
Le défaut de Clôture occafionne, par le dommage
des beftiaux , une perte beaucoup plus
contidérable qu’on ne le croit ,* j’en vais faire
l'évaluation.
Quelle que foit la vigilance desbergers, quelques
bien dreffés que foient les chiens, il n’y
a point de mouton qui ne prenne chaque année,
fur le bord des chemins & fur les libères des
communes & des parcours, de foixanteàSoixante
-dix livres de grains, foit en épis, foit en
herbe : ce n’eft pas quatre onces par jour.
En fuppofant trente mille Villages, & deux
cent cinquante moutons dans chacun , ce dommage
eft d’un million huit cent cinquante mille
fep tiers.
Si les grosbefliaux font le même dégât, comme
cela peur être, à caufe de la prodigieufe quantité
de voituriers qui n’entrent point dans les
Auberges, & qui couchent avec leurs chevaux
dans les champs, c’eft trois millionsfept cent cinquante
mille feptiers. A vingt - quatre livres le
feprier, c’efl quatre-vingt-dix millions que
l’Etat a de moins, & qu’il auroit de plus.
Nous .avons mis au plus bas la perte qu’oc-
cafionnent les petits beftiaux : j’ai vu des bergers
qui font convenus qu’elle devoir aller bien au-
delà ; pour l’évaluer, il fuffit *de fuivre un troupeau
un feul jour, fans être apperçu du berger.
Cette perte, qui eft très - confidérable en tout
tems, c’efl bien plus dans les années où il y a
peu de fourrages , parce qu’alors elle eft plusné-
ceffaire , & plus volontaire de la part de ceux
qui gardent les befhaux -, la commiféracion &
peut-être la néceflité fait que l’on ferme les yeux
fur ce dommage , parce qu’il eft impoffible de
nourrir les beftiaux autrement, & qu’il réfuite-
roit encore un plus grand mal dé leurdeftruc-
tion.
On pourroit prouver, par la comparaifon
feule du nombre des beftiaux avec la petite quantité
de pâturages que nous avons confervé dans
beaucoup d'endroits, & dont une grande partie
eft deftinëe à l’approvifionnement des Villes, qu’il
eft impoffible que les beftiaux ne vivent pas de
grains une partie de l’année.
On obfervera que les Villes fe font agrandies
en même - tems que nous avons détruits nos pâturages
, & qu’eiles ne confondirent, ainfi que
h s beftiaux de culture, une plus grande quantité
de fourrages que depuis que nous en avons
beaucoup moins.
Ce dommage des beftiaux retombe fur les Fermiers
& les Propriétaires qui, pour avoir trop
agrandi les labours, & trop diminué les pâturages
, fe font mis dans la néceffité de nourrir
les beftiaux avec du blé.
Cette confommati#n de grains permet d’avoir
plus de beftiaux-, mais ils font un peu chers.
Les Clôt-ures empêcberoier-t en partie ce dommage
, qui n’eft pas toujours volontaire de la part (
des bergers & des gardiens ; mais, clans la iîruaat
tion actuelle delà culture en France, il y a beaucoup
de canton où le droit de parcours s’oppofç
à leur établiflèmenr : beaucoup dç gens de h
campagne ne le fouffrent point, tant parce que
les beftiaux manquent de nourriture que parce
que les parcours leur font néceftaires ; quelque
peu qu’ils produisent, on en tire toujours quelque
chofe.
Les gardes même prétendent ne faire aucun
rapport dans les héritages c lo s , fous le prétexte
qu’ils font fuffifamment garanris, de forte que
ces héritages fe trouvent même plus expofés
que ceux où on n’a pris aucune précaution.
Au lùrplus cet obftacle, qui vient de Pinfuf-
fifance des pâturages, de la chereté des fourrages
& de Pimpofftbiiité de nourrir les beftiaux autrement
, fèroit levé auffi - tôt que l’on établi-
roit des Clôtures, en dédommageant îe Peuple
du droit de parcours, évalué en Angleterre i
la quarantième partie du terrein enclos, en fuppofant
qu’il fût en valeur, ce qui augmenteroh
confidérablement les communes,
v Le droit de parcours, auquel les gens de la
campagne n’attachent de l’importance qu’à caufe
de leur pauvreté , eft de tous les droits le plus
abufif, & qui s’oppofe le plus aux progrès.de
l ’Agriculture.
