Spartiate à la tête de leurs armées : & quand ils
<l’a voient obtenu, ils lui rendoient avec une entière
foumiffion toutes fortes d’honneurs & de refpeéts. C’efl
ainfi que les S ciliens obéirent à Gylippe, les Chalci-
diens a Brafidas, & tous les Grecs d’Â lie, à Lifàndre,
à Callicratidas &. à Agéfilas.
Ce peuple belliqueux réprefentoit toutes fes déïtés
armées, Vénus elle-même l’étoit:
Armatam venerem vidât Lacedemona P allas.
üacchus qui par-tout ailleurs tenoitlethyrfe à la main,
portoit un dard à Lacédémone. Jugez fi les Spartiates
. pouvoient manquer d’être vaillans. Ils n’alloient jamais
dans leurs temples qu’ils n’y trouvaffent une efpèce
d’arniée , & ne pouvoient jamais prier les dieux, quen
même temps la dévotion ne réveillât leur courage.
Il falloit bien que ces gens-là fe fuffent fait toute
leur vie une étude de la mort. Quand Léomdas, rci
de Lacédémone, partit pour fo trouver à la défenfe du
pas des Thermopyles avec trois cent Spartiates , op-
pofés à trois cents mille perfans , ils fe déterm.nerent
fi bien à périr , qu’avant que de fortir de la ville,
on leur fit des pompes funèbres oh ils affilièrent eux-
mêmes. Léonidas efl ce roi magnanime dont Paufa-
nias préféré les grandes actions à ce qu’Achille fit devant
Troie, à ce qu’exécuta l’Athénien Miltiade à
Marathon, & à toüs les grands exemples de valeur
de l’hifloire grecque & romaine. Lorlque vous aurez
lu Plutarque fur les exploits héroïques de ce capitaine,
vous forez embarrafTé de nommer un homme qui lui
foit comparable.
Du temps de ce héros, Athènes étoit fi convaincue
de la prééminence des Lacédémoniens, qu’elle n’héfita
point à leur céder le commandement de l’armée des
Grecs. Thémiftocle fervit fous Eurybiade , qui gagna
fur les Perfes la bataille navale de Salamine. Paulànias
en triompha -de nouveau a la journée de Platee, porta
fes armes dans l’Hellefpont, & s’empara de Bifauce. Le
foui Epaminondas Thébain, eut la gloire, long-temps
après , de vaincre les Lacédémoniens à Leu&re & à
Mantinée, & de leur ôter l’empire de la Grece qu’ils
avoient confervé l’efpace de 730 ans.
Les Romains s’étant rendus maîtres de toute l’Achaïe,
n’impoferent aux Lacédémoniens d-’autre fujetion que
de fournir des troupes auxiliaires quand Rome les en
foliieiteroit. Philoftrate raconte qu’Apollonius deThyane
qui vivoit fous Domitien, fe rendit par curiofite a
Lacédémone, & qu’il y trouva encore les loix de Ly-
çurgue en vigueur. Enfin la réputation de la bravoure
des Spartiates continua jufques dans le bas-empire.
Les Lacédémoniens fe confervèrent l’eflime des empereurs
de Rome, & élevèrent des temples à l’hon*
. peur de Jules-Céfar & d’Augufle, de qui ils avoient
reçu de nouveaux bienfaits. Ils frappèrent auffi quelques
médailles au coin d’Antonin, de Marc-Àurele &c
de Commode. M. Vaillant en cite une de Néron ,
parce que ce prince- vint fe fignaler aux yeux de la
Grece ; mais il n’ofa jamais mettre le pied dans Sparte,
à caufode la févérité des loix de Lycurgue, dont il n’eut
pas moins de peur, dit-on, que des furies d’Athènes.
Cependant quelle différence entré ces deux peuples 1
vainement tes Athéniens travaillèrent à ternir la gloire
de leurs rivaux & à les tourner en ridicule de ce qu’ils
ne cultivoient pas comme eux les lettres &. la Pn.lo-
fophie. 11 efl aifé de venger les Lacédémoniens de
pareils reproches, & j’oferai bien moi-meme l’entreprendre
, fi on veut me le permettre.
J’avoue qu’on alloit chercher à Athènes & dans les
autres villes de Grèce des rhétoriciens, des peintres
& des fcülpteuft, mais on trouvoit à Lacédémone des
législateurs, des magiflrats &. des généraux d’armée.
A Athènes on appienoit à bi:n dire, & à Sparte à
bien foire ; là à fe démêler d’un argument fophiflique ,
& à rabattre la fubtilité des mots captieufèment entrelacés
; ici à fe démêler des appas de la volupté f & à
rabattre d’un grand courage les menaces de la fortune
& de la mort. Ceux-là, dit joliment Montagne, s’em-
befognoient après les paroles . ceux-ci après les chofés.
