
C O N
Blé dans des moies de paille.
Dans l’ Ifle de Fortaventure, une des Canaries,
les habitans font dans i’ulage de conferver lents
grains dans le centre de moïes de paille, quils
eonftruifent de cette manière :
Ils font avec de la paille d’orge, qui a toute
fa longueur, un cercle plus ou moins grand -,
ils élèvent ce cercle en forme de pyramide, en
rempliffant l’intérieur de paille hachée. Lorfqu ils
font parvenus à une certaine hauteur, ils affament
le cercle moyennant quatre planches ou quatre
pièces de bois, placées en travers, fur lefquelles
.fis mettent de groflés pierres, ou fur lefquelles
îles hommes fe pofent. On fait un trou dans
Je milieu , dont on ôte la paille hachée, fans
ôter celle du fond. On jette dans ce . trou cinquante
& jufqu’à cent fanegues de grain. Voyei
F anlcde. Ce trou étant rempli, on en recouvre
l’entrée de quelques branches, & on continue
à élever la pyramide, en garniffant 1 intérieur
de paille hachée , & en lui donnant la forme
de dôme, que l’on fcelle avec quelques pierres
& du mortier. De cette manière , les habitans
de Fortaventure confervent leurs grains deux
ou trois ans, fans qu’ils fe mouillent ou fe gâtent
autrement.
Je fuis étonné que cette manière de conlerver
les grains ne foit pas plus répandue , fur-tout
danslespays chauds. Un de mes Correfpondans,
Con fui aux Canaries, me l’a fait connoître depuis
quelques années. Dans un petit efpace , il |
efl facile dé placer beaucoup de grains. Le fond
de l’intérieur de la pyramide , fes^ parois & le i
haut étant bien garnis de paille , l’humidité ne
peut’ pénétrer julqu’au grain. Si on n’avoit que
des gerbes d’orge courtes, on pourroit en mettre
deux bout - à - bout. Le piquant des bâles d’orge
en écatte les fouris. Ce moyen réunit donc
de grands avantages.
Blé dans des Souterrains.
En 17S3 , M. le Baron de Servières a publié ,
dans le Journal de Phyfique, des recherches
fur les greniers fouterrains, connus fous les noms
de mattamores , matmoures , qui lignifient en
langue orientale, cachette ou magafin Jouterrain.
Ces efpèces de greniers étoient en ufage chez
les peuples les plus anciens. Varron, Columelle,
Pline & Hirtius nous apprennent que les Cappa-
dociens, les Thraces, les Éfpagnols, les Africains
enterroient leurs olés dans des foffes ou
puits, appellés fyres. La même chofe fe pratiquent
chez les Phrygiens, les Scythes, les Hirca-
piens, les Perfes, &c.
Les mattamores furent inconnus aux Egyptiens
, à caufe des inondations du Nil. Dans
les fiècles les plqs reculés & du tems de Jofeph,
l’Egypte avoit des greniers publics.
En Grèce, les greniers furent adoptés aflez
tard. On lit, dans Héfiode, qu’on ferroit le blé
avec fon épi , dans des vafes de terre, ou dans
des corbeilles.
Les Romains confervoient une partie de leurs
blés dans de grandes urnes, ou jarres de huit
à neuf pieds de hauteur, fur dix à d >uze de
diamètre. Us avoicnt aufli des greniers fouter-
rains, horrea defofia , dans lefquels le blé étoit
entouré de planches. 11 étoit défendu de bâtir
aux environs plus près de cent pieds, & ordonné
que ce qui m trouveroit dans cet efpace, feroit
démoli, de crainte des incendies.
Dans notre fiècle, les mattamores fe retrouvent
chez les différens peuples d’Afrique & dÈurope.
u J ’ai vu quelquefois, dit Shaw, deux ou trois
>5 cents de ces mattamores enfemble , dont les
jjplus petits pouvoient contenir quatre cents I
jjboiffeaux de blé. Il efl probable que la prin-
jj cipale raifon qui a fait imaginer cette cou-
jjtume aux Anciens, & qui la fait fuivre encore
1 j5 aujourd’hui, efl la commodité que les habitans
>5 y trouvent -, car il n’eft pas naturel de croire
jj que les anciens Nomades, non plus, que les
jj Arabes modernes, enflent voulu fe donner la
jj peine de bâtir, à grands frais, des granges
jj de pierre, lorfqu’ils pouvoient conferver leurs
jj grains, fans dépenfe, dans les différens endroits
jj où ils campoient,pour recueillir leurs moiffons.»
