
vatenrs, donne la préférence au rouiflage à Feau
gagnante, parce qu’il s’opère plus promptement,
& parce que la filafle en eu plus douce. A la vérité*
elle efl quelquefois jaune ou brùne;roais ces teintes
n’altèrent pas fa qualité. Elle n’en eft, félon lui,
que plus facile à blanchir. M. Marcandier, qui a
fait un Ouvrage eftimé fur le Chanvre, prétend
que l’eau la plus claire, eft la meilleure pour le
rouiflage, que le Chanvre qu’on fait rouir dans
les rivières, efl toujours le plus blanc & le mieux
conditionné ; qu’il a moins d’odeur & laifle moins
de déchet au travail ; qu’il ne fournit que très-peu
de cette pouflière, qui incommode les Ouvriers,
en leur eau Tant, quelquefois, des inflammations aux
yeux, aux lèvres, un reflerrement à la gorge, de
la chaleur à la poitrine, des diarrhées ou gonfle-
mens de ventre.
Des expériences faites par la Société d’Agricul-
ture de Bretagne, fembleroient décider Iaquefiion,
pour le Chanvre feulement. Car il en efl réfulté
que, du Chanvre roui dans l’eau dormante, comparativement
avec du Chanvre roui dans l’eau
courante,a donné plus de maître-brin,mais plus de
déchets, & que ces déchets n’ont porté que fur les:
préparations inférieures'ceux du Chanvre roui à
l’eau courante,ont porté fur toutes les préparation.
Je ne rappellerai point les opinions d’un grand
nombre deperfonnes, dont j’;^ les mémoires entre
mains; elles rentrent dans cellesdeMM. Duhamel
& Marcandier. Il feroit à defirer que les expériences
de la Société d’Agriculrure de Bretagne fufîent répétées,
& qu’on les portât jufqu’à faire des fils comparés
des Chanvres roms des deux manières, pour
reconnoître le degré de ténuitéqu’unemême fîleufe
pourroit leur donner. C’eftuneidéede M. Abeille,
Secrétaire de la Société d’Agriculture de Bretagne,
& maintenant un des Infpeéleurs du commerce.
J ’ajouterai que, pour rendre cette expérience plus
Complette, il feroit nécefiaire qu’elle fut faite, en
même-tems, dans différentes parties de la France *,
& que, non-feulement, on y fabriquât du fil avec
du Chanvre roui à l’èau fiagnante & à l’eau courante
, mais qu’on en fît des cordages & des toiles.
Peut-être le peu d’accord des obfervateurs vient-
il de ce qu’on regarde la blancheur comme une des
premières qualités de la filafle, defiinée à faire de
la toile, & la force comme lapluseflentielle pour
les cordages ? 11 efl certain que la filafle du Chanvre
;• roui dans l’eau courante, efl plus blanche que
celle du Chanvre roui en eau ftagnante. Mais, dans
l’eau courante, le Chanvre fermente , toutes les
parties qui féparent les brins de filafle fe diffol-
vent, de manière que la filafle efl plus pure, &
par conféquent plus forte.
Les Habitans des bords de la Somme font rouir
leur Chanvre dans des trous, dont la tourbe a été
extraite; l’eau en efl belle & elaire.Ces trous ont de
douze à quinze pieds quarrés , & beaucoup de
profondeur. On fufpend les bottes à des perthes,
qui fe pofent en travers, & plongent dans l’eau ;
car il faut que le Chanvre foit toujours couvert
d’eau. Les filafles, qui en réfuitent, font blondes
& nettes. Elles ne doivent pas être aufli fortes que
celles des hottes du Chanvre roui en eau fiagnante,
& entaffées les unes fur les autres, feul moyen d’y
exciter une fermentation utile à la défunion des
parties. Mais ce rouiflage peut fuflirè pour préparer
le Chanvre deftiné à certaines manufactures.
Ce que 'je viens de dire fur le rouiflage à eau
fiagnante, peut s'appliquer à celui qui fe fait dans
l’eau, dont il ne fe renouvelle qu’un [filet ; car,
la différence entre ces deux rouillages, neconfifte
que dans un peu plus de tems qu’exige le dernier.
A Barcelone, M. Salva, Médecin, qui a fait des
recherches très-utiles fur le rouiflage du Chanvre,
a vérifié que vingt-quatre heures de plus fuffifoient
pour rendre le rouiflage à l’eau, dont il ne fe renouvelle
qu’un filet, égal à celui qui fe fait en eau
fiagnante.