Le défaut de Clôtures, le droit de parcours, & le
dommage des beftiaux, font que les Agriculteurs
ne regardent que comme des demi-propriétés toutes
les terres qùi fe Trouvent fur les lifièrt s des Communes
& de vaines pâtures, fur les chemins &
fur le paffage des beftiaux ; quelques bonnes
qu’elles foient , ils les négligent. Les~champs
clos font toujours mieux labourés, mieux euhi-
vés, mieux fardés, mieux femés, & cela doit
être ainii.Les Clôtures font encore , à cet égard,
un grand encouragement pour les travaux de la
campagne, puifque fans elles les nouvelles terres
font fouvenr les plus" négligées.
• Elles ont un autre avantage; elles préviennent
les procès toujours funeftès aux Agriculteurs,
puîfqu’ils épuifent leur faculté & eonfoimnent
leur tems.' "
Les trois quarts des procès des payfans viennent
des bornages; ce font les plus coûteux,à
caufe des expertages & du tranfport des Officiers
de. Juflice.
On remarque que les payfans, pour fe nuire
davantage , s’attaquent quelquefois dans des tenu
on ils 1 ont les plus occupés ;; ce qui double la
perte qui en réfuke pour la culture. On remarque
aufli que le moindre différend qu’i.s onrcnrr’cux,
les mène ordinairement à un ’procès de bei rv. '. ,
parce qu’on peur toujours intenter e. rte :véh>-q ,
en changeant les bornes des héritages ou en lup-
pofant qu’ehes le font.
Les Clôtures empêeberoienr cedéfordre,
les Magiftrats ne peuvent réprimer , & déu:ri-
K rojent à'jamais la fource d’un des plus grands I fléaux pour J e Peuple. . . .
f)e toutes les Nations ,‘les Anglois ont lu tirer
■ jes plus grands avantages des Clôtures, & c’eft I £ leur étab lifte ment que l’on peut, en grande
I partie, attribuer l’état floriffiint de leur Agri-
I culture. Autrefois, les Anglois récoltoient à peine
1' je néceffaire; aujourd’hui leurs terres produifent
I plus du double des nôtres ; c’eft à coup fur une
I Marque de la bonté de leurs procédé sque nous
I devrions imiter fans héfiter.
Perfonne ne famoit co«tefter que lesC!ôtures
E ne favorifent infiniment toutes leurs reproduo-
I dons, par leur ombre & par leur abri ; il fuffit
■ d’obferver que la .fécherefle eft le fléau des Agri-
I culreurs , à caufe de la difette des fourrages Sc ries
I entrais, qui décourage les travaux, qui augmente
I les°fraîi, & qui a un effet très- danger euxXur
I les terres à blé.
Le vent ne defsèrhe pas moins la terre que
I le foleil, par conféquent les plantations de Clô-
I tares, par le double abri, quelles procurent
I aux terres & aux- plantes, doivent leur êrreab-
I folument favorables. On fait que les végétaux
■ croiflenr mieux quand ils font à l’abri des vents I fecs & froids : l’herbe qui eft à l’abri du v en t, fe
i renouvelle prefque toute l’année, ou du moins
I il faut un plus grand froid pour empêcher fa
I croiffance ; c’eft un prodigieux avantage, parce
I que les. fourrages verds font très- économiques, ■
| & parce que c’eft dans les tems fr oids que la nour-
1 riture des beftiaux eft plus infuffifante , & qu’il
I importe le plus de l’augmenter.. 11 y a toujours
■ allez d’herbe dans les antres faifons pour les bef-
■ riaux que l’on peut nourrir î’Hiver ; c’eft à cet '
I égard que la multiplicité des Clôtures^ eft infi—
K niment favorable, & ce qu’il faut principalement
I obferver , -c’eft quelle multiplie le§, productions
II animales & végétales les p bis rapides, ks plus
|| économiques, celles qui procurent le plus de
|| travaux , & qu’il eft le plus utile de multiplier.