Envoyez-nous vos enfans , écrivoit Agéfilaiis à Xér:o-
phon, non pas pour étudier auprès de nous la dialectique,
mais pour apprendre une plus belle fcience,
ç’eft d’ôbéir ôc de commander.
Si la Morale & la Philofophie s’expliquoient à
Athènes, elles- fe pratiquoierit à Lacédémone. Le Spartiate
Panthoidès le fut bien dire à des Athéniens ,
qui fe promenant avec lui dans le Lycée, l’engagèrent
d’écouter les beaux traits de morale de leurs philo-
fophes ; on lui demanda ce qu’il en penfoit ; ils font
admirables, repliqua-t-il , mais au relie inutiles pour
votre nation , parce qu’elle n en foit aucun ufage.
Voulez-vous un fait hillorique qui peigne le caractère
de ces deux peuples, le voici. « Un vieillard, au
rapport de Plutarque , cherchoit place à un des
» fpeélacles d’Athènes, & n’en trouvoit point; de
j? jeunes Athéniens le voyant en peine, lui firent ligne ;
jj il s’approche ; & pour lors ils fe ferrèrent & fe
jj moquèrent de lui : le bon homme faifoit ainfi le tour
jj du théâtre, toujours hué^de la belle jeunelîe. Les
jj ambaffadëurs deSparte s’en apperçurent, &. auffi-
» tôt' placèrent honorablement le vieillard au milieu
jj d’eux. Gette aélion fut remarquée de tout le monde,
jj & même applaudie d’un battement de mains géné-
jj rai. Hélas, s’écria le bon vieillard, d’un ton de dou-
jj leur, les Athéniens'lavent ce qui efl honnête , mais
jj les Lacédémoniens le pratiquent jj !
Ces Athéniens dont nous parlons, abuferent fouvent
de la parole , au lieu que les Lacédémoniens la regardèrent
toujours comme l’image de l’aélion.
Chez eux, il n’étoit permis de dire un bon mot
qu’à celui qui menoit une bonne vie. Lorfque dans les
affaires importantes, un homme de mauvaife réputation
donne»t un avis falutaire , les'éphores relpec-
toient la propofition ; mais ils empruntoient la voix
d’un homme de bien pour foire paffer cet avis ; autrement
le peuple ne l’auroit pas autorïfé. Oefl ainfi
que les magiflrats accoutumèrent les Spartiates à fe
biffer plutôt perfuader par les bonnes moeurs, que par
toute autre voie.
Cë n’étoit pas chez eux que tnanquoit le talent de
manier la parole : il rçgne dans leurs çlifçours &
leurs reparties une certaine force , une certaine grandeur
, que le foi attique n’a jamais fu mettre dans toute
l’éloquence-de leurs rivaux. Us :v fe font pas amufés
comme les citoyens d’Athènes , à foire retentir les
théâtres de fatyres & de railleries ; un foui bon mot
d’Eudamidas obfcurcit la fcène outrageantee de l’Andro-
maque. Ce lacédémonien fe trouvant un jour dans
l’Académie , &. découvrant le philofophe Xénocrate
déjà fort âgé, qui étudioit la Philofophie, demanda
qui étoit ce vieillard. C’efl un fage, lui répondit-on,
qui cherche la vertu. Eh quand donc en ufera-t-il, s’il
la cherche encore , repartit Eudamidas ? Mais auffi
les hommes illuflres d’Athènes étoient les premiers
à .préféfer la conduite des Lacédémoniens à toutes les
leçons des écoles.
Il efl très-plaifànt 4e v°ir Socrate fe moquant à fa
manière, d’Hippias, qui lui difoit qu’à Sparte, il n’a-
voit pas pu gagner un fol à régenter ; que c’ét oient des
gens fans goût qui n’eflimoient ni la grammaire, ni le
rythme., s’amulant a étudier l’hifloire & fe caraélère
de leurs rois, l’établiffement & la décadence des états,
& autres chofes de cette efpèce. Alors Socrate, fans le
contredire, lui fait avouer en détail l’excellence du
gouvernement de Sparte , le mérite de fes citoyens,
& le bonheur de leur vie , lui laiffant à tirer la
conclusion de l’inutilité des arts qu’il profeffoit.
En un mot, l’ignorance des Spartiates dans ces
fortes d’arts, n’étoit pas une ignorance de flupidité ,
mais de précepte , & Platon même en demeuroit
d’accord. Cependant, malgré l’auflérité de leur politique
, il y a eu de très-beaux efprits fortis de Lacédémone
, des philofophes , des poètes &. des auteurs
illuflres, dont l’injure des temps nous a dérobé les
ouvrages. Les foins que fe 'donna Lycurgue pour
recueillir les oeuvres d’Homere , qui feroient perdues
fans lui ; les belles flatues dont Sparte étoit embellie,
& l’amour des Lacédémoniens pour les tableaux des
grands maîtres , montrent qu’ils n’étoient pas infenfi-
bles aux beautés de tous les arts.
