
de ceux qui vivent en co r e , me le pardonneront
en faveur de deux motifs qui m’animent, dont
l ’un eft d’empêcher les perfonnes, qui les liront,
de tomber • dans quelques erreurs, & l’autre
de rendre juftice à ces auteurs ; car en même
tem s, que je les blâme, je m’occupe à les approuver
, comme on va le voir dans tout ce
qui eft conforme à l’expérience & à la raifon,
& je ferai connoître facilement que les litres
qu’ils ont à la reconnoiffance publique pour les
exceliens confeils, dont leurs écrits font rem-
•plis, doivent effacer les légères imperfections
qu’on y trouve.
Les anciens ont reconuu qu’il falloir divifer la
terre par des labours, la fumer convenablement,
& lui donner du repos, c’eft-à -d ire, la laiffer
en jachères. Ce font là les principes qui font
encore admis & réduits en pratique par la pins
part de'nos cultivateurs. A la véiité,ils ne favoient
pas que les plantes fe nourriffent autant par les
feuilles, que par les racines. Mais comme elles
fe nourriffent véritablement par leurs racines,
il s’enfuivoit pour eux , comme pour nos cultivateurs
, la néceflité de labourer, engraiffer &
laiffer repofer. Les nouvelles connoiffances nous
ont appris qu’on pouvoit fupprimer les jachères
©u au moins les rendre plus rares en alternant
avec différentes plantes. Voilà ce que nous favons
plus qu’eu x , & ce que nous devons fans doute
•à nos communications avec les autres cultivateurs
du monde, & à la phvfique qui nous éclaire.
Virgile étoit dans fa voie de la vérité., quand
il a dit que les principes ât la pratique de la
culture étoient fondés fur la nature du fol ; en
effet, félon qu’il eft fuperficiel ou profond ,
léger ou compaél, fec ou humide, il eft fufcep-
îible d.e différentes cultures. Mais il falloit aller
plus loin & compter pour quelque chofe l’expo-
fition du fol ,1a température de 1 a ir, les labours;
le plus ou moins de pluie, les amendemens & la
manière de végéter des plantes, circonftances
qui avec la nature du tetrein, doivent déterminer
la conduite du cultivateur. '
On ne peut nier fans doute, fur-tout dans le
Yoifinage de la mer , que les diverfes phafes de
la lune n’influent plus ou moins fur l’état de
l ’air & par conféquent fur plufieurs opérations
rurales. Mais c’eft une erreur des anciens &
particulièrement de Virgile, de croire que certains
Jours de la lune font favorables , pendant
que d’autres font funefles, & qu’on doit profiter
du croijprnt & redouter le decroijfant. On eft
étonoé que l’auteur des Géorgiques, ouvrage,
qui offre tant d’intérêt, à caufe de l’exaéïitude
de fes deferiptions & de l’excellence d’une partie
de fes préceptes, ait adopté ce préjugé des cultivateurs
de fbn pays & de fon temps, lorfque,
contre le fentiment de fes' contemporains, il
prétend avec raifon , qu’on ne doit pas borner
les labours à d eu x , ni à quatre, mais les tnul*
tiplier, félon les befoins de la terre.
Les anciens voyoient jufte fur la profondeur
à donner aux labours. Selon eux, il eft néceffaire
quelle foit plus confidérable dans les terres
fortes, que dans celles qui font légères. Il eft à
préfumer que Virgile ne pari oit que des terres
fortes , lorsqu’il difoit qu’il ne falloir les labourer
ni en hyver ni en été ; dans la première de ces
faifons elles font trop humides, & dans l’autre
trop lèches.
L’utilité des engrais ne leur avoit pas échappé.'
Le m o tif, fur lequel ils la fon d o ien t, ne valoir
rien. Ils prétendaient que c ’étoic parce que la
terre vieilliÿbit : mais que ce fut par ce motifi
ou par un autre, il fumfoit qu’ils reconnuffeni
cette utilité. Au refte, nous exprimons au fo n d .
la même id é e , quand nous difons que la terre fe
lajfe, s’e'puife , a befoin de nouvelles forces , enfin
quil faut Vengraiffer. »
Columelle jugeoit que le meilleur engrais étoil
celui qui provenoit des excrémens des animaux.