Le rouiflage dans les rivières a un inconvénient
qui, à la vérité, n’eft qu’accidentel, & n’a pas lieu
tous les ans. Les orages les font déborder, & accélèrent
l’impétuofité du courant qui, quelquefois,
emporte le Chanvre, ou y accumule des terres ou
des fables. S i, dans les grandes eaux, on ne peut
le retirer, il s’altère & pourrit.
On ne s’apperçoit gueres de ce qui fe paffe pen-?
dant le rouiflage du Chanvre en eau courante;
mais, dans les routoirs, on peut en fuivre prefque
tous les phénomènes. Les deux premiers jours, il
fe dégage de l’air atmofphérique ; le troisième:,
c ’eft du gaz acide ; enfuite, de Fair inflammable.
Si c’eft en Eté, il ne fe dégage plus rien après le
fixième jour. L’eau fe colore, fe trouble, & devient
d'une très-grande fétidité. Le poîffon y meurt.
,M. Luce,ayant mis macérer du Chanvre dans un
vafe bien verniffé, plein d’eau, a recueilli tout le
gaz qui s’en efl échappé. Il y avoit les deux tiers de
gaz méphitique.
On a été perfuadé long-tems que,pour opérer le
rouiflage, il fuffifoitdefaciliterladiflblutiond’une
gomme contenue dans le Chanvre; mais on efl
convaincu, maintenant, qu’il s’y trouve aufli une
fubftanceréfineufe. M. l’Abbé Rozier, fi eftimé par
fes travaux en Agriculture, & Auteur d’un excellent
Mémoire fur le Chanvre, croit, avec d’autres
Phyficiens, que la gomme du Chanvre, en
fermentant dans l’eau, détermine la féparation de
fa réfine. M. Salva, Médecin de Barcelone, qui a
remporté un prix fur le rouiflage du Chanvre ÿ
s’eft afluréde la préfence des deux fubflances, en
féparant une livre de Chanvre dé fa Chenevotte,
fars rouiflage, & en la biffant dans le meilleur ef~
prit-de-vin tartarifé, pendant plus de deux mois;
L ’efprir- de - vin s’efl coloré en couleur d’or.
M. Salva en a retiré 72 grains de réfine : le même
Chanvre, remis enfuite dans l’eau, a donné Z70
grains de gomme. Ainfi, dans cette expérience, la
proportion de la gomme à la réfine étoit d’environ
un cinquième. Elle doit varier fuivant les
lieux, la nature du fo l, l’année & la perfcélion
du rouiflage. M. Prozet, de deux onces de Chanvre
a obtenu 48 grains de réfine, & 86 d’extrait
gommeux. 11 paroît que ces fubflances étoient en
plus grande quantité dans leXhanvre, qu’il a ana
lyfé, que dans celui que M. Salva a fournis a 1 examen.
La proportion de la réfine étoit plus forte,
puifqu’elle étoit environ d’un tiers, au lieu d’un
cinquième : ce qui peut dépendre de la nature du
fol & du climat; l’un, ayant fait fon expérience ù
Bar:elonne, & l’autre, à Orléans.
Quand le Çhanvre efl fuffifamment roui, on le
retire de l’eau, on le lave, poignée par poignée,
on le laifle égoutter quelquefois cinq ou fix jours;
on l’étale, ou de bout lelong d’un mur, ou fur la
terre, ou fur un pré, jufqu’à ce qu’il foit parfaitement
fec. Si le rems efl pluvieux, on le fait
lécher fous quelqu’abri,& même au hâloir, donc
je parlerai plus loin. Aux environs de Grafle , on
bat le Chanvre, fur-tout le Chanvre femelle, avec
des maillets, quand il efl roui, pour le rendre plus
fouple.
Au moment,où l’on retire le Chanvre de l’eau, &
où on le metfécher , on n’éprouve qu’une légère
odeur,défagréable,s’il eft roui dans une rivière, un
peu confidérable. Mais l’odeur qui s’en exhale efl
très-fétide,fi le rouiflage s’efl fait en eau fiagnante.
Cette odeur a d’autant plus d’intenfité,que lerouif-
age s’efl opéré plus promptement, queleroutoir efl
plus petit, que l’eau n’en a point été renouvellée.
L ’eau d’un routoir flagnanr, après le rouiflage,
efl blanchâtre, trouble, favonneufe. 11 y fumage
une écume épaiffe, irifée, remplie de filamens,
quelquefois verdâtre , qui fe dépofe au fond.
Elle a une odeur putride & la faveur fade. .
