
«quelques-uns étoient réellement hérétiques, & elle le
lavoit bien ; mais elle ne croyoit pas devoir fe priver
de leurs lumières , à caufe de leurs erreurs ; elle
conferva la foi catholique, en fouffrant ceux qui la
xejettoient ; elle eut pour confeils de confcience &
de politique, l’archevêque d’Embrun Tournon, depuis
cardinal, le plus vertueux des intolérants, &
l’évêque de Tarbes -Gratnmont, cardinal auiîi dans
la faite , & non moins favorable à l’intolérance ,
■ dnais ils ne purent jamais lui rien perfoader contre
l’humanité, & lorfqu’elle eut époufé le roi de Navarre
, rien ne put l’empécher de donner un afyle dans
fes états à ces lavants, hérétiques ou non, que la
perfécution chaffoit des états de fon frère ; & c’étoit
dans un flècle où ce penchant malheureux qu’ont
tous les hommes à l’intolérance, étoit autorifé parle
dogme & fortifié par l’empire de l’opinion, qu’elle
js’élevoit ainfi par le mouvement naturel de fon ame,
autant que par les lumières de fon efprit, au-deffus
des préjugés funeftes, & qu’elle ofoit fe livrer à toute
fa bienfaifance. Elle mourut à cinquante - fept ans,
le z i décembre 1549 , au château d’Odos dans le
Bigorre. Elle étoit née à Angoulême le 11 avril 1492,
fat mariée le 9 oéfobre 1509 , au duc d’Alençon ,
dont eUe n’eut point d’enfants, & qui mourut le 1 r
avril 1525 ; elle époufa en fécondes noces le 24
janvier 15 27 , Henri d’Albret , roi de Navarre,
fécond du nom, dont elle eut Jeanne d’A lbret, qui
fat mère de notre roi Henri IV.
On connoît fès Nouvelles. Jern de La Haye, fon
valet-de-chambre , a recueilli fes autres oeuvres, fous
ce titre , digne du temps : les Marguerites de la Mar-,
guerite des Princeffes. C ’étoit François Ier. qui avoit
donné à fa feeur le nom de Marguerite des Marguerites
, & tout le monde l’appelloit ainfi à la cour.
Sa devife, une fleur de fouci regardant le foleil, avec
ces mots : Non inferiora fecutus, ne nous paroît pas
affez claire. Eft - ce un hommage de tendrdle pour
fon frère ou pour un de fes deux maris ? Dans le
fécond .cas, les compare-t-elle entr’eux ou avéc fon
frère, comme Virgile compare les deux maîtres de
Misène, & dit qu’Ènée n’étoit pas inférieur à He&or ?
Ces comparaifons n’auroient rien d’heureux. Ou bien,
fans faire aucune comparaifon , Marguerite dit-elle de
l’objet qui l’occupe , qu’elle ne s’attache qu’à l’objet le
plus noble, qu’elle ne veut fuivre que le modèle le plus
parfait ? Il eft certain que cette devife eft fufceptible
de tous ces fens, Quant à cette autre devifé, un lys
entre deux marguerites , avec ces mots; Mirandum
natum opus, François Ier, eft le ly s , les deux marguerites
font apparemment fa foçur &. fa fille, Mar-
Puerite de France , qui époufa en 1559, Emmanuel-
. hilibert, duc de Savoie , & qui aima les lettres auffi
bien que fon père & fa tante, Ses fojets Pappellèrent
la Mère des Peuples. Ç e titre eft un grand éloge. Elle
mourut en 1574 ; elle-étoit née en 1523.
Marguerite de France o u de Valois , fille
de Henri II & de Catherine de Médicis, foeur des derniers
rois Valois, & première femme de HenriIV ,
naquit à Fontainebleau le 14 ipai 1552. On fait trop
fous quels faneftes aufpices Henri IV devint fofï hfarî.
Ce mariage ne fît (le bonheur ni de Henri ni de Marguerite.
Cette princeffe témoigna de l’éloignement pour
cette union ; il paroît qu’elle aimoit alors le duc de
Guife, & jamais elle n’eut d’inclination pour Henri IV ,
qui ne paroît pas non plus en. avoir eu pour elle.
Charles IX voulant par ce mariage attirer les rroteftans
dans le piège, ufa de fon autorité pour déterminer
fa foeur. A la cérémonie du mariage, Marguerite ne
répondit rien, lorfqu’on lui demanda fi elle acceptoit
pour époux, le roi de Navarre ; le cardinal de Bourbon,
qui faifoit la cérémonie, ou, félon d’autres, Charles IX
lui-même pouffa brufquement la tête par derrière , à
Marguerite. Cette inclination de tête forcée , fut prife
pour un confentement, & fut le feul que donna
Marguerite ; fa répugnance eût vraifemblablement été
plus forte encore, fi elle eut fu à quelle horrible entre-
prile fon mariage fervoit de voile.