Paffionnés pour les poëfies de Terpandre , de
Spendon, & d’Alcman, ils défendirent à tout efclave
de les chanter, parce que, félon eux, il n’appar-
tenoit qu’à des hommes libres de chanter des chofes
divines. .
Us punirent à la vérité Timothée de ce qu’aux
fept cordes de la mufique il en a voit ajouté quatre
autres ; mais c’étoit parce qu’ils craignirent que la
molleffe de cette nouvelle harmonie n’altérât la févé-
. rué de leurs moeurs. En même temps ils admirèrent
le génie de l’artifle ; ils ne brûlèrent pas là lyre,
au contraire , ils la fufpendirent à la voûte d’un de
leurs plus beaux bâtiments-, ou l’on venoit prendre le
frais j 8t qui étoit un ouvrage de Théodore de Samos.
Ils chafsèrent auffi de Sparte , le poete Archiîoque ;
mais c’étoit pour avoir dit en vers, qu’il convenoit
mieux , de fifr & de fauver fa vie , que de périr
les armes à la main. L’exil auquel ils le condamnèrent
neprocédoit pas de leur indifférence pour la poefie,
mais de leur amour pour la yaieu».-
Cétoit encore par des principes de fageffe que
l’architeélure de leurs mailons n’employoït que la
coignée & la feiè. Un Lacédémonien , c étoit le roi
Léotichidas , foupant un jour à Corinthe , & voyant
dans la làlle ou on le reçut , des pièces de bois
dorées ôt richement travaillées , demanda froidement
à fou hôte, fi les arbres chez eux, croiffoient de la
forte ; cependant ces mêmes Spartiates avoient des
temples lüperbes. Us avoient auffi un magnifique
théâtre qui fervoit au fpeélacle des exercices , des-
danfes , des jeux , & autres repréfentations publiques.
La defeription que Paufanias a faite des déco*
rations de leurs temples &. de la fomptuofité de ce
théâtre, prouve allez que ce peuple favoit étaler la
magnificence dans les lieux où elle étoit vraiment
convenable, & profcrire le luxe des maifons particulières
où fon éclat frivole ne fatisfait que les faux
befoins de la vanité.
Mais comme leurs ouvriers étoient d’une induflrie,
d’une patience, & d’une adreffe admirable , ils portèrent
leurs talents à perfeélionner les meubles utiles ,
& journellement néceffaires. Les lits, l:s tables, les-
chaifes des Lacédémoniens étoient mieux travaillés
que par-tout ailleurs. Leur poterie étoit plus belle &
plus agréable ; on vantoit en particulier la forme du
gobelet laconique, nommé cothon, fur-tout à caufe du
fer vice cu’on en tiroit à l’armée. La couleur de ce gobelet
, dit Critias , cachoit à la vue la couleur dégouttante
des eaux bourbeufes, qu’on efl quelquefois oblige
de boire à la guerre ; les impuretés fe dépofoiem au-
fond de ce gobelet, & fes bords, quand on buvoit,
arrêtoient en-dedans le limon, ne laiffant venir à la
bouche que l’eau, pure & limpide.
Pour ce qui regarde la culture de l’efprit & du
langage , les Lacédémoniens loin de la néglige , vou-
loient que leurs enfants appriflènt de bonne heure à
joindre la force à i ’éiégance des expreffions f à la
pureté des penfées. Ils vouloient, dit Plutarque , que
leurs réponfes ,- toujours courtes & jufles fuffent
pleines de fel & d’agrément. Ceux qui, par précipi- .
tation ou par lenteur d’elprit , répondoient mal, ou
ne répondoient rien , etoient châtiés : un mauvais
raifonnement fe puniffoit à Sparte , comme une mauvaife
conduite ; auffi rien n’en impofoit à la raifon
de ce peuple. « Un lacédémonien exempt dès le ber-
» ceau , des caprices & des humeurs de l’enfonce,
jj étoit da :s la jeuneffe affranchi de toute crainte ;
jj moins fuperflitieux que les autres grecs , les Spartiates
jj citoient leur religion & leurs rits au tribunal du
jj bon fens j>. Auffi Diogène arrivant de Lacédémone à-
Athènes , répondit avec tranfport à ceux qui lui de-
mandoient d?où il venoit : « je viens de quitter des
jj hommes jj.
Tous les peuples de la Grèce avoient confacré des
templès fans nombre à la Fortune ; les feuls Lacédé--
moniens ne lui avoient drêffé qu’une flatue , dont ils
n’approchoient jamais : ils ne recherchoient point les
faveurs de cette déeffe, & tâchoient par leur vertu ,
de.fe mettre à l’abri de fes outrages.