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armés, le jzttèrent far la compagnie Efpagnole qui
étoit de garde devant le palais, pénétrèrent 'dans le
corps-de-garde, & obligèrent l’officier & les foldats qui
y étaient, à fe rendre, & à crier comme eux, vive
le duc de Bragance. D ’Almeida & fa troupe-fondirent
fur la garde Allemande, qui fut déformée & mile en
fuite ; Pinto & les liens entrèrent dans le palais, &
montèrent à l’appartement-du fecrétaire Vafconcellos ;
Antoine Correa , l’un des commis du fecrétaire , fut
la première viâime qui tomba fous les coups de
Menefez : Vafconcellos effrayé, fe cacha dans une
grande armoire , 'fous un tàs de papiers; mais il
n’échappa point aux recherches des conjurés, qui,
l’ayant découvert, le maffacrèrent & le jettèrent par
la fenêtre , en criant ; le tyran ejl mort, vive la liberté
& doû Juan, roi de Portugal. La vice-reine voulut fàiie
quelque réfiûance, mais elle fut enfermée dans fon
appartement ; tous les Efpagnols, foit dans le palais,
foit dans la toile, furent arrêtés. Il n’y avoit encore
qu’une partie de la conjuration d’exécutée ; les Espagnols
étoient maîtres de la citadelle , ÔC delà .ils pou-
voient donner entrée aux troupes Efpagnoles : lès
conjurés allèrent trouver la vice-reine , & lui demandèrent
de ligner un ordre au gouverneur de livrer la
citadelle :4a vice-reine refufo ; mais-elle futii vivement
menacée , qu’elle l’expédia, dans la vue que le gouverneur
voyant bien que c’étoit un ordre forpris, ne le
rerop’iroit pas : elle fe trompa cependant, & le gouverneur
Efpagnol voyant le peuple en armes devant ;
la citadelle, oc entendant les menaces qu’on lui foifoit !
de le mettre en pièces lui & la garnifon, s’il ne fê j
rendoit pas , n’héfita point ; enchanté d’avoir un
prétexteplaufiblej il remit la citadelle aux conjuré,
qui, n’ayant plus rien à faire pour le foccès de la révolution
, dépêchèrent Mendoze & Mello au duc de
Bragance, pour lui apprendre la grande nouvelle de
fon élévation au trône : dans le même temps on envoya
des couriers dans toutes les provinces, pour rendre
grâces à Dieu de .ce que le Portugal avoit enfin recouvré
la liberté, avec ordre au& magiftrats de foire proclamer
roi le duc de Bragance, & de.s’affurer de tous
les Efpagnols qu’on y trouverait. Cependant le duc de
Bragance arriva à Lisbonne, dont la plupart des habitants
étoient fortis en foule pour aller au-devant de leur
nouveau fouverain, qui entra dans la capitale , y fut
proclamé au bruit des acclamations , & folemnellement
couronné. Sa puiffance fouveraine fut également reconnue
fans contradiéfion au Brefil, dans les Indes,
aufii-tôt que Ion y fut inffruit de la révolution, ainfi
que toutes les puiffances de l’Europe qui n’étoient point
dans 4a dépendance de la maifon d’Autriche. Quelque
paifible toutefois que parût l’avènement de Jean I V 2,
la couronne, ce calme extérieur cachoit le§ plus pernicieux
defïeins. Les prineçs du fong n’avoient vu
qu’avec des yeux jaloux l’élévation du nouveau fouverain
; plufieurs feigneurs dont les terres étoient du
domaine de la couronne, craignoient d’être dépoffédés,
& cette crainte les rendoit très - mal - intentionnés.