Il y comprenoit la matière fécale de l’homme.
Caton faifoit femer des fèv e s, des lupins 8c des-
raves, pour les enterrer; c’eft ce qu’on fait encore
avec beaucoup d’avantages en France.-Virgile
recommande de brûler les chaumes, pratique
excellente, lor (qu’on a la facilité de l’employer.
Les anciens, comme les modernes, faifoient de
la litière à leurs befliaux avec les tiges & les
feuilles de diverfes plantes, & cette litière leujt
fervoit d’engrais. Ilsrépandoiem dans leurs terres,
pour les amender, une matière qu’ils appelloient
argille blanche. N ’eft-ce pas là la jnarne cràïeufè ou
calcaire. Les engrais étoient portés aux champs
dans le temps favorable & mis dans les proportions
convenables. C’eft-Ià précifément ce que
nous faifons. Leur conduite à cet égard ne différé
pas de la nôtre.
Quelques-uns croîoient que pour rajeunir la
terre, il falloit la laiffer dans un repos abfolu
c’eft-à-dire, fans la labourer. Ils ne.voyoient
pas qu’une terre, en friche s’épuifoit autant à
produire des herbes inutiles , que fi elle en pro-
duifoit d’utiles. Ils étoient cependant fur la voie
du véritable repos , c’eft-à-dire , de celui qui
confifle à faire porter à la terre des plantes ,
pour lefquelles il faut moins d’engrais; car Virgile
lui-même, qui donne le confeil du repos
abfolu, ajoute que , fi on ne veut pas perdre
une année , il n’y a nul inconvénient de femer
des lupin s, des fèv e s, vesces , ou autres légumes
qui loin d’amaigrir le fol , le bonifient. Columelle
plus éclairé, décide la queftion fur la
vieilleffe de la terre en affûtant que celle qui
eft bien fumée ne s’épuife & ne vieillit jamais.
Par ce peu de réflexions fur les opinions des
anciens agronomes, on voit que s’ils ont tjonné
dans quelques erreurs, qui ienoient aux préjugé
ne leur temps, ils ont connu & ehfeigné de
grandes vérités. J e paffe à l’examen des fyftême,s
des modernes les plus accrédités, .
Tull eft un de ceux qui ont fait le plus de
bruit en France. La nouveauté de fes idées, la
nation dont il étoit, le. moment où a paru fon
fyftême, ( c ’étoit celui où les gens éclairés com -
mençoient à s’occuper d’Agriculture ) , enfin le
mérite des hommes qui l’ont traduit & qui fe
fonr occupés de vérifier ce qu’il annonçoit, tout
a concouru à lui donner une grande célébrité
qui ne s’eft pas fourenue. Je paffeTous filence
fa manière d’expliquer le méchanifme de la végétation
^ &• la nourriture des plantes. Tull farts
doute n’étoit pas phyficien. Il ignoroit comme
les Anciens, que le sfeu ille s font aufli utiles à ;
la nutrition que les racines. 11 leur reconnoît
cependant la propriété de fervir à la tranfpi-
ration, & fous ce rapport il les croit néceffaires,
j- blâme l’ufage où font quelques Cultivateurs
de faire paître la fommité des blés en herbe par
les moutons. S’il y avoir réfléchi, il eût vû ,
que le but de tout Fermier eft de retirer de les
champs le plus de grains poffible.Or, il eft démontré
que quand les feuilles font trop hautes
& trop fortes avant l'Hiver, les tiges s’élèvent
trop, verfent & donnent tr è s- p eu ‘de grain;
car la grenaifon eft fouvent en raifon inverfe
de la hauteur des tiges. 11 eft donc néceffaire,
pour ralentir la sève', de les faire brouter par
les moutons, pour s’épargner la peine de les
effaner, ou le défagrément de les voir reriverfer .
par les pluies, au point de ne pouvoir fe relever.