La reine de Navarre peint elle - même dans fès
Mémoires, la fituation difficile où elle fe trouvoit dans
le temps de la St. Barthélemy. « Les Huguenots me
» tenoient fafpe&e, parce que j’étois catholique, &
v les Catholiques, parce que j’avois épeufé le roi de
» Navarre, qui étoit huguenot.-..... Un foir étant au
» coucher de la reine ma mère, affife for un coffre,
» auprès de ma foeur de Lorraine, que je voyois fort
» trifte, la reine ma mère , parlant à quelques-uns ,
» m’apperçiit, & me dit que je m’en allaffe coucher.
v Comme je faifois la révérence, ma foeur me prend
» par le bras, & m’arrête , & fe prenant fort à
»> pleurer , me dit î Mon Dieu , ma Joeur , ri y aile{
» pas. La reine ma mère s’en apperçut , & appel-
33 lant ma foeur, fé courrouça fort à elle , & lui dé-
» fendit de me rien dire. Ma foeur lui dit qu’il n’y
» avoit point d’apparence de me facrifier comme
» cela, & que fans doute s’ils découvroient quelque
» chofe , ils fe vengeroient for moi. La reine ma
» mère répond que s’il plaifbit à Dieu, je n’aurois
» point de mal, mais quoi que ce fut, il falloit que
» j’allaffe, de peur de leur faire foupçonner quelque
» chofe. Je voyois bien qu’ils fe conteftoient , 8i
» n’entendois pas leurs paroles. Elle me commanda
» encore rûdement que je m’en allaffe coucher. Ma
» foeur fondant en larmes , me dit : bon foir, fai-s
j» m’oferdire autre chofe ; & moi, je m’en allai toute
» tranfie & éperdue, fans me pouvoir imaginer ce que
n j’avois à craindre............... J’avois toujours dans le
» coeur les larmes de ma foeur, & ne pouvois dormir
» pour l’appréhenfion en laquelle elle m’avoit mife...;.
n La nuit fe paffa de cette façon , fans fermer l'oeil...
» Enfin , voyant qu’il étoit jour , eftimant que le
v danger que ma foeur m’avoit dit fût paffé, vaincue
» du fommeil, je dis à ma nourrice qu’elle fermât la
n porte, pour pouvoir dormir à mon aife. Une heure
» après, comme j'éîois le plus endormie , voici un
» homme frappant des pieds & des mains à la porte,
» & criant ; Navarre , Navarre. Ma nourrice penfant
v que ce fût le roi mon mari, courut vîtement à la
n porte. Ce fat un gentilhomme, nommé M. de Téjati
n ou Teyran, qui avoit un coup d’épée dans le coude
M A R
*> & un coup d’hallebarde dans le bras, & étoit
v encore pourfaivi de quatre archers , qui entrèrent
. « tous après lui en ma chambre. Lui fe voulant ga-
» rantir, fe jetta deffus mon lit. Moi, fentant ces:
ïj hommes qui.me tenoient, je me jette à la ruelle, &
» lui après moi , me tenant toujours à travers du
?; corps. Je ne connoiffois point cet homme , & ne
» faveis s’il venoit là pour m’offenfer, ou fi les ar-
. » chers en vouloient à lui ou à moi. Nous criions
?» tous deux, & étions auffi effrayés l’un que l’autre.
n Enfin , Dieu voulut que M. de Nancey , capitaine
» des Gardes, y vînt, qui me trouvant en cet état-là,
» ne fe put tenir de rire , .& fe courrouça fort aux
v archers de cette indiferétion, les fit fertir, & me
33 donna la vie de ce pauvre homme qui me .tenoit,
»> lequel je fis coucher & panfer dans mon cabinet,
33 jufques à tant qu’il fût du tout “guéri «. Un autre
gentilhomme, nommé Bourfe , fut percé d’un coup
de hallebarde, à trois pas de la reine. » Je tombai,
dit - elle, de l’autre côte, prefqu’évanouieentre les
33 bras de M. de Nancey, & penfois que ce coup
» nous eût percés tous deux «.
Brantôme & l’auteur <^u difeours de la vie de C a therine
de Médicis , difent qu’en cette occafion , le
roi de Navarre dut la vie à Pinterceffion de Marguerite
, qui, fe jettant aux genoux de fon frère, le conjura
.d’épargner fon mari. Marguerite n’en dit rien dans fes
Mémoires.
Au lieu de fe repentir du grand crime qu’on venoit
de commettre, on ne fe repentit que de ne l’avoir
pas confommé en ôtant la vié au roi de Navarre &.
au prince de Condé. La reine-mère interrogea la reine
de Navarre , fa fille, fur les particularités les plus
fecrettes de fon mariage , lui difànt que f i cela ri étoit,
i l y avoit moyen de la démarier. Marguerite fe doutant
bien que ce qu on vouloit len féparer , étoit pour lui
faire un mauvais tour , répondit à fa mère « qu’elle
i» ignoroit totalement ce dont elle lui parloit, & qu’elle
.» la prioit de lui épargner une réponfe auffi embar-
*> raflantes».