L’archevêque de Brague , fort attaché^ la vice-reine
f e aux Efpagnols, démêla ces mécontentements, les
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aigrit autant qu’il fut en lu i , fe ligua avec plufieurs
■ feigneurs , forma le plan d’une confoiration pour le
retab'iffement de la domination Efpagnble , y fit entrer
les Juifs, auxquels il promit la tolérance, & prit les
plus fages melures pour renverfer le gouvernement
actuel. Les Juifs , à un jour convenu , dévoient mettre
le feu en différents quartiers de Lisbonne ; en même
temps les conjurés du palais dévoient en ouvrir la porte
aux autres : on devoit poignarder le ro i, s’affurer de
la reine & de fès enfants, tandis que l’archevêque de
Brague , accompagné du clergé , marcheroit, précédé
de la cro ix, dans les rues deLisbonne , pour appaifer
le peuple , qui lèroit aufîi réprimé par les troupes
Efpagnoles prêtes à entrer dans la ville. Le jour de
1 execution de cette conjuration approchbit , lorfque
Jean en fut informé : il feignit de l’ignorer, & prit
avec la plus rare prudence., toutes les précautions qui
pouvoient l’empêcher. La veille du joui; fixé par les
conjurés , il fit entrer , fous prétexte d’iine revue générale
, toutes les troupes qui étoient en quartier dans
les env rons ; il appella au cor.feil les principaux-d’entre
les conjurés, ils furent arrêtés fans éclat ; & dans le
même temps, on s’afluroit dans la ville du refte des
confpirateurs. Leur procès fut bientôt inffruit , ils 1 avouèrent leur crime : le marquis de Villaréal & fon
fils, le^ comte d’Armamur & Auguffin-Emmanuel furent
décapités ; le fecrétaire de l’archevêque de Brague
& quatre autres furent pendus : quant à l’archevêque
& au grand inquîfiteur, ils furent condamnés à une
prifon perpétuelle. Cette confpiration diflipée, Jean IV,
convoqua.les états, &. s’y fit admirer par fa modération
& fon défintéreffement. Le comte-duc d’Olivarès ;
encore plus furieux que fon maître , de la perte du
Portugal , ne refpiroit que vengeance ; les Portugais
s’attendant à une guerre suffi longue que meurtrière,
& animés eux-mêmes de la plus violente haine contre
les Efpagnols -, fè préparèrent à une vigoureufê réfif-
tance ; & àggreffeurs eux-mêmes, ils entrèrent dans
PEftramadure Efpagnole, où don Mathias d’A lbu-
querque , à la tête d’un corps de fix mille hommes
d’infanterie & de douze cents chevaux , battit com-
plettement une petite armée Efpagnole de fept mille
hommes d’infanterie & de deux mille chevaux. Cette
victaire rallentït-beaucoup, finon la haine des Efpagnols
, du moins leurs hoffilités ; & il eft vrai que la
valeur des Portugais , leur zèle pour leur ro i, &. leur
ardeur à foutenir la révolution qui leur .avoit rendu la
liberté, ne donnoient pas au roi d’Efpagne de grandes'
efpérances de recouvrer ce royaume, Ne pouvant s’en
emparer à force ouverte , le miniffère Efpagnol fit
propofèr q u e , fi le roi Jean IV vouloit renoncer a
cette couronne , Philippe lui céderait la Sicile ; mais\
cette proposition fut reçue & rejettée comme elle d o
voit l’être. Les Efpagnols ne pouvant rien gagner,
en vinrent à leurs anciennes voies d’intrigue &. dé
complot ; ils corrompirent un malheureux qui promfit
de tuer le roi d’un coup de fufil, mais qui ayant eu
Pindîfcrétion de laifler tranfpirer fon projet, fut arrêté
& puni de mort. Jean IV délivré des inquiétudes que
lui aYoient caufç£$ ges complots, nç s’occupa que des>
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Joins du gouvernement ; il forma la maifon du prince
Théodofe , fon fils, dont les rares qualités & les talents
fupérieurs le confoloient de la perte fenfible de l’infant
Edouard, fon frè re , qui mourut de poifon ou de
chagrin, après un temps confidérable de captivité à
Milan, détenu par les Efpagnols. Cependantquelque
tendreffe que le roi eût marquée jufqu’alors pour Théodofe
, il y eut bientôt de la méfintelligence entr’eux ,
& elle eut de facheufes fuites. Mal confeillé par quelques
feigneurs turbulents , le jeune Théodofe quitta
tout-à-coup la co u r , & alla fe rendre a Elvar. Jean
offenfè de - cette démarche , lui envoya ordre de revenir
for le champ ; le prince n’obéit qu’après avoir
réfifté, & il fut froidement accueilli par fon père.
Quelques mal - intentionnés prirent occafion de cet
accueil pour animer le peuple contre Jean IV. On
plaignit Théodofe , on murmura ; & le r o i , pour
étouffer ce mécontentement, nomma fon fils généra-
liffime de l’armée ; mais il lecarta des affaires , & ne
lui permit plus d’entrer au eonfeil. Cette apparente
dureté fit murmurer plus hautement ; mais Jean, qui
ne croyoit devoir communiquer à perfonne les raifons
de fa conduite , fuivit le plan qu’il setoit foit , &
s’inquiéta peu des. fouff.s conjeélures qu’on répandoit
fur la févérité. Son projet étoit de reculer , autant qu’il
le pourrait , la guerre contre les Efpagnols; d’ailleurs,
il avoit foit fecretement un traité avec plufieurs grands
d’Efpagne pour réunir le Portugal à la Caftille , en
mettant Théodofe for le trôné , & en transférant le
fiège de la monarchie à Lisbonne t mais ces fecrets n’çtant
point de nature à être encore confiés à la jeuneffe du
prince , il ne Pavo.it exclu du confeil que par intérêt
pour lui-même : cependant Théodofe ne concevant
point le motif de cette rigoureufe froideur , en fut fi
pénétré „ qu’il tomba malade, ne put être rendu aux
larmes , ni aux voeux de la nation, mourut, & accabla
Jean I V de douleur fon chagrin fut encore aigri
par la mort de l’infante dona Jeanne fa fille aînee r
mais quelle qu’eût été la caiîfe de la maladie de Théo-
dofe, & quelqu’emprefTement que les mal-intentionnés
témoignaient à la rapporter au chagrin qu’on lui avoit
donné, Jean peu fenfible à- ces înjurieufes imputations ,
garda le filence, & ce ne fut qu’après fa mort, que
découvrit le véritable motif de la conduite qu’il
avoit tenue avec fon fils. Après avoir pris toutes, les
récautions qui pouvoient affurer le fucçès de fes
effeins, Jean IV voyant fes troupes bien difciplinées,
& fa cavalerie accrue, commença les hoffilités contre
FEfpagne, fit des. incurfions heureufes , eut de grands
foccès, qui furent balancés par la perte de fîle de
Ceylan , d’où par leur propre foute , leur licence & 1 avidité de leurs chefs,, les Portugais furent?chaffés.