Lorfque les Clôtures doivent remplir tous les
|| avantages dont elles font fufceptibles, il faut que
| | les enceintes ne foient ni trop grandes ni trop
l | petites; fi elles font grandes, les haies ne procu-
| | rent ni ombre ni abri; & fi, au contraire, elles
| | font trop petites, elle s ne peuvent conferver la
| chaleur de la terre, puifque cette chaleur n’y
I pénètre point. Il en-eft de même des haies trop
| hautes ou trop baffes ; ainfi, la hauteur des Clô-
| tures, de quelque manière quelles foient conl- I fuites, doit toujours être proportionnée à fé-,
1: tendue des enceintes.
En général , plus la terre ccnferve pendant
■ la nuit, |a chaleur que lui a donné le jour,
I & le jouf l’humidité que lui a donné la nuit,
| plus elle eft propre à féconder le germe des p'an te s, i & plus le fumier y a d’effet. Les plantations au-
| tour des héritages ont le double avantage decon-
I ferver la chaleur & l’humidité de la terre & des
plantes, les deux principes de leur fécondité, &
font par conféquent infiniment avanrageufes.
C ’eft une amélio-ation naturelle, qui n’exige
point de frais, & q u i, fans difpenfer d’employer
des engrais, en épargne au moins une
très - grande quantité.
Dans les pays infeflés de loups, les Clôtures
font encore plus utiles , en ce qu elles garanti
O’ent lés belÜaux contre l'attaque de cet animal
ft-roce. Dans des clos, les loups ne panent que
difficilement enlever leur prqie , & on peut les
fur prendre plus aifément. L'établiû’ement des
Clôtures en Angleterre a beaucoup contribué à
purger ce pays des loups, animal moins à^crain-
dre par fa voracité que par fa paftiofi de détruire ;
car l’on fait qu’il ne fe borne pas à dévorer ce
qu’il a tué; mais que fa férocité inquiette le
porte auffi à dévaluer fou vent des bergeries entières.
Le même avantage s’obferve déjà en Normandie
, où l’on ne voit point de loups, partout
où l’ufage des Clôtures eft introduit.
Les Clôtures fervent encore à préferver les
grains des vents, qui le font verler.
Elles permettent, par leur ombre & par l’abri,
de laiffer les beftiaux dans les pâturages plus de
jours dans tannée , & plus d’heures dans le jour ,
& même de ne les mettre prefque jamais dans
les érables, ce qui épargne une quantité predi--
gieufe de fourrages fecs, & contribue à en diminuer
le prix.
La formation des Clôtures met les fermiers en
état de confommer ces fourrages que par ordre,
& demulriplier ces beftiaux au point qu’ils font
fufceptibles de l’être, en ne nourriftanr les moutons
que d’herbes courtes que le gros bétail ne
peut pas arracher. L ’ordre, dont je parle confiée
à ne confommer qu’un certain canton à- la - fois,
& à y revenir après en certain nombre de jours
fixes, fuivant la quantité de terrein & de mon-
tans pour revenir à la même herbe, dès qu’ils
peuvent y mettre la dent. Cette économie, qui
régulièrement fui vie par plnfieurs Agriculteurs
Anglois , eft des plus avantage ufes ; car elle met
le Fermier en état de doubler le nombre de
fes moutons, parce qu’elle lui procure la,double
quantité de fùbfiftaRces. Il y a des Agriculteurs
Anglois qui évaluent ce produit au quadruple ,
en employant quelques précautions.
On compte en Angleterre que l’herbe qui
croît dans un enclos, acquiert, en cinq ou fix
jours, affez de hauteur pour pouvoir être broutée
par les moutons; cela dépend en partie du ter-*
rein ; mais principalement de l’abri que IcsCIo-
tures procurent. Iis regardent, d’après ce calcul,
& comme de raifon , le mouton comme l’animal
le plus économique, parce qu’il produit
trente - fix fois plus de fubftancesde matières pre-
I mières, d’engrais & de dépouilles que tous k-î
autres beftiaux. Mais cette économie ne peut