
l’ufage des ràafques reffemblants, ne s’étertelît pas jufqu’à
la fetyre.
M. Huet dans fes liaifbns , rapportait tout aux
lettres & à la culture de l’efprit. Les grands même
îi’étoient grands à fes yeux , que par cet avantage. Le
rang de Montaufier n’étoit rien pour lui ; il aimoit
en lui lés vertus, fes lumières & lefouvenir de l’hôtel
de Rambouillet ; il laiffoit la politique des princes admirer
dans Richelieu , les projets vallés, & la lâcheté des
courtifans applaudir fes coups d’autorité fi terribles ; il
ne voyoit en lui que le reftaurateur des lettres & le
fondateur de l’Académie Françoife ; dans Gallon d’Orléans
, dans l’illuftre Montpenfier fa fille , le fang de
France atfiroit tous fes refpeéls ; mais c’étoit l’efprit,
c ’étoient les conncilfances qui obtenoient fon eftime
<K fes éloges.
Notre fiècle qui voit les rangs aujourd’hui réglés
entre les auteurs du fiècle précédènt, ou plutôt, qui
voit que la foule a difparü & que cinq ou iix hommes
choifis ont fumage à la faveur de quelques chefs-d oeuvres
; ce fiècle qui n’entend plus de réclamation contre
iine plaifanterie de Boileau , ou contre un portrait de
Moliere, attache aifément für leur parole , une idée
de ridicule à des noms autrefois chers & refpeélés , tels
que Chapelain , Ménagé & tant d’autres : il trouvera
M. Huet bien indulgent à leur égard, & peut-être en
prendra-t-il droit d’accufer le goût de ce juge équitable,
mais il faut qu’il fçache qu’au-defïbus de ces hommes
rares qui fe recommandent feuls à la poflérité par des
ouvrages immortels , il efl des hommes très-eftimables
& fbuvent très-utiles aux premiers ; des hommes d’une
littérature exquife, d’un goût fur, mauvais juges peut-r
être de leurs propres productions , arbitres éclairés de
celles d’autrui. Tel fut Chapelain; il fit la Pucelle, il
eft vrai, mais il fit, au nom dé l’Académie Françoife,
la critique du Cid ; & cette Pucelle même, M. Huet,
qui pouvoit en juger le plan, ayant lu l’ouvrage entier,
demandoit grâce au moins pour ce plan, il demandoit
fen tout plus de juflice 8t d’indulgence pour un homme
que l’eftime générale avoit place à la tête de la littérature
, avant que le mauvais flylè de la Pucelle & de
trop bonnes plaifanteries de Boileau, l’euffent précipité
de ce rang qui ne lui était pas dû, mais au-deffous
duquel il aevoit lui, rc fier une place honorable.
. Cefl dans ce jufte milieu que confifle l’équité des
jugements. Mais fouvent la poflérité femble rabaifïer
trop des auteurs que leur fiècle femble avoir trop
elevés , fans qu’il y ait d’injuflice de part ni d’autre.
La poflérité ne juge que les ouvrages, les contemporains
jugent l’homme. Tel ouvrage vaut mieux que
Ibn auteur ; tel auteur auffi vaut mieux que fes
ouvrages. C efl ce qui arrive à ceux dont le principal
talent efl d’inflruire ou de plaire par la convention,
ce mérité meurt avec eux, & la poflérité ne peut en
tenir compte^. Peut-être par leurs confeils, ont-ils plus
co*?*pbue qu on ne croit, aux chefs-d’oeuvres que la
poflérité admire ; mais la poflérité n’en fçait rien.
Qui oferoit aujourd’hui comparer le génie de
Boileau à celui de Racine ? Ce dernier, gagne tous les j
jours dans l’eftime publique ; le premier a déjà reçu
quelque atteinte : cependant c’efl Racine j qui, de fou
aveu j fut toujours le difciple de Boileau. Cefl donc
aux contemporains à juger les- hommes, c’efl à la
poflérité feule à juger les ouvrages. M. Huet ayant
' fiirvécu long temps a tous les gens de lettres qu’il juge
dans fes mémoires, réunit à leur égard les droits des
contemporains Si ceux de la poflérité. Contemporain ,
il fut leur ami, il en a l’indulgence. Poflérité, il eft
impartial , & je ne fçais fi après tout, l’indulgence
n’efl pas toujours plus près de l’équité que la rigueur;
je fuis bien plus édifié au moins de voir Quinauit vanté
par l’évêque d’Avranches , que de le voir décrié par le
légiflateur de notre poëfie.