Suivant le Père Labat, les greniers fouterrains
font ufités dans plufieurs cantons de l’Italie, en
Efpagne, à Malte & en Sicile. A Livourne &
à Gênes, les magafins de blé font fous les fortifications
• on les appelle aufli mattamores. De
femblables dépôts furent creufés par les Efpa-
gnols à Ardres, petite Ville, du Calaifis. On dit
qu’à Metz, les habitans font dans l’ufage de conferver
du blé dans dçs magafins fouterrains. Div
e r s peuples du Nord de l’Europe n’ont pas
d’autres greniers que des mattamores. L ’Ukraine [
& le Grand-Duché de Lithuanie en font rem-
• plis. C’eft principalement en Hongrie qu’ils font
le plus multipliés. Voici la manière dont les
Hongrois forment leurs mattamores-. Hors
des villages & communément à une portée
de fufil, toujours dans le terrein le plus élevé,
chaque payfan creufe un puits en forme de
poire ou de bouteille. La profondeur efl de
quinze à vingt pieds, fur une largeur de moitié,
quand la terre efl enlevée, on jette dans ce
trou de la paille, à laquelle on met le feu.
Cette opération, répétée pendant trois jours,
sèche & noircit les parois. Lorfqu’elles font refroidies,
on rapide le fond & le tour du grenier
d’une bonne couche de paille, à meîure
qu’on le remplit de blé. Le grain doit être battu,
fec & nétoyé quand on l’enferme. Les uns,
affure-t-on, l’afpergent à plufieurs reprifes avec
| de l’eau; le grain mouillé fe gonfle & germe-
| les radicules & les tiges entrelacées forment une
croûte, qui défend le refte du moifteeau. Les
autres couvrent le grain de deux pouces de
chaux ou de plâtre réduit en poudre très-fine*
& mouillent la furface de cette croûte ; par ce
moyen l’air extérieur n’a plus d’accès jufqu’au
«rain. S’il s’y trouve des infeéles, ils périftent,
faute d’air, ou fi leur première génération ne
périt pas, la féconde n’a pas lieu. On ne met
pas de grain jufques au haut, parce qu’on le
recouvre de deux pieds de paille. Ordinairement
on bouche le trou avec une roué de charrue,
fur laquelle pôle un clayonage; on achevé
de le couvrir avec de la terre argilleufe.
La continence de ces foffes efl à-peu-près
de cent mefures, pefant chacune un quintal.
Dans ces greniers les Hongrois enmagafinent le
froment, le feigle & l’avoine, mais non les
pois, ni le maïs qu’ils cultivent en abondance
pour engraiffer les cochons. Par l’établiflement
des mattamores, fi les villages viennent à brûler,
les fubfifiances font épargnées.
Le blé dans les mattamores, contracte un goût
de grenier; il efl rude à la main; on corrige
un peu ce défaut en le criblant, & en l’expor
fant fur des draps à petite épaiffeur, à l’air &
*11 foleil. Dans les beaux jours même on donne
de l’air aux mattamores; en les découvrant on
y laiffe toujours la petite roue, pour empêcher
que les hommes & les befliaux n’y tombent.
Malgré l’attention de donner de l'air quelquefois,
il s’en dégage une mofete, capable d’af-
phixier les hommes,- qui defeendroient dans ces
trous, au moment de l’ouverture. Pour éviter
cet accident, on découvre les mattamores vingt-
quatre heures avant d’y defeendre.
Les mattamores d’Italie font en pierre; on
en fait le plancher, & on enduit les joints avec
un mortier de fable du pays mêlé avec un peu
de chaux; il forme un maftic impénétrable aux
infeéles, & qui fe durcit en vieilliffant.