Un des principes de Tull eft que tout fol avec '
de l’eau & de la chaleur peut nourrir toutes fortes :
de végétaux. Il ne faut pas être un grand Phyficien
pour fentir combien, cette affertion eft
fauffe ; la preuve que Tull en .donne milite
niême contre lui ; car il fe fonde fur ce qu'on ;
élève dans nos climats des plantes étrangères,. ■
qui fe trouvent dans une terre bien différente
de la leur. Sans doute quelques plantes étran- :
gérés, s’élèvent bien dans notre fol; mais,,outre
que ce fql peut être de même nature que leur
fol natal, on ne: doit gu.ères attendre de fuccès "
que de l’introduélion des plantes qui- croiffent
à-peu-près fous la même latitude. Combien de
végétaux exotiques’ bien arrofés & bien foignés,
languiftent dans nos jardins, fur nos couches5 .
dans nos ferres-'chaudes même? Loin de: s’en
àutorifer, Tull auroit dû en conclure que tout
fo l avec de l’eau & de la chaleur- ne nourriroit
pas toutes-fortes de végétaux-.-
Le fyftême de Tull eft conféqiienr à fes principes,
puifqu’il confifle à mettre les racines dans
la- pofition la plus favorable pour profiter des
fucs propres à la. végétation de toutes fortësde
plantes. On ne peut le faire, félon lui, que par
une bonne Culture de préparation & de fréquerisî
labours,, pendahfl’aççroiffement des plantes, H •
fait tant -de Cas des labours qu’il les préfère au*
engrais, & veut- q.u’011 remplace ceux-ci par ceux-
là. Sa manière eft de labourer par billons, dans
lefquels on peut mettre trois ou quatre rangée»
de blé, & de laiffer entre les billons des efpaces
vuidés , de même étendue; on laboure plufieurs
t à la houe à. chevaux pendant la végétation
des blés ÿ les efpaces vuides q u i , après la ré-*
colte des billons-,- fe trouvent .en état d’être
enfemeneés, & ainfi alternativement,, en forte
que la moitié d’un- champ rapporte une année
& l’autre moitié l’année fuivante.-
Pour renverfer ce fyftême en peu de mots ?
il fuffiroit de dire qu’on rend infertiles les terres
légères , en les labourant plus de deux ou trois
fois avant de les • enfemencer, & que, fans
engrais, une terre, qui n’eft plus une terre vierge
ne produirait pas certaines plantes, ou n’en pror
duiroit que de foibles. Les labours répétés font
indifpenfables dans les terres fortes & compares-,.
& on n’a pas befoin d’engrais dans un champ
nouvellement défriché ; fl Tull eût établi cette
diftinétion, il eut prouvé qu’il connoiffoic biett
l’Agriculture.
On ne doute point que fa méthode de c u l-
tiver par planches ne foit bonne ,. & que les
billons, par-les labours des efpaces vuides donc
on rejette la terre de côté , n ’acquèrent plus
de fertilité; mais les foins de détail que cette
(Çulture e x ig e n e conviennent pas à de grandes
exploitations. .Un .petit Cultivateur peut l’em-'
ployer, parce qu’il prend les momens où il n’eft
pas occupé: à d’autres travaux,. n’ayant poina
une grande machine à conduire, &e.
Tull n’auroif pas rempli fon’ but,> s’il n’eût'
nas imaginé un femoir qui répandît également
la femence fur les nouveaux billons,- & qui
1 enterrât em même-tems ,-parce que l’enfemen-
Cement à la main auroit jetté’ le grain f\ir les’
anciens billons; C’eft une complication' de plus
à fa Culture. Les- gens de la campagne n’aknenc
point les machiner embarraffantes. D ’ailleurs un
femoir, quelque parfait qu’on le fuppofe, ne
répand pas la femence avec égalité dans les ter res-
pleines de moites* oii; de pierres,, comme dans
les terres douces ,, bien atténuées;
J aurois encore quelques reprochera faireàü»
idées de Tull ; mais je me bornerai à rappeller
qu’il croit effenriel de cHoifir fa femence dans
un terrein’ meilleur que celui où il l’emploie,.
qu’il préfère les grains d’une terre bien cul-’
tivée. J e le crois d’autant moins fondé que fou -'
vent j’ai obtenu de bonnes & belles récoltes d&
grains-, pris en pays- de maiivaifes terres & d®.
grains retraits, augertSi chétifs;' mais cet Agronome
donne un excellent avis, en confeillanc
d’employer plus de femence dans le s terres lé-;
gères que dans les terres fortes;
. Lorfque le fyftême de Tull parut', Buffort le?
fit c o n n o t e e » franco. Duhamel du Monceaux^