Un homme tel que M. Huet, deyoit Un hommage
a Chrifline, Cette reine n’avait point encore fecrifié
aux lettres le trône qu’elle fut remplir après Guflave-
Adolphe fon père ; fes bienfaits appelloient les fçavants
de toutes les contrées de l’Europe, & fon exemple peut-
etre apprit à Louis XIV à,les récompenfer. M. Huet,
trop jeune & trop peu connu dans le Nord , fuivit
auprès d’elle, Bochart fbn maître & fon ami ; il vit
Chriftiine , il l’admira, il obtint fon eflime & celle des
fçavants de fa cour ; fbn voyage fut donc heureux : on
jugea cependant qu’il étoit arrivé dans des conjonctures
peu favorables. Chrifline étoit fçavante , courageufè
& fublime; mais elle étoit femme & fes goûts la gou-
vernoient ; livrée tour-à-tour aux littérateurs & aux
philofôphes, (a fanté altérée par les travaux, la livroit
alors aux médecins. Bourdelot avoit conçu l’efpérance
de la détacher de tout pour régner feul fur elle ;
Bochart fut négligé ; Huet revint en France , emportant
les regrets de Chrifline & de la Suède. Chrifline
établie à Rome après fon abdication , fè fouvint de
lui, & l’appella auprès d’elle. Mais M* Huet fe fouvint
de fon inconfiance ; la Suède lui marqua foii eflime
d’une manière encore plus flatteufe, en lui propofant
Pinflitution du jeune prince, fils de Charles-Giiftavé ,
fucceffeur de Chrifline ; mais M. Huet fembla prévoir
que fa patrie lui déféreroit le même honneur , ou
plutôt il fentit qu’il ne devoit le fecrifice de fa liberté
qu’à fà patrie.
Le temps amène infenfiblemènt les honneurs qui
lui font dus , & l’amitié de Montaufier ne fçauroit
être ftérile ;- il avoit défiré que les foins de l’inflitution.
du dauphin fuffent partagés entre, le préfident de
Périgny, homme d’efprit, mais d’un mérite ordinaire ,
& M. Huet, fçavant d’un mérite rare ; mais Périgny ,
foible & jaloux, comme tous les hommes médiocres y
avoit pris ou feint de prendre pour un affront, l’honneur
de cette affociation ; il mourut, & les François;
ont oublié qu’il fut le premier inflituteur du fils de
Louis XIV Sl Je prédéceffeur de Boffuet.
Il importe peut- être à l’inftruélion des.rois & an
bonheur des hommes, qu’on fçache comment fut fait
ce dernier choix. Montaufier , chargé de le préparer y
préfenta au roi une lifte de près de cent perfonnes, qui
toutes fe jugeoient dignes de cet honneur, & une autre
lifte moins nombreufe de ceux qu’il en jugeoit dignes ,
fans qu’ils l’euffent demandé. Parmi ces derniers,
il en di#inguoit trois, Ménage, Boffuet &. Huet y
)é roi connoiffoif à peine Ménage de nom , ce fut fon
titre d’exclufion ; Boffuet étoit l’oracle de la théolo
& de l’éloquence , mais Huet l’étoit de l’érudition &
! de là littérature ; Montaufier efpéra que fon ami pour-
roit être préféré. Il fe trompa : le grand nom de'
Boffuet emporta la balance , ÔC Louis XIV voulut
feulement que M. Huet lui fût affocié, mais dans un
degré inférieur. M. Huet fentit tout le prix d’une-telle
affociation. L’honneur de contribuer à l’éducation de
rhéritier du trône, combla tous fes voeux &. attira
tous fes foins ; la cour même ne fut pas pour lui un
objet de diftraétion : les lettres l’ont porté aux pieds
du trône ; objet de tout fon amour , elles le deviennent
de fa reconnoiffance : le voilà chargé de leurs
îhtérêts ; il voudra fes faire aimer au prince fon élève,
autant qu’il les aime lui-même ; & s’il ne peut y réuffir,
ce fera fa-douleur la plus amère.
Pour rendre la fcience aimable aux princes, il faut
la leur rendre facile ; delà ces excellents commentaires
à l’ufage de M. le dauphin, où une interprétation
exafle , claire , mife à la portée de la plus foible
intelligence, fait difparoître toute obfcurité grammaticale
, & où des notes courtes & fuffifantes, diffipent
toute obfcurité hiftorique ; entreprife dont la littérature
entière a recueilli les fruits. Huet donne à
Montaufier la gloire de l’invention , & Montaufier
publie que Huet étoit feul capable de l’exécuter^
Ce fut lui qui choifit & raffembla tous les coopéra-
rateurs, qui leur diftribua les textes, qui dirigea leurs
travaux, il des partagea même ; il quitta la bible Sl
Origène pour éclaircir Manilius & relever les erreurs
de Scaliger. On le voyoit courir fans ceffe pour ce
travail & pour d’autres affaires toujours littéraires, de
la cour à Paris, & de Paris à la cour ; & qui eût ob-
fervé fes démarches fans en fçavoir l’objet, eût cru voir
en lui l’agitation ordinaire d’un courtifan ; il veilloit
our l’étude , comme on veilloit autour de lui pour
intrigue ; il prenoit fur fon fommeil pour fatisfaire
fes goûts fans négliger fes devoirs ; fouvent il venoit
à Paris paffer les nuits dans les bibliothèques, fans rien
perdre pendant le jour, de fon affiduité auprès de fon
augufte élève,, C’eft du fein de ces occupations , c’eft
.parmi tant de foins, c’eft à la cour enfin que parut la
Démonflratioti évangélique.
