers
fentirent le péril où étoit leur fortune,
rarce que tenant au monopole , la concurrence,
ou ce qui eft la même chofe, un libre Commerce
alloit le faire cefler. En conféquence, le
prix du grain diminua tout d’un coup de 3 liv.
par fetier. _ _ . „„ e
Il ne coutoit plus, .le 8 M ai, que 2btt 15^
le 9 . . . . • +
le 1 3 ___ 12
le |É . . . . . . . . Z5 l8
le 2 0 . . . . . . . . Z5 6
& depuis' le 25, au-deflous de 24 14
Aînfi, dans le court efpace de treize à quatorze .,
jours fur la feule menace d’un libre Commerce
& avant que l’étranger eût apporté un feul grain
blé le prix diminua de. fiept livres par fetier.
II eft très - effentiel. d’obferver la .différence •
de conduite des Magafiniers, à la fin de Janvier
&au commencement de Mai 1765. A la première
de ces époques, ils virent leur intérêt en danger -,
cependant ils ne firent baiffer les prix que de
trois livres p a r ‘fetier; Ils fe flattoient défaire
croiredèsee tems- là que tous les greniers étoient
vuides. C’eft quatre mois après, pendant lefquels
il s’étoit fait une eonfommation d’un tiers d’année, ;
pendant lefquels on avoit beaucoup; exporté,
pendant lefquels la diftillation des, eaux - de - vie
de grains n’avoit pas celfé, pendant lefquels enfin
l’Angleterre n’avoit pas admis le moindre fecours
delà part de étrangers, que le blé tomba de trente-
une livre douze lois à vingt-quatre livres quatorze
fols. L ’effroi du Peuple avoit donné le plus
énorme avantage au monopole *, 1 effroi des Monopoleurs
à la vue de la concurrence , ramena !
la denrée à un prix proportionné à fa quantité.
Les conféquences droites de ces événemens ne
devroient échapper qu’à des aveuglés réels ou vo- !
lontaires, & par conféquent incurables.
Les récoltes de 1765, 1766 6c 1767 n’ont pas
été abondantes en Angleterre. Cette caufe de
renchériffement de la denrée na point été af-
foibliepar la première fufpenfion desdroitsd entrée
fur les ' blés étrangers. En voici la raifon ; f i , au
lieu de menacer les Magafiniers d’une concurrence
générale, on eût levé brufquement les barrières
qui écartoient le blé étranger , le monopole [déconcerté
n'éût puoppofer aucun obftâcré à cette
prompte concurrence , elle fe fût établie fur-
le-champ , & elle fe fût fou tenue pendant tout
le terris que des récoltes foibles euflent porté le
•grain national à un trop h,aut prix. Mais on fit
deux fautes capitales : l’une d’avertir qu’en pren-
droit le parti de fnfpendre les droits d’pntrée ;
l'aUhe de limiter cette fufpenfion à un tems aftèz
cétirt, au lieu delà rendre perpétuelle.Par-là,
un donna au monopole le teins dont il avoit befoin
pour imaginer de nouveaux artifices. & un moyen,
prefque fûr de les faire réuflir.
Les Monopoleurs s’arrangèrent pour acheter
tout le blé qui feroit importé, & ils le mêlèrent
avec du blé Anglois dont ils foutenoient le prix.
Cette opération eût été infiniment au - cleflus de
leurs forces, fi la fufpenfion de droits eût dû
être permanente. Elle^ vient d’être renouveliéc
en dernier- lieu ( 1 ) ,. & le prix du pain a
baiffé. Mais on ne dillimulera pas que cet heureux
effet ne doit pas; être attribué à la fufpenfion
feule. L é renouvellement de la défenfe
de diftiller du froment y a beaucoup contribué,
& plus encore le bruit quis’eft répandu avec quelque
fondement, que la même défenfe s’ étendroit
à forge. Voilà, continue M. Abeille, les incon-
véniens auxquels l’Angleterre s’eft livrée, en voulant
adminiftrer avec des loix prohibitives, un
Commerce qui, par fa nature & par fon influence
fur l’ordre public , a befoin de la plus grande
liberté. Le monopole, par fa fcuplefîe, par fon
ardeur & fon aélivité échappe par mille endroits,
& aux loix & à la vigilance de leurs Miniflres.
C’eft aller contre l'expérience de tons les fiècles,’
de toutes les Nations, que de fe flatter de l’enchaîner.
On ne peut s’èn rendre maître qu’en létouf-
fanr, & la concurrence peut feule l’étouffer.
Malgré tous les efforts de l’Adminiftration Angloife,
les b lés, depuis trois ans, fe font vendus depuis
vingt - trois jufqu’à trente -une livres douze fols
le fetier. Le bon froment pendant l’Automne
dernier n’a pas été au-deflous de vingt-neuf
livres d ix - huit fols à vingt - huit livres quinze ;
& il a monté jufqu’à trente - une livres douze
lois, Enfin , parce que la gratification & les droits
d’entrée empêche,.;t de contenir les Magafiniers,
& que le monopole a fait monter les grains à des
prix exorbitans, on a cru qu’il feroit avantageux
dé porter une lo i, pour réprimer les progrès du
luxe. (2 )
C ’eft un moyen aflez sûr de borner la dé—
penfe des gens riches ; mais il eft difficile de
comprendre comment il; peut arriver que les
gens riches dépenfant moins, le peuple foit en
état d’acheter du blé exceftîvement cher. Que
de foins & de contradictions fe feroit épargnés
l’Angleterre , f i , remontant à la foiïrce des maux
qu’elle éprouve depuis 1765, (3) elle eût fenti la
néceffité de fnpprimer pour jamais une grati-
.. ( 1 ) Par un Bill du 9 Décembre T 7^.7 * f
. ( 2 ) Voye-^ l ’ article de Londres , du 29 Décembre 17 &7 j
dans la G az e tte de France du 8 Janvier 176?.
( 3 ) L’Ouvrage de M. Abeille eft imprime en 176s,