Le roi de Navare & le duc d’Anjou - Afençon
s’échappèrent de la cour vers le commencement du
règne de Henri III. On s’en pritsà la reine de Navarre,
qui cependant avoit ignoré le fecret de fon
mari, & on la retint prifonnière. « A la cour, dit-èlle,
» l’adverfité eft toujours feule , comme la profpérité
v eft accompagnée , & la/perfécution affiliée : le feul
33 brave Grillon fat celui qui , méprifànt toutes dé-
33 fenfes & toute défaveur, vint cinq ou fix fois en ma
ty chambre , étonnant tellement de crainte les cerbères
33 que l’on avoit "mis à ma porte., qu’ils n’osèrent
33 jamais....» lui refufer le paflage.
I Monfieur, (c’eft le duc d’Anjou-Alençon) étoit toujours
l’ennemi des Mignons qui gouvernoient Henri III,
& il n’avoit guère d’ami à la cour, que la reine de
Navarre, fa foeur. Emprifonné plufieurs fois, il. étoit
gardé a vue dans le Louvre en 1 ^78. Il eut recours
à Marguerite, & la pria de lui fournir une corde,
pour qu’il pût fe fauver la nuit par la fenêtre de fa
chambre qui étoit au fécond étage, & qui donnoit for
Hifioirey lome III.
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J les fofles du château. La reine de Navarre fit em-
. porter ce jour-là même hors du Louvre, un coffre
à demi brifé ; quelques heures après, on le lui rapporta
raccommodé , & renfermant la corde que
Monfieur avoit demandée. Le foir la reine-mère foupa
feule avec fa fille. Monfieur , impatient d’exécuter fon
deffein , arrive, parle bas à fa feeur ; Matignon , c ut
n’aimoit pas Monfieur , confidérant l’air aemprefle-
ment & d’embarras avec lequel il avoit parlé à la reine
de Navarre, dit à Catherine de Médicis : demain ,
Monfieur ne fera plus dans le Louvre. La reine-mère
troublée , .demande à Marguerite fi elle avoit entendu
ce que Matignon venoit de dire; Marguerite répondit
que non, & Catherine répéta ce que Matignon avoit
dit. <c Lors, dit Marguerite dans les Mémoires, me
” trouvant entre ces deux extrémités ou de manquer
» à la fidélité que je devois à mon frère & mettre
” fe vie en danger, ou de jurer contre la vérité
» (chofe que je n’euffe voulu pour éviter mille morts )
” je me trouvai en fi grande perpléxité , que fi
33 Dieu ne m’eût affiftée, ma façon eût affez témoigné
33 fans parier, ce que je craignois qui fût découvert.
» Mais comme Dieu affifte les bonnes intentions, &
33 fa divine bonté opéroit en cette oeuvre pour fauver
33 mon frère, je compofai tellement mon vifage &.
3t mes paroles, qu’elle ne pût rien connoître que ce
” que je voulois ; & que je n’offenfai mon ame
33 ni ma confidence par aucun faux ferment. Je lui
33 dis donc fi elle ne connoifloit pas bien la haine que
” M. de Matignon portoit à mon frère ; que c’étoit
” un brouillon malicieux, qui avoit regret de nous
33 voir tous d’accord ; que lorîque mon frère s’en iroit,
” j’en voulois répondre de ma vie ; que je m’affurois
33 bien.que ne m’ayant jamais rien célé , il m’eût
33 communiqué ce deffein , s’il eût eu cette volonté,
î 3> Ce que je difois m’affûrant bien que mon frère étant
| 33 fauvé, l’on n’eût ofé me faire déplaifir ; & au pis
33 aller1, qnand nous euffions été découverts ; j’aimois
| 33 trop mieux y engager ma vie que d’offenfer mon ame
31 par un faux ferment, & mettre la vie de mon
» frère au hazard ; elle ne recherchant pas de près le
n fens de mes paroles, me dit ; penfez bien à ce que
if vous me dites, vous m’en ferez caution, vous m’eij
» répondrez for votre vie. Je lui dis en fouriant, que
33 c’étoit ce que je voulois. La reine de Navarre étant
33 rentrée dans fon appartement , fe coucha d’abord
33 pour écarter les femmes de fa fuite ; elle ne garda
33 que fes femmes-de-chambre dont elle connoifloit la
33 fidélité». Monfieur arriva bientôt avec fes deux
confidens , Simier & Cangé, qui dévoient accompagner
fa fuite. Marguerite fe leva, les aida elle-même
à lier la corde à une traverfe de bois. Monfieur
defeendit le premier en riant ; Simier en tremblant,
& ayant peine à fe tenir à la corde ; Cangé , qui
defcendoit le troifiéme, étant encore en l’air, on vit
un inconnu fortir du foffé , & marcher à grands pas
vers le eorps-de-garde du Louvre. La reine de Navaire
fe rappellant le difeours qu’avoit tenu Matignon,
craignit que cet homme ne fût un efpion apofté par
lui, pour obferyer fon frère : la vie de ce prince