Le blé. fe conferve long-tems dans les mattamores,
à l’abri des alternatives du chaud & du
froid,de k féchereffe & de l’humidité,il n’éprouve
pas les mêmes altérations que celui qui efl à
l’air. On fait que c’eft en ôtant la communication
avec l’air extérieur, qu’on conferve les
oeufs, les viandes, les ✓ fruits & c ., & que ,pour
cette raifon, on les tient plongés dans du fe l ,
delà cendre, du fable, de l’huile, du fucre,
&c. Un grand nombre d’exemples prouvent,
que le blé efl long-tems bien fain dans les
mattamores. M. de Servières cite celui qu’on
trouve encôre dans des greniers fouterrains de
la Hongrie, où il efl, à ce qu’il croit, depuis
1516, lorfque Soliman I I , Empereur des Turcs
écrafa la nobleffe hongroife. En 1707, on découvrit
à Metz un magafin de grains, dépo-
fés en 1523, environ deux fiècles auparavant.
On en fit du pain, qui fut trouvé très-bon,
.mais de peu de faveur. On découvrit aufli à
Sedan une mafle de blé, qui exiftoit depuis cent
dix ans; il étoit recouvert d’une couche épaiffe,
qui défendoit le furplus du contaét de l’air.
Blé a Voir libre b dans les greniers élevés.
La manière la plus ordinaire de conferver le
blé efl de le placer fur le fol d’un grenier ou d’un
magafin. Il ne faut pas que tout l’efpace fojt
rempli , parce qu’on doit en ménager pour les
inflrumens utiles dans un grenier, & p.our avoir la
facilité de remuer le blé.
L ’endroit, où doivent être fitués les greniers
à blé, n’efi point indifférent. Toute efpèce de
local ne leur convient pas : ils feroient mal fitués
au-deffus d’une écurie, d’une vacherie, d’une
bergerie, d’un trou à fumier ou d’un puifard
infeél. Dans les fermes bien entendues, on ré-
ferve les g ren ie rsq ui font au-deffus de j étables
pour y placer l’àvoine, moins fufceptible de
s’échauffer & les bâles & menues pailles, qui
n’y féjournent pas long-tems.
Lors de la conftruélion des greniers publics
de Strafbourg, on a pris trois précautions : la
première, de les placer dans l’endroit le plus
aëré de la ville ; la fécondé, de le9 mettre près
de la rivière, pour la facilité du chargemert
& du déchargement, de manière cependant,
qu’ils fuffent aflez élevés, pour être à l’abri
des inondations & de l’humidité; la troifième,
d’expofer au Nord le devant de l’édifice, qui
n'a que quarante pieds de large, afin qu’il fût
moins expofé à la neige & aux pluies. Il en
eut beaucoup fouffert, fi le flanc, qui a quatre
cents pieds, fe fût préfenté au Nord. L ’expo-
firion des magafins de Strafbourg, convient au
local, parce que la neigé & les pluies y viennent
du Nord. Car, dans beaucoup d’autres pays,
il eût mieux valu que le flanc eût été à l'af--
peél du Nord.
Les pays du Midi, étant moins expofés que
ceux du Nord à l’humidité, & ayant à craindre
trop de chaleur, peuvent établir leurs greniers
au rez-de-chauffée, où ils feront mieux que
dans des bâtimens élevés & à plufieurs étages.
Lorfqu’il y a des charanfons dans un grenier,
ils fe répandent dans ceux du voifinage,
même à une certaine diflance. Cette obfervation
a engagé des Commerçans en blé & des fermiers
intelligens qui ont des magafins dans les viile*,
à établir de préférence leurs greniers dans les
fauxbourgs, loin du lieu où le tient le marché,
parce que c’eft toujours à proximité de ce lieu,
que là plupart louent des greniers, afin d’éco»
nomifer les frais.
Dans plufieurs parties de la Suiffe, M. de
Malesherbes a vu les greniers ifolés & fié parés
des maifons. Us font conftruits de manière k
garantir les grains de l’humidité & des fouris &
des rats. Le bâtiment efl de bois porté fur
M é f â ij