, Les lettres font rarement ingrates : il eft peut-être
injufte de leur demander la fortune, qu’elles procurèrent
cependant à M. Huet ; mais elles ont des honneurs
qui. leur font propres , Sl qu’elles lui procurèrent
auffi : pendant fon voyage de Suède , l’Académie de
Çaën s’çtoit formée , & à fon retour, il vit fon nom
Sl celui de Bochart infcrits parmi les noms illuftrei
qui ornèrent toujours cette lifte. Il fentit avec volupté
ce que valoit ce fuffrage de la patrie. Aux travaux
littéraires dont l’Academie s’cccupoit, il fit joindre,
fes expériences de la phyfique , les fpéçulat ions des
Mathématiques, & bientôt les faveurs de Louis XIV
fe répandirent par les\mains de Colbert, fur ce corps
qui les méiiteit. Colbert avoit auffi fait diftinguer
Huet par ces grâces que Louis XIV voulut répandre
fer fes fçavants qui décoroient fon règne ; tant d’honneurs
flattaient d’autaut plus M. Huet, qu’il ne les avoit pas
brigués. O11 lui ouvrit prefque malgré lui, les portes de
l’Académie. Françoife ; il défiroit & il redoutait ce
degré fuprême des honneurs littéraires ; il le regardoit
comme un engagement à des devoirs dont il ne voudrait
jamais fe difpgnfer , & , qui ne pourrait pas tour
jours remplir.
Mais le voilà qui contrarie des engagements plus
redoutables , & .qui s’oblige à des devoirs plus faints ;
fou refpeél pour la religion , le genre de fes études ,
fon goût pour la vie lolitaire Sl contemplative , un
penchant qu’il avoit plutôt négligé qne combattu jufo
qu’aiors, tout fembloit l’appeller à l’état eccléfiaftique ;
le filence & la paix du cloître l’avoient même plus
d’une, fois tenté ; il eut au jéfuite Mambrun i’obliga-'
tion de n’être point jéfuite. Ce maître éclairé lifant
mieux que lui dans fon ame , lui fit appercevoir que
. fon amour pour la retraite tenoit à un efprit d’itjde-
pendance, incompatible avec les loix de cet inftitut.
M. Huet le crut , & en fe confacrant au miniftère
des autels, il refta dans le monde, il refta même à la
cour.' Ce fut à quarante-fix ans qu’on le vit embraffer ce
nouvel état dont il avoit bien pefé toutes les obligations ;
il n’y cherchoit que l’épurement des moeurs, la fànétifi-
cation de l’ame & un plus grand éloignement du fiècle :
fes amis en firent l’inftrument de fa fortune& la fourçe
de fon bonheur. Le roi lui conféra l’abbaye d’Aunay ,
retraite délicieufe , où il a philofophé comme Cicéron ,
chanté comme Horace, & dont il a célébré les charmes
de cé ton enchanteur qui caraëlérife les âmes fenfibles,
Louis XIV ne borna pas à ce bienfait les marques
de fon eftime & les monuments de fa reconnoiffance , je
dis reconnoiffance, tout père en doit tant à l’inflituteur
de fon fils ! Cette carrière illuftre étoit remplie ; M. Huet
recueilli dans le port, fe partageoit entre fes compa-
* triotes à Caën & quelques amis à Aunay , cultivant
toujours les Mufes fans partage, ne demandant rien,
ne défirant rien, lorfqu.il fut momnié à l’évêché de
Soiffons, que des raifcns de convenance lui firent per-»
muter pour l’évêçhé «l’Avranches. Alors cette ardeur
j infatigable avec laquelle il avoit enfeigné à M.'le
dauphin les éléments des fcieftces, il fout -la retrouver
toute entière pour enfeipner à fes diocéfains la feule
fcience néceffalre,; fes etudes , dont le cours ne s’étoit
jamais ralenti , femblèrent fe ranimer pour çe'feint
objet. Le tableau qu’il trace dans fes mémoires , des
devoirs de l’épifcopat, -prouve qu’il les a connus ; & la.
discipline eccléfiaftique rétablie , les affemblées fÿno-
dales renouveillées, les anciens ftatuts remis en vigueur ,
Sl de nouveaux publiés , attellent qu’il a fçu les rem-»
plir..
Il a fait plus : il à fçu 'quitter & ’ dépofer ce fardeau'
fecré, quand il l’a jugé trop pefent pour fon âge. Le
roi approuvant le motif pieux de cette abdication , .lui
donna par forme de dedommagement, l’abbaye dç
Fontenay, qui, par fe fituation aux portes de Caën à
devenoit un lien de plus pour.l’attacher à fa patrie.
Après tant de travaux, il fut donné à M. Huet de
s’endormir dans une longue & pâifible vieilleffe, toujours
occupée, Quand fes infirmités Sl l’affoibliffe*
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