On attribue aux exhalaifons des routoirs fia-
gnans & du Chanvre qui fèche, après être roui,
plufieurs maladies, qui attaquent les homme?dans
les pays à Chanvre. La Société Royale de Médecine,
occuppée de tout ce qui peut intéreffer la
fanté publique, a propofé un prix d’encouragement,
à ceux qui donneroient les meilleurs ren-
feignemens fur cet objet. Il lui efl parvenu beaucoup
de Mémoires, dans lefquels les Auteurs ont
du entrer dans des détails de la culture du Chanvre,
& fur les différentes manières de le rouir,
employées dans leurs pays. Elle en a reçu du
Lyonnois, du Bourbonnois, de la Bourgogne,
de la Franche-Comté, de la Lorraine, de la
Champagne , de la Flandres, de la Picardie , de
la Bretagne, du Poitou, du Rouergue, du Quer-
c y , de la Guyenne, de la Provence, &c. J ’y ai
puifé des connoiffances qui me manquoienr pour
compléter cet article. On eft en quelque forte
autorifé à regarder le Chanvre en rouiflage,
comme caufe de maladies, par l’odeur vireufe de
cette plante en végétation, par la douleur de tête
qu’elle occafionne à quelques-uns des Ouvriers
qui l’arrachent, par l’enivrement des animaux,
que le hafard a fait coucher fur des tas de Chan-
1 vre femelle, nouvellement récolté, par b mort
du poiflbn ,dans certains routoirs flagnans, & par
le dégoût qu’infpire aux beftiaux l’eau des routoirs.
Mais ce ne font-là que des conjeélurcs & une
Ample préfomption. 11 faut des faits, bien confta-
tés, pour r.ejetter fur le rouiflage du Chanvre,
les maladies automnales. On peut dire , qu’en
éclairciffant plufieurs points , incertains fur le
rouiflage les Auteurs n’ont pas fourni de quoi
déciderabfolument laqueftion de Médecine, tres-
difficile à la vérité. Il efl certain qu’il règne, tous
les ans, des maladies, dans les pays à Chanvre, &
ce font fur-tout des fièvres réglées. Mais la caufe
de ccsmaladiesefl-elle uniquement le rouiflage,
ou le rouiflage combiné avec les exhalaifons des
marais ? Ou , font-ce les exhalaifons feules des
marais , très - communs dans les pays à Chanvre?
On ne parviendra à réfoudre cette quefiion,
qu’en prouvant que les maladies régnantes
dans les pays à Chanvre ont lieu ou n’ont
pas lieu dans les antres pays ; qu’on les y
trouve avec la même intenfité, ou avec une in-
renfité moindre , quand elles arrivent avant
l’époque du rouiflage , ou feulement quand il efl
commencé, qu’enfin, des roùtoirsayanr été établis
dans des pays où il n’y a pas de marais, il a régné
dans ces pays, depuis cet établifiemenr, des maladies
qui n’y régnoient pas, & qui ont cefféauffî-
tôt que les mêmes routoirs ont étédétruits. 11 faut
efpérer que ces queflions , foumifes de nouveau
à la fagacité & à l’obférvation des Savans,
feront quelque jour bien éclaircies, & que le
Cultivateur, apprendra du Médecin, les caufes de
ces maladies & les moyens d’en diminuer les effets.
En attendant, je confeille de faire prendre aux
Ouvriers quelques précautions. Ils ne doivent
point aller refpirer l’air des routoirs avant lefixiè- .
me ou huitième jour ; ils entreront le moins polfi-
hle dans l’eau , foit en plaçant, foit en déplaçant
. les bottes de Chanvre, pour éviter les maladies
dépendantes de l’humidité. Les propriétaires de
rouroirs, foit communautés de villages, foit particuliers,
feront nétoyer les routoirs, fur-tout
en Hiver, &en Eté, par des tems de pluie, & même
après chaque rouiflage. Parce moyen on préviendra
les imprudences & l’infeélion.
M. l’Abbé Rozier, pour empêcher l’odeur des
routoirs, confeille d’y établir un moulin à vent,
dontle moteur s’emploieroit à agirer l’eau à la plus
grande profondeur, & de planter autour des peupliers,
qui en ahforberoient l’air inflammable. Il
croit qu’on pourroit encore y jetter de l’eau de
chaux, ou tremper du Chanvre dans cette eau. Ce
dernier moyen auroit au moins l’avantage de donner
à l’eau du routoir une vertu plus diffolvame.
Une L o i , d?après le rapport des Médecins, défend
de rouir du Chanvre, auprès de Barcelone ,
avant le 4 Août. On ne voit pas les motifs de cette
Loi, qui peut-être eft exigée par des circonftances
locales. M. Salva la blâme, & fe fonde fur ces