Jean fopporta cette perte avec ce fong froid appa-
*ent qu’il montrait dans lès circonfiances les plus
critiques ; il fongeâ aux moyens de fe dédommager de
ce défaftre , & continua de s’occuper fans interruption,
du bien publie : il s’y appliqua fi affidument, qu’il
* e paroiffoit point s’ap e rce vo ir de l’affoiblHTement
de fa famé ; mais bien-tôt il admit la reine dans tous
ws.çonfeils, êç ce ne fut qu’après cette démarche,
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que l’on ne douta plus qu’il ne connût lui même le
danger où il étoit ; il le cachoit tout autant qn’rl
pouvoit à fes peuples, parce qu’il connoiffcit leur
affeélion ; & afin de leur perfnadèr que fo maladie
n’étoit qu’une indifpbfition pafiagère, il alloit tous les
jours à la chafle dans le peu de moments où il fo per-
mettoit de fe diffraire des affaires : mais fon effomac
étoit entièrement ruiné, fes forces l’abandonnèrent „
il tomba jdans un épuifement total ; & jugeant qu’il
touchoit à fon dernier in ffan til fit venir fès enfants ,
les embraffa , leur donna les plus fages confoiîs, en-
donna de tres-utiles a la reine , for la manière dont
elle devoit exercer la régence , réconcilia er.tr’eux
plufieurs feigneurs qu’il avoit foit arrêter pour empêcher
les. fuites de leurs querelles particulières, pria &
exhorta les miniffres à. reffer fidèles à fes enfants &
à l’état ; vit approcher avec tranquillité le moment
fatal , & mourut en héros , en grand homme ; & ce
qui vaut encore mieux , en homme juffe & paifible
fur fa vie paflee , le 6 nombre 16.56 , âgé de 5 3 ans
& au commencement du dernier mois de la fèizième
pinée de fon règne. Il fut aimé , il mérita de l’être ; ÔC
je ne citerai qu’un trait pour prouver à quel point il
aimoit fès fujets & accueilloit les remontrances qu’on,
lui foifoit. Un jour qu’il fortôit à cheval de Lisbonne pour
aller à la chaffe , le lieutenant civil fo préfenta devant,
lui, & après lui avoir foit une profonde révérence ,,
prit lé cheval' par la bride & le ramena ati parais. Jean
fount, remercia le lieutenant civ il, s’occupa d’affaires,
importantes, & , pour ce jour , renonça au plaifir de
la chaffe. Il refpeétoit l’églife ; mais il làvoit contenir
les ecclefiaftiques, lorsqu’ils s’oublîoient. Il recevoitles
eonfifeations que l’inquififion prononç-oit en fa faveur p
il ne manquoit p^s de les rendre aufii-tôt aux
familles de ceux fur qui ces biens avoient été confifqués.
Cette bienfoifance qui n’étoit point du tout analogue
au caraâère dur & avide des inquisiteurs, les ulcéra ,
& ils en firent des plaintes que le roi' méprifa ; ils,
le turent par crainte ; mais à. peine il fut mort, eue
le iacre tribunal fit dire à la régente qne , par ce r e conduite
, le foi avoit encouru la peine dfoxeemmu-
ni cation, & qu’on n tût point à l’enterrer, qu’il n’eûf
ete abfous : la reine voulut bien fe prêter à cette
rid cule feene , & les inquifiteurs fe rendirent gravement
au palais, où ils donnèrent folemnellement Pabfolutionr.
au corps du roi. Sans doute ils crureut par cet abus de
ceremonie triompher du fouverain après fa mort &.
le venger de la foumiflion forcée à laquelle il les avoit:
contraints durant fa vie. ( Z. C. ).
-Jean V roi de Portugal, ( Hijl. de Portugal >
A v e c des talents médiocres , mais d’excellentes intentions
, un roi peut rendre fes fojets aufîi heureux & .
les états plus floriffants qu’ils, ne pourraient le devenir
lous le fouverain le plus recommandable par la fopé—
riorite de fes talents, mais qui ferait moins empreffé
de foire le bonheur de fes peuples;, qu’ambitieux de
fe rendre célébré par de vaffes entrëprifes ou des
conquêtes éclatantes. Jean V ne fut pas animé du defir
dacqueiir de la célébrité ; rameur du bien publie fut
- r? fe conduite de fes aâicns , Pâme le